C’est depuis le siège passager d’une voiture en déplacement, sur les routes de Cisjordanie occupée, que l’artiste multidisciplinaire Rehab Nazzal a décidé de documenter l’architecture de l’oppression israélienne. Courage et souffrance se dégagent de sa nouvelle exposition Driving in Palestine, qui décrypte les fractures du territoire palestinien.
Dans le cadre de cette exposition multimédia présentée par Montréal, art interculturel (MAI) jusqu’au 21 octobre, l’artiste d’origine palestinienne Rehab Nazzal nous entraîne avec elle au cœur de la Cisjordanie sous occupation israélienne.
Au sein de ce pays isolé du monde arabe et fragmenté par l’occupation coloniale, les déplacements n’ont rien d’une évidence. Points de contrôles, tours de garde, clôtures de barbelés, caméras, barrages routiers et mur d’apartheid sont omniprésents et contraignent quotidiennement les Palestinien·nes dans leurs mouvements.
En proposant un point de vue inédit, celui du déplacement en territoire occupé, Rehab Nazzal interroge les politiques de mobilités imposées aux Palestinien·nes par l’État israélien en Cisjordanie. En se mettant elle-même en mouvement à bord d’un véhicule parcourant tant bien que mal ce territoire contrôlé, l’artiste témoigne subtilement de l’architecture de l’oppression israélienne, dévoilant le caractère physiquement carcéral des paysages de Cisjordanie.
Cette approche de la ségrégation à la première personne, le long des routes mêlant obstacles et interdictions, laisse apparaître un décor étouffant, presque claustrophobe.
Un projet d’une décennie mêlant recherche et création
Lorsqu’on parle avec elle, cette artiste, touchée à la jambe par une balle de sniper en 2014, laisse immédiatement sentir tout son courage.
Jeune, Rehab Nazzal a été forcée de quitter son pays. Elle raconte que c’est à son retour en Palestine qu’elle a pris la mesure du climat de contrainte s’établissant sur son peuple.
Celle qui faisait alors de la peinture réalise à ce moment que « la réalité est ce qui se rapproche le plus de la fiction ». L’objectif de restituer crûment cette réalité en la filmant, en la photographiant, en enregistrant ses sons, est ainsi né.
Le projet de Driving in Palestine, qui comprend un livre et une exposition, lui est venu pendant la pandémie de COVID. Alors que la population mondiale prenait conscience des contraintes liées à l’isolement collectif et à l’incapacité de se déplacer, Rehab Nazzal a voulu créer le parallèle avec ce que vivent les Palestinien·nes dans leur pays, au quotidien et depuis plus de sept décennies.
Pour cette artiste palestino-canadienne, l’exposition vient compléter le travail mis en place dans le livre, car elle permet l’expérience plus directe de la réalité derrière celui-ci, de la souffrance et du courage qu’il contient.
Des pressions politiques et des campagnes d’intimidation récurrentes
Le commissaire de l’exposition Stéfan St-Laurent salue le soutien du MAI, qui accueille l’expo. « C’est important des centres comme le MAI qui vont défendre à tout coup [les artistes]. »
Selon lui, les galeries mettant en avant des artistes palestinien·nes sont régulièrement soumises à des pressions politiques et à des campagnes d’intimidation. Ce fut par exemple le cas à la Galerie SAW à Ottawa, où il a été commissaire dans les années 2000. « On a présenté des artistes palestiniens au fil des ans, puis on a été harcelés », rapporte Stefan St-Laurent.
Ces intimidations prennent la forme de lettres menaçantes et d’actes de dégradation qui peuvent « faire peur aux gens qui n’ont pas beaucoup d’expérience pour dealer avec des lobbies politiques qui font de la pression ».
Il déplore à ce titre que les musées ne soutiennent pas plus les artistes palestinien·nes. « Il n’y en a presque aucun qui présente des artistes palestiniens, donc c’est doublement plus important de les présenter [ici] ».