Ce texte est écrit avec la collaboration de Nadia Rousseau.
Du 30 mai au 2 juin derniers, j’ai eu le privilège de participer à la Deuxième session de l’Instance permanente des personnes d’ascendance africaine de l’ONU, dont le thème principal était « Réaliser le rêve ».
Cette importante réunion a permis à près de 1000 personnes majoritairement issues de la société civile de se rencontrer. Ainsi, des Africain·es et des Afro-descendant·es de la diaspora ont pu échanger sur des questions fondamentales et des expériences vécues qui les touchent. C’est la force des Nations unies : permettre à des personnes issues de divers pays de se solidariser autour d’expériences communes, dont les retombées contemporaines du colonialisme et de l’esclavage, afin de dégager des pistes de solutions.
Du choc des idées jaillit la lumière!
C’est ainsi que la situation politique et socio-économique qui prévaut présentement en Haïti a fait l’objet de discussion tout au long de la session. Non seulement pour ce que vivent les Haïtien·nes, mais aussi parce que le destin d’Haïti est et reste pertinent tant du point de vue tant local que global, agissant comme une métaphore de ce que vivent les Afro-descendant·es dans les organisations. Ainsi, ce qui s’est joué en Haïti continue d’influencer les relations interraciales au-delà des frontières spatiales et temporelles.
Cinq thèmes ont fait l’objet de discussion : la justice réparatrice; le panafricanisme* pour la dignité, la justice et la paix; les migrations transnationales; l’importance de la collecte de données statistiques ventilées selon la race pour reconnaître et traiter le racisme systémique et structurel; et enfin, la santé et les traumatismes intergénérationnels.
Réparer les violences du passé
Le racisme et l’oppression raciale sont des legs du passé colonial et de l’esclavage qui se manifestent encore aujourd’hui par le truchement du racisme systémique et structurel, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir. Ainsi, les Africain·es et des personnes d’ascendance africaine sont aux prises avec les conséquences intergénérationnelles découlant de siècles de déshumanisation, d’assujettissement, de violences qui doivent aujourd’hui être reconnues, voire compensées.
En dénonçant le silence qui vise à effacer les conséquences des injustices passées et présentes, la justice réparatrice vise la transformation des dynamiques sociales auxquelles sont confrontées les personnes d’ascendance africaine.
Amplifier et faire dialoguer les voix africaines
Le panafricanisme vise à établir des liens dynamiques et mutuellement bénéfiques entre l’Afrique et les personnes d’ascendance africaine de la diaspora.
Pour faire du panafricanisme une réalité tangible, il faut amplifier les voix de toutes les personnes d’ascendance africaine victimes de racisme qui se manifeste dans les sphères sociales, économiques, culturelles et politiques, dans toutes les régions du monde.
Repenser les migrations
La Déclaration d’action de Durbana reconnu en 2001 que la migration augmente du Sud vers le Nord.
La migration des personnes d’ascendance africaine liée aux changements climatiques, à la pauvreté, aux instabilités politiques ainsi qu’aux conflits demande une approche multidimensionnelle et intersectionnelle.
Il est important que les lois, les politiques et les pratiques en matière de migration soient revues afin qu’elles deviennent vraiment exemptes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance. Une attention particulière doit être portée aux conséquences du racisme structurel et systémique.
Mesurer le racisme
Afin de contrer ce racisme, des données statistiques ventilées sur les personnes d’ascendance africaine doivent être compilées par les États membres afin de documenter les situations de racisme. Il faut donc quantifier et qualifier afin de développer des réponses qui tiennent compte du contexte pour contrer le racisme systémique, structurel et intersectionnel affectant les personnes d’ascendance africaine.
Les États doivent identifier et surveiller les infractions aux droits humains des personnes d’ascendance africaine en tenant compte des objectifs de développement durable, des indicateurs de justice raciale et des objectifs politiques.
Le racisme contre la santé
La santé est un droit humain.
La recherche scientifique a confirmé que d’une génération à l’autre, les traumatismes raciaux se transmettent socialement, voire épigénétiquement.
Les taux de mortalité maternelle et infantile sont élevés chez les Afro-descendant·es. Un exemple récent est celui du décès du sportif Tori Bowie. De plus, les différentes formes de violence découlant du racisme entraînent des taux de décès disproportionnés.
Il est primordial de reconnaître les effets du racisme systémique et structurel sur la santé et le bien-être des communautés d’ascendance africaine.
Quand le pouvoir résiste
Convaincue que le racisme, lié au pouvoir, est enraciné dans les systèmes, se redéfinit sans cesse et reste omniprésent pour ceux et celles qui en sont la cible, j’ai présenté une proposition avec le soutien de la Table ronde du Mois de l’histoire des Noirs.
Les objectifs de la proposition étaient multiples et visaient la reconnaissance des droits des Afro-descendantes qui sont placées dans une situation d’oppression intersectionnelle. Or, le leadership de celles-ci est fondamental pour lutter contre le racisme, et plus particulièrement la misogynoir auxquels elles sont confrontées.
Ceux qui bénéficient de la suprématie blanche (fondement des sociétés occidentales voulant que les Blanc·hes sont considéré·es comme les représentant·es de l’humanité) veulent conserver leur pouvoir, favorisent la représentation symbolique (tokenism) au détriment de la représentation effective.
Les Afro-descendantes qui accèdent à des positions de pouvoir sont ainsi confrontées à la falaise de verre, au mobbing et à des morts sociales les empêchant d’exercer un leadership transformatif et émancipateur, ce qui a des conséquences tant sur leur santé que celle de leurs communautés.
Nous avons proposé la nomination d’un organe de surveillance en la matière. Celui-ci aurait la capacité d’auditer des États membres sur les questions touchant les Afro-descendant·es et il serait possible de recourir directement à cet organe lorsque les abus nationaux restent lettre morte.
Affronter l’intelligence artificielle
Prenant acte du fait que des Afro-descendant·es ont dénoncé le fait que les algorithmes reproduisent les discriminations et le racisme, et considérant que l’intelligence artificielle se développe à une vitesse qui alarme même ceux qui étaient au cœur de son développement, nous avons recommandé que des représentant·es des populations afro-descendantes soient inclus dans les débats et les instances de gouvernance et de régulation.
C’est-à-dire qu’en matière d’intelligence artificielle, nous avons proposé que des Afro-descendant·es spécialisé·es en intelligence artificielle soient impliqué·es dans le développement du cadre de l’ONU et que la législation en matière d’intelligence artificielle prévoie des mesures spécifiques pour contrer le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance.
Quand est-on libre?
Ce forum multidisciplinaire a donné l’occasion aux participant·es d’assister également à des conférences d’expert·es et de voix d’Afro-descendant·es qui ont marqué leur société.
À titre d’exemple, la conférence de l’auteur jamaïcain primé Kei Miller mettait de l’avant un message des plus marquants. Dans son œuvre, le romancier et essayiste cartographie les intersections de race, de classe et de privilège.
Lors de cet entretien, on lui a demandé s’il lui arrivait de se sentir libre. Alors qu’il est au sommet de son art, il a répondu « rarement et seulement dans le cadre du carnaval (mardi-gras) ». Il faut comprendre que les carnavals antillais sont intimement liés à l’esclavage et au construit social qu’est la race. C’est un espace où, pour un court laps de temps, les esclaves et leurs descendant·es se sentent libres, sans que la chape du racisme et de la hiérarchie qui en découle ne pèse sur leurs épaules.
J’ai posé la même question de la liberté à un de mes amis qui a atteint les plus hauts sommets de son industrie. Sa réponse était sans appel : il ne se sentait jamais libre.
L’agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable exige une transformation du monde afin qu’il soit plus équitable, « un monde dans lequel personne n’est laissé pour compte et où tous les êtres humains peuvent réaliser leur plein potentiel dans la dignité et l’égalité ».
Puisqu’encore aujourd’hui, le corps noir est sous haute surveillance dans des espaces blancs, même pour ceux qui ont atteint les plus hauts sommets, une seconde Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine doit être décrétée par les Nations Unies afin de continuer à dégager des solutions communes à des problèmes transversaux qui sont l’héritage tant du colonialisme que de l’esclavage.
Pour contrer le « diviser pour régner » qui est le fondement du racisme, la seule solution est énoncée de façon prémonitoire par la devise nationale de la République d’Haïti : « l’union fait la force ».
* Le panafricanisme est un mouvement pour la libération des Africain·es et des personnes d’ascendance africaine du colonialisme, de l’esclavage, de la subjugation et du racisme systémique et structurel.