Archive : Barricades sur le chemin Roxham, vues des États-Unis, en 2008 | Photo : wbaron (CC BY-SA 3.0)
Nouvelle

« Fermer Roxham n’est pas une solution, c’est un problème »

La nouvelle entente entre le Canada et les États-Unis met en danger les demandeur·euses d’asile selon plusieurs organismes.

·

Alors que le gouvernement Trudeau se félicite d’avoir « modernisé » l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui limite l’arrivée des demandeur·euses d’asile depuis les États-Unis, des organismes venant en aide aux migrant·es y voient plutôt un recul en matière de droits de la personne.

Dans le cadre de la visite du président Biden au Canada, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il avait négocié un élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs, en vertu de laquelle le Canada retourne vers les États-Unis, jugé comme un « pays sûr », les personnes qui passent par le pays de l’oncle Sam avant de venir demander asile au Canada.

Le nouvel accord étend l’entente sur toute la frontière canado-américaine, ce qui empêche les demandeur·euses d’asile de le contourner en entrant au Canada de façon irrégulière en évitant les postes frontaliers.

En 2022, c’étaient 25 891 personnes qui étaient ainsi entrées au pays, principalement à travers le chemin Roxham.

Un tiers pays pas si sûr que ça

« Le problème, c’est que les États-Unis ne sont pas un pays sûr : ils criminalisent les migrants, les arrêtent, les emprisonnent et séparent des familles », explique la directrice générale de la section francophone d’Amnistie internationale Canada, France-Isabelle Langlois.

De plus, nos voisins du sud ne respectent pas le principe de non-refoulement, pourtant un des fondements du droit international en matière de demande d’asile, rappelle-t-elle. Selon ce principe, un pays ne doit pas retourner une personne dans son pays d’origine si cela met sa sécurité en danger. Mais ce facteur n’est pas pris en compte dans les décisions prises par les autorités américaines, insiste Mme Langlois.

« Le problème, c’est que les États-Unis ne sont pas un pays sûr. »

France-Isabelle Langlois, Amnistie internationale

Pour Hady Anne, porte-parole de Solidarité sans frontières, lui-même ancien demandeur d’asile ayant traversé par le chemin Roxham, le fait que les États-Unis ne sont pas un pays sûr relève de l’évidence. « Pourquoi obliger des gens à rester dans un pays où ils ne se sentent pas en sécurité? », demande-t-il.

Une solution dangereuse

Le porte-parole, qui côtoie des demandeur·euses d’asile quotidiennement, rappelle que les persécuté·es qui ont traversé le monde pour arriver à la frontière canadienne ne seront pas repoussé·es par la fermeture du chemin Roxham.

« Fermer Roxham n’est pas une solution, c’est un problème. Les demandeurs d’asile ne vont qu’essayer de passer par d’autres routes plus dangereuses. On crée un danger pour la vie des demandeurs d’asile, ça n’a pas de sens et ce n’est pas humain », dénonce-t-il.

Pour France-Isabelle Langlois, ce sont surtout les réseaux de passeurs qui risquent de profiter de la situation. « Être plus ferme à la frontière, ça mène à plus de décès, plus d’extorsion par les réseaux de passeurs, plus de drames humains, mais pas à moins de passages. Se dire qu’on va fermer une frontière, ce n’est qu’une vue de l’esprit », rappelle-t-elle.

Dans tous les cas, soutenir les organismes

Les organismes qui œuvrent auprès des personnes migrantes tiennent d’ailleurs à rappeler aux gouvernements que la nouvelle entente ne viendra pas réduire les besoins en matière d’aide à l’intégration des nouveaux·elles arrivant·es.

« Les demandeurs d’asile ne vont qu’essayer de passer par d’autres routes plus dangereuses. »

Hady Anne, Solidarité sans frontières

« Peut-être que ça va retarder certaines arrivées dans les prochaines semaines, mais elles vont reprendre. Et en attendant, nous manquons déjà de ressources pour aider les personnes qui sont déjà là », prévient la directrice générale du Collectif Bienvenue, Dina Souleiman.

Elle précise que le Canada a déjà un bon réseau d’organismes de soutien et qu’il suffirait de mieux le financer pour avoir un grand impact sur notre capacité d’accueil.

« C’est une question de respects des valeurs fondamentales », remarque-t-elle.

Une question de responsabilité

Pour Hady Anne, le Canada et les autres pays occidentaux ont créé les conditions qui sont à la racine des problèmes de migration internationale. « Le Canada déstabilise des pays pour ses intérêts économiques. Par exemple en Mauritanie, mon pays d’origine, où il tolère un régime esclavagiste pendant que ses entreprises sont présentes pour extraire de l’or et du pétrole », dénonce-t-il.

« Si on veut régler un problème, on va à la racine. Sinon, il faut au moins ouvrir ses frontières! » conclut-il.

Vous aimez notre contenu? Abonnez-vous à Pivot pour soutenir un média indépendant qui bouleverse le statu quo, suscite le débat et permet à de nouvelles voix de se faire entendre.

Pas prêt·e à vous abonner à Pivot? Inscrivez-vous à notre infolettre pour recevoir les actualités des luttes et des alternatives.