Radio-poubelle : « une radio de combat pour la classe dirigeante »

La Coalition Sortons les radios poubelles de Québec met fin à ses activités et dresse le bilan de dix ans de vigilance.

La Coalition sortons les radios poubelles de Québec a annoncé l’arrêt de ses activités sur son site Web le 20 juillet dernier. Les membres du groupe avaient déjà prévu d’accrocher leurs patins lors du dixième anniversaire, en 2022. Malheureusement, une poursuite lancée par le propriétaire de CHOI Radio X en 2021 a retardé leur projet. Ne voulant pas donner l’impression d’avoir cédé à l’intimidation et voulant être certain·es que leur anonymat était préservé, ils et elles ont attendu cette année pour en faire l’annonce.

Pour faire le bilan de leur expérience, Pivot s’est entretenu avec un représentant de la Coalition, qui a requis l’anonymat en raison du risque de représailles. 

Le porte-parole de la Coalition explique que le projet avait été démarré dans la foulée de la grève étudiante de 2012. 

« Il y a un texte qui avait été publié dans la version numérique du Soleil, et qui avait été retiré rapidement », explique-t-il. « C’était un texte écrit par Bernard Guay. À l’époque, il était fonctionnaire. C’est un fasciste. C’est un gars qui appartenait au Cercle Jeune Nation. Il disait qu’il fallait s’inspirer des chemises brunes [i.e. le bras armé du parti nazi] dans les années 1930 [pour répondre aux étudiant·es en grève] ! »

« Sylvain Bouchard [animateur au FM93] a dit que le texte était bon, à part la référence aux chemises brunes… », dit-il en riant. « Je m’en rappelle encore. Ça va rester dans ma tête pour toujours. » [extrait audio]

L’autre événement qui a mené à la création de la Coalition a été la suggestion de l’animateur de CHOI Radio X Carl Monette d’envoyer les personnes en situation d’itinérance dans des camps de travail forcé.

Carl Monette, « c’était un spécial », se souvient le porte-parole. « J’ai l’impression que c’est un peu comme Jeff Fillion au début, qui faisait de la radio sans aucun filtre. [Monette] a déjà dit qu’il fallait mettre les [criminels] dans des chambres à gaz ». [extrait audio]

Les haut et les bas de la radio-poubelle

Le contexte médiatique à Québec a beaucoup changé depuis 2012, constate la Coalition. Les cotes d’écoutes ne sont plus ce qu’elles ont été, Jeff Fillion n’est plus à la radio, André Arthur est mort et plusieurs annonceurs ont déserté CHOI Radio X durant la pandémie.

Mais « ça change encore beaucoup et c’est pourquoi on dit qu’on pourrait revenir ».

« Jeff Fillion, il ne dit plus ce genre d’affaires là, même s’il le pense encore. Durant la pandémie, il disait que ça ne servait à rien de faire des efforts pour les personnes âgées parce que de toute façon, elles allaient mourir. Il ne le dit plus de manière aussi trash. Ce sont des gens qui savent où est la ligne et ils marchent allègrement dessus. »

« [La radio-poubelle], c’est la radio des gens qui ont du cash. C’est une radio de combat pour la classe dirigeante, les riches, les gens qui veulent nous pourrir la vie. » 

« Quand on a commencé, en 2012, Fillion n’était pas là. Il était encore dans sa Web radio, Radio pirate, comme il l’est aujourd’hui. »

Rappelons que Jeff Fillion avait quitté CHOI en 2005 après la multiplication des poursuites contre lui. Celle de l’animatrice Sophie Chiasson pour diffamation, notamment, avait été fortement médiatisée.

En juillet de la même année, le CRTC avait décidé de retirer la licence de la station, qui appartenait alors à l’entreprise Genex, en raison des propos offensants et des attaques personnelles incessantes de Jeff Fillion et d’André Arthur. En 2006, le CRTC a approuvé la vente de CHOI à RNC Média.

En 2014, Jeff Fillion est revenu sur les ondes publiques à NRJ, avant d’en être congédié deux ans plus tard.

« Il ne faut jamais oublier que c’est Bell qui lui a donné une seconde chance à la radio. Il ne faut pas oublier qu’en plus de lui donner une émission de radio, ils lui ont offert une émission de télé ! »

« [La radio-poubelle], c’est la radio des gens qui ont du cash. C’est une radio de combat pour la classe dirigeante, les riches, les gens qui veulent nous pourrir la vie. » 

Les propriétaires restent dans l’ombre

La Coalition déplore qu’au-delà des animateurs, les propriétaires de RNC Média ne soient pas pointés du doigt de façon plus significative. « Regarde les noms. Personne ne connaît ces gens-là ! Raynald Brière, Robert Ranger, Pierre R. Brosseau. Personne ne connaît ces noms-là. Ils passent sous le radar. »

« Tout en finançant le Jewish General, [Pierre Brosseau] est propriétaire d’une station de radio qui passe son temps à dire que les personnes âgées peuvent crever. »

« Durant la pandémie, Pierre Brosseau a fait une levée de fond pour le Centre d’excellence sur les maladies infectieuses du Jewish General Hospital. Il a fait ça avec l’ancien maire de Montréal, Denis Coderre. Ce n’est pas rien ! Personne ne le connaît et pourtant, c’est un gars bien placé, bien “ plogué ”. »

« Tout en finançant le Jewish General, il est propriétaire d’une station de radio qui passe son temps à dire que les personnes âgées peuvent crever. »

Les politiciens et l’affaire des autobus scolaires

La Coalition trouve déplorable que la classe politique n’ait pas, ou du moins rarement, critiqué ces médias. « Les politiciens en général ne parlent pas beaucoup de la radio-poubelle. C’est rare qu’ils en parlent et quand ils en parlent, c’est pour la défendre. »

« Je me rappellerais toujours l’histoire des autobus scolaires. C’est arrivé une semaine après la tuerie de la mosquée de Québec. Il y a deux élus, le ministre de l’Éducation [Sébastien Proulx] et Éric Caire, qui sont montés aux barricades pour défendre Radio X. » 

Le 29 janvier 2017, un attentat islamophobe fait six morts au Centre culturel islamique de Sainte-Foy. Dans la foulée de cette tuerie, le maire de Québec, Régis Labeaume, dénonce « ceux et celles qui s’enrichissent avec la haine ».

Le 3 février, soit cinq jours après l’attentat, la Commission scolaire de la Capitale interdit de faire jouer la radio-poubelle dans ses autobus. Le courriel de la coordonnatrice au transport scolaire est acheminé à l’animateur de CHOI Radio X Dominic Maurais, qui s’indigne.

Le ministre Sébastien Proulx, lui-même un ancien chroniqueur à l’émission Maurais Live de Radio X, et Éric Caire, qui était aussi chroniqueur à l’émission Moreault en jase à la même station, se portent à la défense des radios. Ils ne sont pas seuls : François Blais, le ministre libéral responsable de la région de la Capitale-Nationale, trouve « totalement exagéré » de blâmer les radios de Québec pour l’attentat.

La Commission scolaire finit par reculer et autorise les chauffeurs à faire écouter CHOI Radio X aux enfants.

 Labeaume a pris la parole lorsqu’il n’avait plus rien à perdre

« Régis Labeaume, ça faisait longtemps qu’il était maire. Au début, il a bénéficié de la radio au boutte. Il était super chum. Il était chroniqueur à Radio X. »

« Il avait participé à une campagne » qui appelait à acheter du Red Bull pour appuyer la tenue de l’événement Red Bull Crashed Ice, lancée par Sylvain Bouchard du FM93. « Il avait brandi une canette de Red Bull en plein conseil de ville pour appuyer Red Bull contre les citoyens du Vieux-Québec qui étaient tannés de cet événement-là. »

« [Labeaume] a mentionné quelques fois, comme lors de la Fête Arc-en-ciel, en restant très vague, que certains médias, certaines entreprises étaient homophobes. »

Pour critiquer plus frontalement les radios-poubelles, « il a attendu la toute fin de son règne, quand il savait qu’il allait sacrer son camp. […] C’est le plus important magistrat de la ville. Il n’y a pas un fonctionnaire, pas un politicien plus important que lui à Québec. Ben crisse, il a quand même tenu à attendre la toute fin de son mandat pour pouvoir critiquer la radio. »

« [Labeaume] s’en est pris aux propriétaires : ça, c’est important de le constater. Il a juste parlé des propriétaires. Il a été très loin. Il a dit “ vous êtes dangereux ”. »

« Il savait que cela allait lui faire du tort. Il a attendu que cela n’ait plus d’importance. Après, il est allé all-in. »

« Il s’en est pris aux propriétaires : ça, c’est important de le constater. Il a juste parlé des propriétaires. Il a été très loin. Il a dit “ vous êtes dangereux ”. »

« Avant ça, critiquer la radio… Il faut se rappeler l’épisode de 2004, l’épisode de Sophie Chiasson. Il y a eu des dizaines de milliers de personnes dans les rues à Québec pour soutenir Radio X. »

« Je comprends, dans le fond : les gens ont peur. Les gens ont peur de parler. »

La Coalition prend « une sorte de retraite » 

La Coalition met fin à ses activités avec l’impression d’avoir pu faire la différence dans le paysage médiatique et politique québécois. « Si tu regardes nos tweets en 2012, on était vraiment dans le désert, les deux premières années. Il n’y avait personne qui réagissait à nos trucs. Là, tout le monde nous lit. Même les animateurs [de Radio X] sont obsédés par ce qu’on fait. »

Si les membres de la Coalition prennent aujourd’hui un repos bien mérité, cela ne signifie pas pour autant que la vigilance envers la haine radiophonique n’est plus de mise. « Pour l’instant, on laisse le combat à d’autres. Il y a d’autres gens qui critiquent bien les populistes. […] On laisse le soin à d’autres de reprendre le flambeau. »

« Même les animateurs [de Radio X] sont obsédés par ce qu’on fait. »

« Il y en a eu d’autres avant nous et il y en aura d’autres après nous. Il y a toujours eu du monde qui se sont opposés à la radio et qui vont continuer de le faire. On compte sur eux. »

« On va prendre une sorte de retraite. Jusqu’à temps que ça recommence, parce que ça pourrait recommencer demain matin. »

L’anonymat pour équilibrer le rapport de force

Le porte-parole de la Coalition a un conseil pour les gens qui voudraient tenter de faire le même travail : soyez anonymes. 

« Le problème, c’est qu’on est obligé d’être anonyme. On ne peut pas critiquer les entreprises. Si tu veux être libre de critiquer une entreprise sans être constamment à risque de poursuite, tu dois être anonyme. Ça rééquilibre le rapport de pouvoir. »

« Il existe une loi contre les poursuites-bâillons. Mais quand Jean-François Jacob avait été poursuivi parce qu’il avait fait une page Facebook qui critiquait Radio X [la page “ Québec s’excuse pour sa radio poubelle ”], le juge a regardé ça et a dit “ non ce n’est pas une poursuite-bâillon, allez-y ”. Le gars a fait une page Facebook pour critiquer Radio X ! Come on ! »  

« La justice n’est pas tout le temps de notre bord. »  

« Ce que je dirais aux nouveaux, c’est : soyez anonyme et utilisez des technologies éprouvées. Ce n’est pas facile. Les services demandent de plus en plus d’avoir votre numéro de téléphone, ils veulent pouvoir faire le lien avec la personne qui l’utilise. Il ne faut pas donner d’informations. On a toujours payé avec du cash et donné des faux noms partout. Il faut être très discipliné. »

« C’est comme une guérilla. Les mouvements de résistance utilisent les moyens à leur disposition pour équilibrer le rapport de force. »

Correction: L’article a été modifié le 27/07/2023. Une version précédente attribuait la campagne d’achat de Red Bull à Radio X, alors qu’il s’agissait d’une initiative de Sylvain Bouchard du FM93.

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