Le climato-technologisme, ce nouveau négationnisme environnemental

Dans la grande famille du climato-négationnisme, nous pouvons aujourd’hui repérer plusieurs variantes.

La première est née avec l’émergence des préoccupations climatiques et consistait essentiellement dans la négation pure et simple de la transformation du climat. Ce climato-négationnisme a assis son déni sur une suite d’arguments de plus en plus faibles : tout d’abord, « il n’y a pas de réchauffement climatique », puis « le réchauffement climatique n’est pas causé par l’être humain » et enfin « le réchauffement climatique est causé par l’être humain, mais il n’est pas grave ou nous ne pouvons rien y faire ».

Les derniers arguments pourraient également correspondre à du climato-scepticisme, qui n’est qu’une manière socialement acceptable d’être climato-négationniste en se contentant de « remettre en doute » la crise du climat.

Cependant, ces modes de défense rhétorique contre l’évidence scientifique ne convainquent plus, pas même ceux et celles qui les professaient. Une nouvelle offensive contre la science du climat s’est donc élevée. Embrassée sans distinction par nos gouvernements et industries, elle prend la forme du « climato-technologisme ».

Pour le dire simplement, le climato-technologisme fait reposer la résolution des défis écologiques sur la seule technologie, qui prendrait en charge toute la décarbonation et l’efficacité énergétique. Cette forme de négationnisme se refuse ainsi à changer le mode de vie des humains et les enjoint plutôt à continuer comme avant, mais avec de nouveaux gadgets comme béquilles.

Il est essentiel de reconnaitre, dans cette nouvelle façon qu’ont trouvée les gouvernements de justifier leur passivité et leur rejet de toutes solutions structurelles au « plus grand défi de l’humanité », une simple variante, plus sophistiquée et sophistique, du même climato-négationnisme.

L’illusion des solutions faciles

Si le climato-technologisme constitue également une forme de négationnisme quant à la résolution du problème climatique, c’est qu’il repose entièrement sur des technologies n’existant pas encore ou n’ayant pas démontré leur capacité à régler la crise écologique.

La captation des émissions de carbone dans l’atmosphère est par exemple considérée par l’Agence internationale de l’énergie comme ayant le potentiel de correspondre au mieux à 1 % ou 2 % de l’effort total des réductions des gaz à effet de serre (GES).

Le climato-technologisme fait reposer la résolution des défis écologiques sur la seule technologie, se refusant ainsi à changer le mode de vie des humains.

De même, la captation des émissions à la source, qui constitue la stratégie principale, voire unique, de l’industrie pétrolière du Canada et de son gouvernement, est quant à elle particulièrement déficiente, car elle néglige complètement les émissions produites par la combustion des énergies fossiles, au-delà de leur fabrication.

Plus généralement, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici et l’économiste Yoichi Kaya calculent que les solutions d’efficacité énergétique permises par l’ingénierie ne pourraient effectuer qu’un maigre pourcentage de la réduction nécessaire des GES. Autrement dit, si l’avancement technologique fait partie de la solution, la technologie ne peut mathématiquement et physiquement pas nous sauver de la difficile remise en question de nos modes de vie trop exigeants pour les milieux naturels qui forment la Terre.

Le déni techno-capitaliste

Le philosophe Fredric Jameson déclarait il y a longtemps une phrase qui fit événement : « il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Ces formes de négationnisme technologiques ne sont que les atermoiements d’un système économique incapable de se remettre en question afin de laisser les êtres humains, qu’il devrait servir, mieux vivre.

S’il est exact que les technologies ne suffiront pas et que l’économie néolibérale refusera de reconnaitre son propre dépassement, il est vraisemblable de s’attendre à ce que les gestionnaires de l’économie radicalisent les solutions qui leur semblent aller de soi. On parle déjà d’une folie technologique, la géo-ingénierie, grâce à laquelle l’être humain tenterait de contrôler le climat global par l’entremise de produits chimiques dispersés dans l’atmosphère.

La géo-ingénierie cache les symptômes, mais ne traite aucune des causes.

Outre qu’ainsi il confirmerait l’anthropocène et le capitalocène (cette nouvelle ère géologique caractérisée par le fait que l’humanité, ou plutôt le capitalisme constitue désormais une force centrale déterminant l’état de la Terre), l’être humain ferait dès lors la grande erreur de cacher les symptômes du problème, se condamnant à poursuivre pour l’éternité sa tentative de contrôler le climat, sous peine de révéler la gravité des transformations climatiques. En effet, la géo-ingénierie cache les symptômes, mais ne traite aucune des causes.

La menace eugéniste

À quoi pouvons-nous dès lors nous attendre d’un système ayant exclu l’abaissement du PIB et la décroissance économique, puis ayant épuisé les solutions technologiques? Si le PIB est considéré comme une entité intouchable et si la décarbonation de l’énergie ainsi que l’augmentation de l’efficacité technologique atteignent leur potentialité maximale, il ne reste alors qu’un facteur d’importance pour agir sur les causes du réchauffement climatique : la démographie.

Déjà, dans les milieux d’extrême droite et réactionnaires, se discute la réduction démographique et, comme pour la guerre contre les « wokes », ces idées extrémistes percoleront dans l’espace public par l’entremise de politicien·nes, de chroniqueur·euses et d’industriel·les conservateur·trices, inconscient·es des dangers de la propagande qu’ils et elles relaient.

Confrontés à une limite absolue, incapable de compromis, le capitalisme et son dernier gardien, le climato-négationnisme, prendront la forme tout d’abord « douce » de la réduction concertée de la population mondiale en laissant mourir ceux qui sont jugés « de trop ». Puis, comme l’a montré l’exemple de la Seconde Guerre mondiale, ces forces mortelles s’allieront avec le fascisme plutôt que de considérer l’option socialiste.