
Santé : le privé plus cher que le public, selon une étude gardée secrète
Un projet pilote lancé par l’ex-ministre Barrette contredit l’idée selon laquelle le privé coûte moins cher et serait plus efficace que le réseau public.
Les résultats d’un projet pilote initié par l’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette, gardés secrets jusqu’à maintenant, permettent de comparer les coûts entre les cliniques privées et le réseau de santé publique : ils montrent que les chirurgies coûtent plus cher lorsqu’elles sont faites au privé.
Le gouvernement Legault a pris la décision d’augmenter le recours aux compagnies privées à but lucratif dans sa réorganisation du système de santé. Pourtant, le gouvernement est au courant que cette solution coûte plus cher.
C’est ce qui ressort de données obtenues en vertu d’une demande d’accès à l’information, effectuée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Ces données, non dévoilées au public jusqu’à présent, ont été obtenues et analysées par la chercheure Anne Plourde de l’IRIS.
Elles sont issues d’un projet expérimental lancé en 2016 par le gouvernement libéral pour comparer les coûts de certaines chirurgies d’un jour entre le réseau public et trois cliniques privées. Elles nous apprennent que pour toutes les interventions étudiées par le projet pilote, le coût pour l’État est significativement plus élevé dans les centres médicaux spécialisés (CMS) privés.
Prenons l’exemple de la chirurgie pour le tunnel carpien, une intervention qui vise à décoincer les nerfs dans le poignet. En 2019-2020, cette intervention coûte en moyenne 908 $ au privé. Dans le réseau public, elle coûte 495 $.
La coloscopie courte, elle, coûte en moyenne 739 $ au privé. Au public, elle coûte presque trois fois moins, soit 290 $.
De plus en plus cher au privé
De plus, le réseau public a été en mesure d’augmenter son efficacité, contrairement au privé. Entre les deux périodes pour lesquelles les données ont été dévoilées, les coûts ont diminué pour trois des quatre chirurgies pour lesquelles les données sont disponibles. Dans les CMS privés, les coûts de ces mêmes interventions ont augmenté durant la même période.
Selon Anne Plourde, « le projet pilote vient remettre en question deux des principaux mythes véhiculés par les défenseurs du privé en santé, qui prétendent que le secteur privé coûte moins cher et qu’il est plus efficace que le secteur public ».
Un projet coûteux, des résultats dissimulés
Le décret ayant lancé le projet pilote en 2016 prévoyait que l’État rembourse la totalité des coûts directs (salaires et fournitures) et indirects (frais administratifs, location et rénovation des bâtiments, équipement, etc.) aux cliniques privées. Le projet prévoyait en plus que les CMS empochent un profit équivalent à 10 % de ces coûts.
« On a dépensé beaucoup d’argent pour faire cette étude et le gouvernement ne semble pas vouloir tirer les conclusions qui en découlent »
Anne Plourde
Pour Anne Plourde, ce mode de fonctionnement est un « incitatif à augmenter les coûts », car plus ceux-ci augmentent, plus la part de profit augmente aussi.
Du premier juillet 2016 au 16 mars 2020, le coût total de revient (frais directs et indirects) pour les interventions effectuées dans les trois CMS du projet pilote s’élevait à près de 80 millions $ : 40 millions $ pour la clinique Chirurgie DIX-30 INC., 9,6 millions $ pour Opmédic Inc. et 29,5 millions $ pour Rockland MD.
En septembre 2022, Pivot rapportait que le ministère de la Santé et des Services sociaux refusait de dévoiler les résultats de ce projet pilote, sous prétexte que « les résultats comparatifs incluent des données confidentielles des cliniques privées, lesquelles ne peuvent être communiquées ».
« On a dépensé beaucoup d’argent pour faire cette étude et le gouvernement ne semble pas vouloir tirer les conclusions qui en découlent », se désole Anne Plourde.
À l’heure actuelle, les conditions avantageuses offertes aux cliniques lors du projet pilote « sont reproduites dans les contrats que le gouvernement signe avec les CMS », ajoute-t-elle, « et il n’y a aucune donnée pour démontrer que cela va augmenter l’accessibilité aux soins ».