Photo: Etienne Girardet
Reportage

L’autodéfense contre le harcèlement de rue, en attendant des solutions systémiques

Une récente étude auprès de jeunes qui ont vécu du harcèlement propose des pistes de solutions, par et pour elles.

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Une récente étude montréalaise sur les effets du harcèlement de rue chez les mineures propose des pistes de solutions pour s’attaquer à ce problème qui implique des conséquences à long terme pour les victimes. Si la recherche met de l’avant des méthodes d’autodéfense pour les victimes, elle souligne également le besoin de faire de la sensibilisation auprès des hommes et des garçons, notamment à l’école.

« Moi et mes amies, on jappe après les gens qui nous disent des commentaires dans la rue. » Les personnes rassemblées vendredi soir dernier à l’Espace de solidarité de Montréal s’esclaffent en écoutant une jeune femme raconter sa tactique préférée pour faire fuir les agresseurs. 

Ils et elles y étaient réuni·es pour assister au dévoilement d’une étude dressant un portrait inquiétant du harcèlement de rue dans la métropole, qui affecte les mineures dès l’âge de 10 ans. Après la présentation des résultats, les participantes dans la salle partageaient leurs méthodes maison pour se protéger face à ces violences.

« Quand je suis témoin d’un gars qui est après une fille, je vais tout de suite faire “excuse-moi, est-ce qu’il y a un problème?”. Je soulève la situation malaisante à voix haute, parce que pour moi, c’est évident. »

« Moi, quand je me promène avec mon chien, je me sens invincible », explique une autre participante. « Quand quelqu’un m’approche, je dis “attaque!”, même si ma chienne, elle a douze ans, c’est comme une personne âgée. » Le doute est amplement suffisant pour faire fuir les agresseurs, selon elle.

Pour mieux se défendre

Dans le cadre de la recherche, les participantes ont affirmé être peu outillées pour faire face au harcèlement, rapporte Mélusine Dumerchat, chercheuse et auteure de l’étude. « D’ailleurs, lorsqu’on les a rencontré au début, elles ne savaient même pas, pour la plupart, ce que ça voulait dire le terme harcèlement de rue. Pourtant, elles en avaient vécu. »

Pour la chercheuse, cela témoigne du fait que lors de leur socialisation, les filles sont souvent privées de la capacité à se défendre. « On les responsabilise en leur disant de faire attention, on les met en garde, mais on ne les outille pas à se défendre par elles-mêmes. »

« Elles résistent, malgré toutes les injonctions sociales qui visent à les rendre complètement impuissantes. »

Mélusine Dumerchat

Au lieu de quoi, « elles apprennent sur le tas », résume-t-elle. « Elles développent plein de techniques d’autodéfense, parfois même inconsciemment. »

Celles-ci comprennent notamment des techniques de riposte verbale, par exemple, à dire non, à s’organiser en groupe pour se déplacer… Selon la chercheuse, certaines s’entraînent même physiquement afin d’être prêtes à se défendre par la force.

« Elles résistent, malgré toutes les injonctions sociales qui visent à les rendre complètement impuissantes », résume Mélusine Dumerchat.

Le besoin de se protéger représente un symptôme du problème et du manque de ressources, admet-elle. En même temps, « ça fait aussi partie des solutions, parce qu’elles s’auto-organisent et c’est important qu’elles puissent trouver leurs façons à elles de s’organiser ».

Mélusine Dumerchat souligne aussi que le harcèlement de rue est d’abord et avant tout un problème de société qui nécessitera un changement systémique.

L’école à la base de tout

La solution au harcèlement de rue ne peut pas reposer que sur les victimes, pense Audrey Simard, coordonnatrice communautaire du Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF), l’organisme ayant parrainé l’étude. « On ne peut pas se contenter de sensibiliser les victimes. On peut les outiller, mais on ne peut pas leur apprendre à ne pas être victimes. Ça ne se peut pas, elles vont l’être de toute façon. »

Il s’agit d’abord et avant tout d’un enjeu de société, et c’est elle, dans son ensemble, qui devra changer, insiste Mme Simard.

Les jeunes participantes de l’étude ont été interrogées afin de savoir quelles pistes de solutions elles envisagent. 

« Ce qui a beaucoup été nommé, c’est l’école », révèle Audrey Simard. « La responsabilité, pour elles, c’est l’école qui l’a, de leur en parler dès le plus jeune âge. »

L’école permet également de rejoindre les garçons qui se sentent souvent peu concernés par l’enjeu, rapporte-t-elle. Selon les participantes, « les gars de leur entourage pensent souvent que suivre une fille, la siffler, commenter son corps, c’est un compliment. »

« On ne peut pas se contenter de sensibiliser les victimes. On peut les outiller, mais on ne peut pas leur apprendre à ne pas être victimes. Ça ne se peut pas, elles vont l’être de toute façon. »

Audrey Simard

Audrey Simard souligne aussi les carences et les inégalités des cours d’éducation à la sexualité, souvent donnés par des enseignant·es peu formé·es, qui participent parfois eux-mêmes au harcèlement. « À l’heure actuelle, il y a des notions d’éducation à la sexualité [à l’école], mais elles sont données par des personnes qui peuvent commettre du harcèlement. »

Elle rapporte à cet effet le cas, dénoncé dans le cadre de la recherche, d’un professeur qui aurait demandé aux étudiantes de dessiner leurs seins au tableau, afin d’en commenter la forme.

« L’école et les institutions d’enseignement en général reviennent souvent dans les témoignages [des jeunes] parce que c’est là qu’elles passent la plupart de leur temps », souligne Mélusine Dumerchat.

C’est également le lieu vers lequel elles se tournent pour parler à des adultes de confiance, mais elles peinent à obtenir le soutien et les ressources dont elles ont besoin, selon la chercheuse.

Bientôt une loi?

Répondre à cette lacune en matière de soutien est par ailleurs l’objectif du collectif La voix des jeunes compte, qui demande depuis plus de cinq ans une loi-cadre qui forcerait les écoles primaires et secondaires à se munir de mécanismes pour prévenir et lutter contre les violences sexuelles entre leurs murs.

Vendredi dernier, la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal a d’ailleurs officiellement présenté un projet de loi à cet effet. En conférence de presse dimanche, elle a rappelé qu’une telle loi est déjà en vigueur dans les établissements d’enseignement supérieur. Le projet de loi est soutenu par les autres partis d’opposition.

« Ça a plein de sens pour nous », affirme Audrey Simard. « Parce que c’est ce qui mettrait en place des formations pour les adultes, les profs, les directions, le concierge. Tout le monde pourrait être outillé pour recevoir des témoignages, pour agir en tant que témoin actif et solidaire, pour éduquer les garçons à ne pas reproduire ces comportements. »

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