Hausser le revenu des Québécois·es pour faire face à l’inflation n’alimenterait que très peu celle-ci, contrairement à ce que laisse croire la Banque du Canada. Devant ce constat, des économistes appellent à revoir les priorités de notre banque centrale pour s’assurer que la lutte à l’inflation ne se fasse pas au détriment de la population.
Ajuster systématiquement les salaires pour faire face à la hausse du coût de la vie contribuerait très peu à l’inflation, selon une analyse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Ce constat vient infirmer la théorie de la « spirale inflationniste ». Selon cette idée, les hausses de salaire entraineraient une hausse équivalente des prix en causant un effet d’entrainement qui pousse l’inflation vers l’avant, annulant ainsi les effets positifs des hausses salariales, explique Eve-Lyne Couturier, co-autrice de l’étude.
« La spirale est facile à se représenter et elle semble logique en théorie, mais en pratique, ce n’est tout simplement pas ce qu’on observe au Québec », souligne la chercheuse. En fait, même à l’échelle globale, de tels épisodes de « spirale » seraient extrêmement rares, selon une étude du Fonds monétaire international (FMI).
Ainsi, selon les calculs de l’IRIS, un ajustement rapide des salaires de 6,5 % pour l’ensemble des travailleur·euses québécois·es, soit l’équivalent du pouvoir d’achat perdu en raison de l’inflation l’an dernier, n’augmenterait l’inflation que de 0,8 %.
Les salaires pourraient ensuite être indexés automatiquement pour compenser cette petite hausse de 0,8 % ainsi que l’inflation future. Au total, un tel scénario n’augmenterait l’inflation que de 1,5 % d’ici 2027, ce qui est infime si on compare à ce que prédirait un scénario de « spirale inflationniste », rapporte l’étude.
De telles hausses automatiques viendraient ainsi annuler les effets négatifs de l’inflation, du moins du point de vue des travailleur·euses, explique Pierre-Antoine Harvey, économiste à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).
« Du côté du travailleur·euses, à partir du moment où on réussit à négocier des augmentations qui couvrent l’inflation, elle n’est plus un problème, car notre pouvoir d’achat reste le même », explique-t-il.
Revoir l’approche vis-à-vis l’inflation
Pourtant, la Banque du Canada continue de prévenir les employeurs de ne pas accorder des hausses de salaire trop significatives pour ne pas attiser l’inflation, dénonce Eve-Lyne Couturier.
Plus encore, la stratégie de la Banque, soit ralentir l’économie en haussant les taux d’intérêt, repose en partie sur une réduction du pouvoir d’achat et donc du niveau de vie des Canadien·nes, explique Pierre-Antoine Harvey.
En effet, en haussant les taux d’intérêt, la Banque du Canada vient fragiliser la situation des travailleur·euses, puisque cela met une pression à la hausse sur le prix des loyers, des hypothèques et des autres dettes, explique Eve-Lyne Couturier.
« La population se retrouve frappée des deux côtés en même temps. Et ce sont les travailleur·euses les plus précaires, souvent dans des domaines majoritairement féminins, qui sont le plus affecté·es », remarque Pierre-Antoine Harvey.
Un nouveau mandat adapté à la réalité d’aujourd’hui
Il ne faut toutefois pas penser que les actions de la banque centrale sont causées par des intentions politiques, prévient l’économiste : elle ne fait qu’exécuter son mandat tel qu’il est inscrit dans sa charte.
« Il est donc grand temps de donner des objectifs beaucoup plus larges à la Banque du Canada que de simplement tenter de garder l’inflation à une cible arbitraire de 2 % », croit Eve-Lyne Couturier.
Par exemple, elle pourrait assurer le maintien du pouvoir d’achat plutôt que de limiter l’inflation. Ou encore elle pourrait contribuer à un climat économique propice à la transformation vers une économie plus verte, illustre la chercheuse.
« Une partie de l’inflation actuelle est causée par les effets des changements climatiques comme les feux de forêt et les inondations, ainsi que par les hausses du prix du pétrole. Si on investit dans les infrastructures et la main-d’œuvre pour diminuer notre dépendance aux hydrocarbures et adapter l’économie, on combat en même temps l’inflation », explique-t-elle.
À l’inverse, la Banque ralentit présentement la transition écologique, car elle limite la capacité des entreprises et des gouvernements à investir en ralentissant l’économie avec la hausse des taux d’intérêt, rappelle-t-elle.
« À tout le moins, il devrait y avoir place au débat autour de cette institution qui fonctionne de façon non démocratique et transparente et qui a des conséquences bien réelles sur le bien-être de la population », conclut-elle.