La ségrégation scolaire : l’éléphant dans la salle de classe au Québec

Les priorités de Bernard Drainville en éducation font fi de cet enjeu de taille.

Au Québec, la ségrégation scolaire est la conséquence d’un système à trois vitesses critiqué par l’ONU où l’on trouve des écoles privées subventionnées, des programmes publics sélectifs et le système public dit « régulier ». Cette séparation des élèves en différentes classes demeure peu discutée en dépit de ses impacts dévastateurs sur celles et ceux qui sont relégué·es à la troisième catégorie.

La ségrégation scolaire représente la séparation des élèves dans des classes ou des écoles, selon le revenu de leurs parents ou leurs résultats scolaires. Cela perpétue donc les inégalités sociales existantes. 

Au Québec, elle est particulièrement prononcée en raison d’un système scolaire à trois vitesses où l’on trouve un réseau privé subventionné et un réseau public, lui-même constitué des programmes particuliers sélectifs (sports-études ou « internationaux », par exemple) et le régulier, moins convoité.

C’est dans cette dernière catégorie que se concentre une majorité d’élèves en difficulté ou issu·es de milieux défavorisés, selon le Conseil supérieur de l’éducation.

Ainsi isolé·es, ces élèves sont dès lors moins susceptibles de poursuivre leurs études aux niveaux collégial et universitaire que leurs collègues des programmes particuliers et du privé, selon une étude de l’Université Laval.

« Ça fait en sorte que le public “régulier”, n’a plus rien de régulier », explique Ismaël Seck qui est enseignant en adaptation scolaire à l’école secondaire publique Lucien-Pagé. « Une classe régulière devrait avoir des élèves faibles, des élèves dans la moyenne et des élèves forts. Mais on n’est plus là. » 

Ségrégation à la montréalaise

L’école Lucien-Pagé est située à Montréal, à la frontière entre Parc-Extension et Villeray, deux quartiers de niveaux socioéconomiques différents : Parc-Extension est bien moins nanti et plus multiculturel que Villeray. Cette école est donc un exemple particulièrement frappant pour considérer les effets de la ségrégation scolaire. 

Même si elle est à mi-chemin entre les deux quartiers, « notre école ressemble beaucoup plus à Parc-Extension, et de manière très minoritaire à Villeray », explique Ismaël Seck.

« C’est vraiment cette séparation des classes sociales qui s’opère : les élèves de Villeray choisissent les programmes particuliers ou le privé, alors que ceux de Parc-Extension viennent au public, majoritairement dans les classes régulières. »

« Une classe régulière devrait avoir des élèves faibles, des élèves dans la moyenne et des élèves forts. Mais on n’est plus là. »

Ismaël Seck

Dans ses classes, M. Seck enseigne à une vingtaine d’élèves qui ont doublé leur première ou deuxième année du secondaire.

« J’ai des élèves qui ne mangent pas », lance-t-il en soulignant les liens entre les difficultés scolaires que vivent les élèves et les enjeux auxquels ils font face à la maison. « On a beaucoup de parents dont les enfants sont en difficulté et qui veulent les aider, mais ils ont deux emplois, ils travaillent de nuit… Ils veulent être là, mais ils ont de la difficulté à se rendre disponibles. »

L’enseignant souligne que certains élèves se découragent et ne se présentent plus en classe. « Ils ont une perception négative d’eux-mêmes et une anxiété scolaire, ils ne veulent plus rien savoir. »

Marchandisation scolaire

« Au Québec, on a laissé aller le système d’éducation au point où ça en est devenu un véritable marché scolaire », explique Stéphane Vigneault, porte-parole d’École ensemble, un organisme fondé par des parents d’élèves qui militent pour l’égalité des chances en éducation.

« Les écoles sont en compétition pour les élèves les plus payants en argent et en notes », souligne M. Vigneault.

C’est en 1968 que le Québec amorçait le financement des écoles privées avec des fonds publics, enclenchant une augmentation graduelle des parts de marché du privé par rapport au public.

En 1970, à peu près 5 % des jeunes Québécois·es fréquentaient l’école secondaire privée. Plus de cinquante ans plus tard, cette proportion a dépassé le cap des 20 % selon l’IRIS. 

Afin de faire concurrence aux écoles privées, le public a dès lors mis sur pied des programmes sélectifs, comme le sport-étude et le baccalauréat international qui connaissent beaucoup de succès. Selon l’IRIS, ce serait 19 % des élèves qui sont inscrits à ce type de programme aujourd’hui.

École ensemble avait sonné l’alarme en 2020, incitant l’ONU à demander au Canada de rendre des comptes sur le système à trois vitesses du Québec. En dépit du consensus sur les conséquences négatives de ce système inégalitaire, le gouvernement provincial n’a pour le moment pas proposé de politique concrète pour aborder le problème.

Dans ses priorités annoncées récemment, le ministre de l’Éducation Bernard Drainville propose de faciliter l’accès aux projets particuliers dans les classes régulières du réseau public. Pour M. Vigneault, ce n’est là qu’une fausse solution.

Il souligne que la ségrégation scolaire ne peut être éradiquée sans une restructuration du système d’éducation. « Les écoles privées subventionnées et les écoles publiques sélectives vont continuer à choisir elles-mêmes leurs élèves. »

« Le gouvernement continue de nier l’existence de l’école à trois vitesses », déplore-t-il.

Les vertus de la mixité 

Le manque de mixité dans les classes régulières a un impact dévastateur sur les résultats des élèves.

Inversement, dans un groupe équilibré, les élèves en difficulté « obtiennent de meilleurs résultats au contact d’élèves qui apprennent facilement », conclut un rapport du Conseil supérieur en éducation paru en 2016. Les bons résultats des élèves performants sont par ailleurs maintenus.

« On voit qu’en bout de ligne, l’équité mène à l’excellence »

Stéphane Vigneault

Dans son plan d’action, École ensemble propose entre autres d’offrir un financement complet aux écoles privées, contre quoi elles garderaient leur statut juridique, mais perdraient leur droit de regard sur la sélection des élèves. Tout comme les écoles publiques régulières, elles s’engageraient donc à offrir des services gratuitement à tou·tes élèves résidant dans leur zone.

Cette solution ressemble au système Finlandais qui, selon M. Vigneault, représente un modèle à suivre.

Au cours des années 1970, le pays avait intégré ses écoles privées dans un réseau scolaire commun avec un objectif d’équité. L’effet collatéral que l’on n’imaginait pas au départ a été la réussite scolaire des jeunes Finlandais·es.

« La fondation du système finlandais c’est une forte équité entre les écoles et les élèves et on voit qu’en bout de ligne, l’équité mène à l’excellence », conclut M. Vigneault.

Depuis 2000, le pays figure à la tête du classement de l’enquête PISA de l’OCDE qui évalue les étudiant·es dans près de 80 pays membres.

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