Interpellations policières : il faut s’attaquer au vrai problème, la culture

CHRONIQUE | Avec ou sans moratoire sur les interpellations, le profilage racial va continuer, vu la culture interne au SPVM. C’est là où se trouve le nerf de la guerre!

Jeudi dernier, le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Fady Dagher a annoncé qu’il n’entend pas mettre en place un moratoire sur les « interpellations de routine » au SPVM, comme recommandé par quatre chercheur·euses dans un nouveau rapport sur le sujet – le deuxième en quelques années. M. Dagher insiste qu’un tel moratoire ne serait que « symbolique » et déclare qu’il va plutôt travailler à changer la culture organisationnelle, qui selon lui est à la source du profilage racial.

Il a bien raison. On ne peut ignorer le problème fondamental du racisme qui imprègne le service de police jusque dans ses tréfonds.

Les chercheur·euses rapportent, de la bouche même des membres du SPVM, des exemples flagrants d’attitudes et comportements racistes chez les policier·ères. En même temps, les témoignages de ces dernier·ères dénotent un déni total que ces attitudes et comportements puissent influencer leurs interpellations. En effet, selon le chercheur Massimiliano Mulone, la majorité des policiers de SPVM « ne voient pas la nécessité de changer quoi que ce soit » à leurs pratiques!

Cette fameuse culture policière raciste au SPVM, c’est donc là où le bât blesse.

Plus ça change, plus c’est pareil

La pratique des interpellations de routine au SPVM existe depuis des générations. Rappelons qu’une interpellation policière désigne une situation où un·e policier·ère accoste une personne dans l’espace public en cherchant à l’identifier ou à obtenir des informations à son sujet, mais en dehors de tout contexte officiel d’arrestation ou d’enquête.

À Montréal, depuis des décennies, les personnes racisées se sont fait interpeller par des générations de policier·ères. Cette pratique et la discrimination qui l’accompagnent sont donc bien ancrées dans la mémoire et l’ADN des unes comme des autres.

En 2019, le SPVM avait dévoilé les données d’un premier rapport portant sur des interpellations survenues entre 2014 et 2017. En quatre ans, le nombre d’interpellations effectuées par le SPVM avait augmenté de 143 %! Elles ciblaient disproportionnellement les personnes noires et autochtones, interpellées quatre à cinq fois plus souvent que les personnes blanches.

Cette fameuse culture policière raciste au SPVM, c’est là où le bât blesse.

Le nouveau rapport montre que le problème s’est maintenu pour les personnes noires et qu’il a empiré pour les personnes autochtones, qui sont maintenant six fois plus à risque d’être interpellées que les Blanc·hes.

Lors de la sortie du premier rapport, le prédécesseur du directeur Dagher s’était déclaré « très surpris » et « très préoccupé » par le rapport, tandis que notre mairesse, fidèle à son habitude, s’était dite « choquée » par les disparités de traitement rapportées dans le document.

Ces résultats, comme ceux du présent rapport, n’avaient cependant surpris que très peu de personnes racisées.

L’art des gestes creux

En juillet 2020, deux mois après la mort de George Floyd et en pleine frénésie du mouvement Black Lives Matter, une nouvelle politique du SPVM sur les interpellations avait été rendue publique. Dorénavant, les interpellations devraient être basées sur des « faits observables », une notion inventée par le SPVM, qui n’a aucun fondement légal et qui est alors devenue la base sur laquelle les policier·ères peuvent violer les droits constitutionnels des citoyen·nes montréalais·es.

En même temps, le SPVM annonçait l’embauche contractuelle du sociologue et consultant Frédéric Boiron pour évaluer, critiquer, « challenger » et remettre en question les procédés de l’organisation. Le SPVM ne s’était cependant engagé à rien de plus, car les écrits du chercheur demeurent la propriété du SPVM, qui les tablette soigneusement à la suite de leur soumission.

Cependant, le 14 novembre 2022, à la suite d’une fuite médiatique, le SPVM avait finalement rendu publics les deux rapports de M. Boiron. Le premier, remis à la direction du SPVM en novembre 2020, et le deuxième, déposé en avril 2022, révèlent une résistance évidente à toute forme de changement au sein de l’organisation.

Il n’y a pas de racisme au SPVM. Point final!

L’exemple peu probant de la Nouvelle-Écosse

Il n’existe aucun précédent ou preuve démontrant qu’un moratoire tel que celui proposé par les chercheur·euses pourrait réellement mettre fin à la pratique discriminatoire de l’interpellation au SPVM.

En fait, comme l’a clairement démontré le moratoire sur les interpellations ordonné il y a quatre ans en Nouvelle-Écosse, la culture policière mange des politiques et des moratoires pour déjeuner tous les matins, et ça ne change pas grand-chose. En effet, ce moratoire émis en 2019 n’a pas fait diminuer le profilage racial là-bas. Dans sa première mouture, le moratoire contenait une échappatoire qui permettait aux policier·ères d’interpeller quand même les gens si les agent·es étaient témoins d’une « activité suspecte ».

Bien sûr, c’était encore ici une notion qui n’était aucunement fondée sur une règle de droit, mais plutôt laissée au « flair » policier!

Qui police la police?

Donc, deux ans plus tard, suite à des pressions de la communauté noire de la province, le gouvernement a remplacé la notion d’« activité suspecte » par le standard légal de « soupçons raisonnables » avant qu’un·e policier·ère puisse interpeller quelqu’un. Un « soupçon raisonnable » est un standard légal plus élevé qu’un « simple soupçon », mais moins qu’une croyance fondée sur des « motifs raisonnables et probables ».

Mais malgré le resserrement de la politique, la culture policière de la Nouvelle-Écosse s’est « adaptée » et les interpellations continuent – car, qui police la police?

En effet, malgré les mesures qui ont été mises en place pour encadrer les interpellations non seulement en Nouvelle-Écosse, mais aussi en Ontario et en Colombie-Britannique entre autres, le profilage racial persiste partout au Canada et pas seulement dans les grandes villes. Un récent rapport indique que dans les provinces de l’Atlantique, 40 % des hommes noirs ont déclaré avoir été interpellés injustement par la police au cours des douze derniers mois. En Colombie-Britannique, ce chiffre est de 41 %. À titre de comparaison, les taux en Ontario et au Québec étaient respectivement de 30 % et 31 %.

Faire confiance, mais vérifier

Dans les faits, le moratoire que demandent les chercheur·euses au SPVM n’en est pas vraiment un. Ce qu’ils et elles recommandent est un moratoire pour « toute interpellation policière qui ne soit pas justifiée par l’enquête d’un crime spécifique ou par le soupçon raisonnable d’une activité illégale ». Ils demandent donc au SPVM de se débarrasser de cette invention de « faits observables » afin de la remplacer par celle, plus solide, de « soupçons raisonnables ».

À l’occasion de la première mouture de la politique du SPVM, notre mairesse s’était dite ouverte à une bonification de la politique si nécessaire. Maintenant, madame, ça presse!

Le moratoire que demandent les chercheur·euses n’en est pas vraiment un.

Bref, avec ou sans moratoire, vu la culture actuelle au SPVM, le profilage racial va continuer. C’est là où se trouve le nerf de la guerre! Cependant, avec cette décision avisée, le directeur Dagher se donne une marge de manœuvre pour essayer de démanteler cette culture de façon accélérée.

On veut bien lui faire confiance, mais on le garde à l’œil!

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut