Des participant·es regardent le manifeste vidéo du Mouvement jeunes et santé mentale, le 20 avril 2023. | Photo : Léa Beaulieu-Kratchanov
Nouvelle

Les jeunes se lèvent contre la médicalisation des problèmes sociaux

Un rassemblement de jeunes présente son manifeste contre la médicalisation de la santé mentale, trop souvent réduite à un enjeu purement médical, sans tenir compte du contexte social.

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Le Mouvement jeunes et santé mentale a présenté jeudi soir son manifeste vidéo où on dénonce la médicalisation de la santé mentale, qui fait des personnes touchées « des malades à guérir », à coup de diagnostics hâtifs et de surmédicamentation. Les membres du Mouvement rappellent qu’il faut d’abord et avant tout s’attaquer aux enjeux de société qui génèrent de plus en plus de détresse psychologique.

Jeudi soir, à l’Écomusée du fier monde, à Montréal, une soixantaine de personnes se sont réunies pour assister à la toute première projection d’un manifeste vidéo signé par près de 80 jeunes qui posent un regard critique sur la médicalisation de leur santé mentale.

On y décrit comment les difficultés de santé mentale sont souvent réduites à un diagnostic impersonnel, à une étiquette pathologique qui réduit ceux et celles qui la portent « à des malades à guérir, observés à travers une lunette biomédicale ».

S’ensuivent des listes d’attente interminables, l’excès de médicamentation, le manque d’information sur les traitements et leurs effets secondaires, le non-respect des droits au consentement, à la participation…

La liste des enjeux est longue, mais le verdict des jeunes est unanime.

« Ça veut dire qu’on ne nous écoute pas », s’indignent ceux et celles qu’on voit dans la vidéo. « Ces enjeux nous concernent, mais on ne reconnaît pas notre participation égalitaire sur toutes les questions qui concernent notre santé mentale. »

L’initiative provient du Mouvement jeunes et santé mentale (MJSM), un rassemblement par et pour la jeunesse qui vise à lutter contre la médicalisation des problèmes sociaux.

L’idée qui anime le mouvement, c’est de créer un espace pour permettre aux jeunes de participer à une conversation sur leur santé mentale, une discussion qui les concerne, mais dont ils et elles sont pourtant trop souvent exclu·es.

Diagnostics hâtifs

Yami n’avait que douze ans lorsqu’un pédopsychiatre lui a posé huit diagnostics, lors d’une rencontre durant laquelle il n’a pas prononcé un seul mot. Il apprendra plus tard que le trouble de personnalité limite (TPL) qu’on lui avait collé n’en était pas un, mais le mal sera déjà fait.

« Je me demande encore aujourd’hui comment il a fait », s’indigne Yami. « C’est illogique, il n’a pas pris le temps de me connaître, de savoir je suis qui, d’où je viens. Les facteurs extérieurs, pas juste l’ici maintenant. »

« C’est quoi qui te permet de dire c’est quoi ma réalité à moi? Tu n’es pas dans mes souliers depuis le début. »

Yami

Vient également avec le diagnostic une étiquette sociale – un TPL, un TDAH, un choc post-traumatique, un trouble dépressif ou anxieux – qui peut discréditer ceux et celles qui se la font coller et leur voler le droit de se prononcer sur leurs propres expériences.

« Le diagnostic de TPL vient avec beaucoup de conséquences », explique Yami en disant avoir vécu de la stigmatisation. « Les différents services, par exemple policiers ou d’urgences […] ne prenaient pas en compte ce que je disais en voyant mon diagnostic. »

« C’est quoi qui te permet de dire c’est quoi ma réalité à moi? Tu n’es pas dans mes souliers depuis le début. »

Surmédicamentation

Pour Yami, comme pour plusieurs autres jeunes, un diagnostic hâtif implique une médication excessive, qui est au mieux inutile, mais souvent nuisible, en raison de la dépendance et des effets secondaires qu’elle peut impliquer.

Selon le MJSM, un médecin pourrait même effectuer une prescription pour une personne endeuillée dont les symptômes de « dépression » persistent au bout de deux semaines.

« C’est parce qu’il n’y a pas d’autres services accessibles », souligne Myriam Lepage-Lamazzi, coordonnatrice du MJSM. « Les gens se retrouvent chez leur médecin de famille, qui eux ont des gens en détresse dans leurs bureaux. »

« C’est trop facile de donner une médication pour des problèmes sociaux, qui sont hors de la personne elle-même, qui sont des problématiques de communauté. »

Yami

Les médecins peuvent alors offrir une référence pour consulter un·e spécialiste, mais les listes d’attentes peuvent s’échelonner sur des années. Plusieurs se tournent vers la médication afin de soulager temporairement leurs patient·es.

« Sauf que là, il n’y a pas de plan d’arrêt de médication, il n’y a pas de suivi formel dans la majorité des cas », s’inquiète-t-elle. « On a des jeunes très jeunes qui ont de la médication et personne n’a prévu de l’arrêter. Il n’y a pas de plan de traitement. »

Un enjeu de société

« C’est trop facile de donner une médication pour des problèmes sociaux, qui sont hors de la personne elle-même, qui sont des problématiques de communauté », explique Yami en évoquant entre autres l’écoanxiété, l’itinérance et la crise du logement. 

« Les gens ne s’imaginent pas d’avenir, c’est dur », signale Myriam Lepage-Lamazzi.

À court terme, « on peut désengorger les listes d’attentes, parce ce que c’est important, il faut offrir quelque chose aux gens qui en ont besoin maintenant », observe-t-elle. « Mais si on veut que ça arrête de monter, ce n’est pas juste en trouvant des services : c’est en s’attaquant à toutes ces choses qui génèrent de la détresse. »

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