Comparaison privé-public en santé : une autre étude secrète

En santé, le privé est-il en mesure d’offrir le même traitement à un coût moindre? Malgré un projet expérimental ayant coûté 70 millions $, nous n’avons toujours pas la réponse.

L’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette a lancé en 2016 un projet pour comparer les coûts de certaines chirurgies d’un jour entre le réseau public et trois cliniques privées. Malgré les sommes importantes versées aux cliniques privées, les résultats de cette comparaison n’ont toujours pas été rendus publics. Pourtant, le recours au privé en santé est de plus en plus grand et certains partis proposent de lui donner une place encore plus importante.

Lancé par le gouvernement libéral de Philippe Couillard, le projet pilote a été renouvelé pour un an en 2019 par le gouvernement de François Legault.

Il consistait à confier des patient·es en attente de chirurgie à des cliniques privées, tout en couvrant les frais avec l’argent public. L’expérience devait faire diminuer les listes d’attentes, mais aussi permettre de calculer le coût exact des chirurgies et de savoir si le privé était en mesure de les offrir à meilleur coût.

« Pour le bilan, l’analyse, les bénéfices et les coûts du projet expérimental, nous devrons attendre la fin du projet, dans un an », affirmait le gouvernement Legault en 2019, lorsque questionné par l’opposition sur les retombées de l’expérience.

Or, ce bilan et ces analyses ne sont toujours pas connus : les données sur les coûts des chirurgies au privé et au public n’ont jamais été rendues publiques.

« Les résultats comparatifs incluent des données confidentielles des cliniques privées, lesquelles ne peuvent être communiquées », nous explique la porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Noémie Vanheuverzwijn.

Pourtant, au lancement du projet pilote, pour recevoir des patient·es, et donc de l’argent public, les cliniques participantes devaient s’engager à des conditions de « transparence absolue » et à une « ouverture complète des livres ».

Ce que l’on sait de ce projet pilote : 74 951 chirurgies ont été effectuées entre juin 2016 et février 2020, pour un coût total de 71,6 millions $. Ce montant, versé aux trois cliniques privées participantes, a largement dépassé les prévisions.

À l’origine, le coût du projet était estimé à 4 millions $ par an. Mais en 2018, ce sont près de 24 millions $ qui ont été payés aux trois cliniques. Entre janvier 2019 et février de l’année suivante, ce sont encore près de 28 millions $ que les cliniques se sont partagés, soit sept fois plus que le montant estimé initialement.

Une expérience inaboutie

Le « projet expérimental de comparaison des coûts liés aux chirurgies » visait à détailler les coûts précis des interventions chirurgicales et de certains examens médicaux techniques.

Cette comparaison devait permettre de vérifier la prétention des cliniques privées à offrir les mêmes traitements à meilleur prix. « Le privé dit toujours “on peut faire mieux, à meilleur coût”. Parfait, vous dites que vous êtes capables de faire mieux, on va aller voir […], la preuve va être faite », avait déclaré le ministre Barrette lors du lancement du projet.

Pour y arriver, des patient·es en attente de chirurgie d’un jour ou de certaines procédures similaires étaient dirigé·es vers les cliniques privées participantes. Ces personnes n’avaient pas à payer de leur poche, car ces interventions étaient couvertes par l’assurance maladie.

Les cliniques devaient comptabiliser leurs coûts directs (salaires, matériel) et les coûts indirects (administration, immobilier). Les cliniques privées ajoutaient à ce montant une marge de profit de 10 %.

Bien que le projet a été pensé initialement comme un exercice de comparaison des coûts, les « données des cliniques privées participantes ne sont toutefois pas directement comparables avec le réseau, car les caractéristiques cliniques des cas et les lieux de dispensation des services diffèrent entre les cliniques privées et le réseau public », affirme aujourd’hui Mme Vanheuverzwijn.

Un pas de plus vers la concurrence en santé

Pour le ministre Barrette, l’évaluation des coûts était une étape en vue de l’implantation éventuelle du « financement à l’activité », un mode de financement où les hôpitaux recevraient de l’argent selon les interventions effectuées et non selon un budget fixe. Ce mode de financement, critiqué, vise à introduire une forme de concurrence entre les établissements, ce qui en théorie doit les rendre plus efficaces.

Gaétan Barrette affirmait qu’il était difficile de déterminer de façon précise le coût d’une intervention dans le réseau public. Selon lui, il était donc nécessaire d’avoir recours à un « environnement le plus contrôlé possible, c’est-à-dire un environnement fermé ». Ces environnements fermés étaient les trois cliniques privées choisies pour le projet pilote.

Mme Vanheuverzwijn affirme que les données du projet pilote ont bel et bien été utiles pour le déploiement du financement à l’activité en permettant de documenter le volet financier de ces interventions. Ces données ne sont toutefois pas publiques.

Actuellement, le financement à l’activité fait partie du programme de la CAQ et du Parti conservateur du Québec.

Le Dr Gaétan Barrette n’a pas donné suite à notre demande de commentaires.

LE CHOIX DES CLINIQUES SOULÈVE DES QUESTIONS

Les trois cliniques choisies étaient la clinique de chirurgie DIX30, le centre de chirurgie Rockland MD et la clinique Groupe Opmedic. Dès le départ, le choix de certaines de ces cliniques privées a suscité la controverse.

La clinique de chirurgie DIX30, située dans la circonscription de La Pinière du Dr Barrette, a débuté sa participation avant les autres. De plus, elle ne parvenait pas à payer son loyer sans l’argent qu’elle recevait du gouvernement, rapportait le Journal de Montréal.

Le Centre de chirurgie Rockland MD avait déjà bénéficié d’une entente avec l’hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal. De 2008 à 2013, la clinique avait reçu près de 18 millions $ pour avoir accueilli un peu moins de 9000 chirurgies. C’est le ministre Barrette lui-même qui avait mis le dernier clou dans le cercueil de ce contrat en 2014. Les coûts y étaient plus élevés qu’au public.

De plus, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) réclamait de l’argent à la clinique Rockland MD pour des frais illégaux facturés aux patients. En 2018, la Cour supérieure du Québec ordonnait à la clinique privée de rembourser 546 000 $ à la RAMQ.

A l’époque, contrairement au Parti québécois et à Québec solidaire, la Coalition avenir Québec était favorable à l’entente avec Rockland MD et ne jugeait pas que la poursuite de la RAMQ devrait disqualifier la clinique.

.

Auteur·e

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut