
Article de l'Initiative de journalisme local
Une contradiction dans la loi pourrait brimer les droits syndicaux des jeunes
Selon la Loi sur les syndicats professionnels, une personne de moins de seize ans ne pourrait pas devenir membre d’un syndicat.
Alors que le gouvernement s’apprête à fixer l’âge minimal pour travailler à quatorze ans, un texte de loi centenaire pourrait empêcher les jeunes de moins de seize ans d’être pleinement membre d’un syndicat. Cette restriction de la Loi sur les syndicats professionnels contredit le Code du travail ainsi que le Code civil. Elle pourrait aussi être contraire aux chartes des droits et libertés, estiment des expert·es.
Seules les personnes âgées d’au moins seize ans peuvent devenir membres d’un syndicat. C’est ce que semble indiquer l’article 7 de la Loi sur les syndicats professionnels, un texte de loi dont la première version remonte à 1924 et qui est encore aujourd’hui utilisé pour incorporer certains syndicats.
Ainsi, si tou·tes les jeunes peuvent bénéficier de la protection d’un syndicat, ils et elles ne pourraient par contre pas en devenir membre en règle avant l’âge de seize ans si celui-ci est incorporé en vertu de cette loi. Être membre d’un syndicat permet aux travailleur·euses de participer à la vie syndicale, de prendre part aux débats et aux prises de décisions à l’intérieur de leur association.
« Si on utilise la Loi sur les syndicats professionnels, on vient en quelque sorte brimer le mineur dans l’exercice de sa liberté d’association. Il ne peut pas participer effectivement à la vie associative », résume Charles Tremblay Potvin, professeur en droit du travail à l’Université Laval.
« Le pouvoir syndical est un pouvoir démocratique qui repose sur la participation de ses membres. Les personnes concernées par ce pouvoir doivent avoir la possibilité de participer aux orientations de l’organisation, d’influer sur les décisions collectives. »
Charles Tremblay Potvin
« [Cette loi] permet la constitution en personne morale d’un syndicat », précise Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure en droit du travail à l’Université de Montréal. La constitution d’un syndicat diffère des droits à la syndicalisation des travailleur·euses, qui sont normalement régis par le Code du travail.
Ce ne sont cependant pas tous les syndicats qui se constituent en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels.
L’enjeu demeure pour le moment théorique. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) n’a pour le moment pas pu répertorier de plaintes à cet effet parmi ses syndicats, mais n’écarte pas la possibilité qu’il y en ait.
Par ailleurs, la Loi sur les syndicats professionnels exige aussi que les personnes qui créent un syndicat aient la citoyenneté canadienne, ce qui empêcherait les travailleur·euses étranger·ères, les immigrant·es récent·es et les résident·es permanent·es de participer à la formation d’un syndicat.
Au Québec, les données recueillies par Statistique Canada montrent que les 15 à 24 ans ont un taux de syndicalisation plus faible comparativement aux autres groupes d’âge. Le ministère du Travail ne tient par ailleurs aucune donnée à cet effet sur les travailleur·euses de moins de quinze ans.
« Le taux de syndicalisation dans le secteur privé est très faible », note Vincent Chevarie, de l’organisme Au bas de l’échelle, qui vient en aide aux travailleur·euses non syndiqué·es. Il rappelle que c’est au privé que se concentre la majorité des jeunes travailleur·euses au Québec, notamment dans le commerce de détail, les services d’hébergement et la restauration.
Si aucune plainte ne semble avoir été recensée jusqu’à présent, c’est peut-être en raison de ce faible taux de syndicalisation, soupçonne-t-il.
L’importance de la démocratie syndicale
« Le pouvoir syndical est un pouvoir démocratique qui repose sur la participation de ses membres », rappelle Charles Tremblay Potvin. « Les personnes concernées par ce pouvoir doivent avoir la possibilité de participer aux orientations de l’organisation, d’influer sur les décisions collectives. »
Si les jeunes de moins de seize ans sont exclu·es en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, ils et elles auraient tout de même l’obligation de verser des cotisations syndicales, mais ne pourraient pas participer à la régie interne d’un syndicat.
« On a une contradiction importante et un accro au principe démocratique », résume le chercheur.
Une contradiction entre les lois
« C’est une vieille loi », rappelle Charles Tremblay Potvin. « J’ai l’impression que [l’article 7] est un vestige qui n’a plus raison d’être, parce qu’il n’est vraiment pas harmonisé ni avec le Code du travail ni avec le Code civil », explique-t-il.
Le Code civil prévoit plutôt qu’une personne mineure de quatorze ans est considérée majeure en ce qui a trait à son emploi et l’exercice de sa profession.
De plus, au sens du Code du travail, les personnes mineures sont comprises dans l’association de salarié·es lors de la négociation d’une convention collective du syndicat.
Cette zone grise pourrait être utilisée de sorte à pénaliser les plus jeunes travailleur·euses, pense Vincent Chevarie. « Les patrons pourraient potentiellement délégitimer le syndicat ou lui retirer des membres », soupçonne-t-il. « Il y a un risque. »
« C’est quand même une lacune, une zone grise ou une incohérence qui pourrait être exploitée aux dépens des personnes mineures. »
Charles Tremblay Potvin
« Ça crée une certaine incertitude », acquiesce Charles Tremblay Potvin. Il précise toutefois que le processus d’accréditation qui mène à la formation d’un syndicat relève du Code du travail. Or, celui-ci ne prévoit aucune restriction en fonction de l’âge.
« Mais c’est quand même étrange qu’on dise que l’adhésion [d’une personne de moins de seize ans] est valide en vertu du Code du travail, mais qu’elle ne le serait pas en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels », juge-t-il.
« C’est quand même une lacune, une zone grise ou une incohérence qui pourrait être exploitée aux dépens des personnes mineures. »
« Il y a une réflexion à faire, dans un contexte où on légifère présentement sur le travail des enfants », tranche Dalia Gesualdi-Fecteau, en évoquant le besoin d’assurer que les lois soient cohérentes sur cette question.
Contraire aux droits et libertés
Bien qu’aucune plainte n’ait été déposée, des expert·es signalent que de restreindre ainsi la participation des travailleur·euses à la vie syndicale en fonction de l’âge pourrait être contraire aux chartes des droits et libertés.
« On pourrait dire que cette barrière à l’exercice de la liberté d’association, elle est discriminatoire au sens de l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés, qui interdit la discrimination sur la base de l’âge », appréhende Charles Tremblay Potvin. « À mon avis, on pourrait plaider que cet article-là [de la Loi sur les syndicats professionnels] doit être déclaré inopérant ou invalide, parce qu’il ne respecte pas le droit à l’égalité. »
Pour sa part, Dalia Gesualdi-Fecteau estime que cette restriction serait potentiellement contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit la protection égale de la loi, notamment en fonction de l’âge. « Si le résultat de cet article-là, c’est d’empêcher [certaines personnes] de devenir membres [d’un syndicat], ça soulève des questions de conformité à la Charte canadienne », pense-t-elle.
Un enjeu absent du projet de loi 19
Cet enjeu n’a pas été soulevé dans le cadre du projet de loi 19 sur le travail des enfants, déposé en mars dernier par le ministre du Travail Jean Boulet. Cette nouvelle loi établirait pour la première fois au Québec un âge minimal pour travailler, fixé à quatorze ans.
Le projet de loi apparaît au moment où les jeunes se font de plus en plus nombreux à intégrer le marché du travail.
« Il y a une réflexion à faire, dans un contexte où on légifère présentement sur le travail des enfants. »
Dalia Gesualdi-Fecteau
« Si comme société, c’est le choix qu’on fait [de laisser travailler les jeunes à partir de quatorze ans], il faut s’assurer de garantir la pleine participation dans l’ensemble des instances et lois qui donnent des droits à ce groupe de travailleur·euses », pense Dalia Gesualdi-Fecteau.
Québec solidaire affirme pour sa part avoir demandé au cabinet du ministre Boulet d’effectuer des vérifications afin de déterminer si l’article de la loi est effectivement discriminatoire. Si c’est bien le cas, Québec solidaire prévoit demander l’amendement nécessaire pour faire invalider l’article en question.
L’enjeu de la citoyenneté, quant à lui, n’a pour le moment pas fait l’objet de demande de vérification au ministère.