Nous sommes des êtres humains : le quotidien des personnes sans papiers
Après des décennies de luttes migrantes pour que les personnes sans papiers aient un statut de résident·es, le gouvernement fédéral prévoit un programme de régularisation massive au Canada. Alors que le Cabinet fédéral se prépare à décider des paramètres du programme, je veux vous parler de notre quotidien à nous, les personnes sans statut que vous côtoyez.
Le quotidien des personnes sans statut est un défi. Chaque jour, nous nous battons pour vivre dans la dignité, pour avoir un endroit où vivre, pour manger et pour avoir un travail.
Sans permis, il est très difficile de trouver un travail. Et même lorsqu’on en trouve un, nous sommes souvent exploité·es et payé·es en dessous du salaire minimum. Cette exploitation économique est tenue pour acquise par les autorités étatiques et les entreprises.
Certain·es de nos camarades ont eu des accidents de travail ou doivent composer avec des conditions de travail horribles, dont des abus et des heures interminables qui dépassent largement celles prescrites dans les normes du travail. Dans mon cas, j’ai travaillé dans une résidence pour personnes âgées durant presque sept ans, deux jours par semaine de 9 h à 23 h pour 80 $ par jour.
En raison de ces conditions de travail indécentes et du manque de protections, certain·es vont jusqu’à quitter leur emploi, au risque de ne pas pouvoir payer leur loyer et de se retrouver à la rue, ce qui arrive trop souvent. De nombreuses personnes restent à l’emploi malgré les conditions de travail indécentes. Plusieurs sont congédiées sans préavis quand l’employeur estime ne plus avoir besoin d’elles.
Sans pièce d’identité, nous vivons dans la peur constante d’être arrêté·es, détenu·es et déporté·es.
Les personnes sans statut n’ont pas accès au Régime d’assurance maladie du Québec et ne peuvent donc pas accéder aux soins de base ou aux urgences en raison des coûts trop importants de ceux-ci (encore moins aux services comme la physiothérapie ou l’ostéopathie)!
Des femmes restent dans des relations abusives parce qu’elles ont l’impression que c’est leur seule chance d’obtenir un statut et qu’elles n’ont aucun autre recours légal. Même lorsqu’elles parviennent à obtenir le soutien d’avocats, certains sont abusifs et démontrent une insensibilité complète à la situation de précarité dans laquelle se trouvent les personnes sans papiers.
Pourtant c’est très simple, ou plutôt ça devrait l’être : chacun·e de nous cherche à vivre librement, sans peur et dans la sécurité. C’est une condition de base pour vivre dans la dignité.
Sans pièce d’identité, nous vivons dans la peur constante d’être arrêté·es, détenu·es et déporté·es. Tout ça engendre des problèmes de santé mentale.
Alors, je vous demande : pourquoi ne pouvons-nous pas avoir les mêmes droits que les autres personnes que vous côtoyez? Nous sommes des êtres humains à part entière.
Nos revendications pour un programme fédéral de régularisation
Solidarité sans frontières est un réseau impliqué dans la lutte migrante depuis plus de 20 ans. Nos revendications principales sont : un statut pour tous et toutes, non à la double peine (c’est-à-dire purger une peine de prison ici, puis se faire déporter de façon permanente), non à la détention des personnes sans statut et oui aux cités sans frontières.
La régularisation continue et sans discrimination ne peut plus attendre. Les personnes sans statut exigent un programme de régularisation véritablement complet et inclusif, sans aucune exception, au Canada et au Québec.
La régularisation doit être complète et inclusive sachant que lorsqu’un groupe est exclu, l’économie globale en pâtit. La pandémie nous a appris que nous sommes tou·tes connecté·es et que l’exclusion d’une personne ou d’un groupe de personnes est nuisible à l’ensemble de la société.
Une table de coordination permanente doit être établie avec le Migrant Rights Network afin que les personnes sans papiers soient impliquées dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation du programme de régularisation. Cela permettrait d’assurer la création d’un programme efficace et sans discrimination.
Les personnes sans statut exigent un programme de régularisation véritablement complet et inclusif, sans aucune exception, au Canada et au Québec.
Les principes clés du programme devraient être les suivants :
– Le programme doit être simple et large : toute personne sans papier doit pouvoir demander et obtenir la résidence permanente.
– Il doit couvrir toutes les périodes d’arrivée au Canada, sans restriction.
– Il doit inclure tous les membres de la famille du ou de la demandeur·euse.
– Les permis de travail doivent être délivrés lors de la demande de régularisation et renouvelés automatiquement jusqu’à ce que la demande soit traitée et que la résidence permanente soit obtenue.
– Le programme doit être continu : il doit se poursuivre pour les personnes qui continueront d’arriver au pays.
Nous croyons également que le système d’immigration doit être complètement changé afin de mettre fin aux traitements inhumains.
Les procédures de demande de régularisation doivent être claires et simples afin que les personnes sans papiers soient en mesure de faire cette demande elles-mêmes, sans avoir à chercher le soutien d’un avocat. La demande ne doit pas dépendre d’une lettre d’employeur ni d’une preuve de travail ou d’un test de langue.
Personne ne doit être exclu·e, les critères d’inadmissibilité doivent être levés, et les demandeur·euses doivent avoir le droit de faire appel d’une décision de rejet.
Il doit y avoir une interdiction de détention et de déportation pendant toute la durée du programme de régularisation.
Le programme doit être annoncé trois mois avant sa mise en œuvre, avec de l’information complète et des documents disponibles dans toutes les langues. Il doit aussi y avoir une large diffusion de l’information, particulièrement sur les réseaux sociaux.
Venez lutter avec nous
Nous continuons la lutte, et invitons les gens de conscience à nous rejoindre dans les rues. Aux gens de Montréal et des environs, joignez-vous à nous le 6 mai à midi à la Place de la Gare-Jean-Talon pour un concert et une manifestation printanière bruyante dans la circonscription du premier ministre Trudeau.
Venez exiger avec nous un programme de régularisation continu qui accorde la résidence permanente à tou·tes les migrant·es sans papiers, sans exception ni discrimination, et un statut permanent à tou·tes les travailleur·euses à bas salaire dès leur arrivée.
Venez exiger que les expulsions et les détentions des personnes sans papiers et à statut précaire cessent. Venez exiger l’annulation de l’entente sur les tiers pays sûrs.
Détails de l’événement ici.
Samira Jasmin est militante et porte parole de Solidarité sans frontières.