Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a annoncé jeudi ses priorités pour assurer la réussite scolaire des jeunes. Il a entre autres promis la formation rapide de plus d’enseignant·es, ainsi que du personnel de soutien pour les classes qui débordent. Mais pour le personnel scolaire, ces priorités répondent mal aux enjeux dans les écoles.
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a dévoilé jeudi les priorités de son gouvernement pour assurer la réussite scolaire des jeunes. Il promet entre autres une revalorisation de la langue française, de l’aide dans les classes pour les enseignant·es, un meilleur accès aux projets particuliers pour les élèves, un meilleur accès aux données dans le réseau et de nouvelles infrastructures.
« Il y a de la logique dans ce qui est proposé », admet Jonathan St-Pierre, professeur de Monde et enjeux contemporains au secondaire à Rouyn-Noranda et activiste pédagogique. « Mais il n’y a pas beaucoup de moyens, c’est très utopique. Concrètement, on ne sait pas comment ça va se faire. »
Afin de répondre à la pénurie de main-d’œuvre, le ministre a aussi promis de former plus d’enseignant·es grâce à un diplôme de deuxième cycle universitaire, qui constituerait « une voie rapide vers le brevet d’enseignement ». Cela permettrait notamment à des diplômé·es universitaires qui n’ont pas un baccalauréat en éducation d’accéder à une formation courte de deuxième cycle en enseignement.
Pour M. St-Pierre, ce n’est là qu’une solution tampon.
« On pourrait inviter un million de nouveaux enseignants demain matin, mais s’ils ne veulent pas rester, on n’est pas plus avancés. » Selon lui, répondre au problème en formant davantage d’enseignant·es, mais sans alléger leurs tâches ni améliorer leurs conditions de travail, cela est peine perdue.
« On fait juste repousser un problème qui ne fait que grossir, de jour en jour. »
Des enseignant·es surchargé·es
Dans l’une de ses classes, M. St-Pierre a actuellement 34 étudiant·es, ce qui est au-delà de la limite permise.
Ce genre de débordement n’est pas rare dans les écoles du Québec. Les centres de services scolaires ont d’ailleurs récemment réclamé une hausse de la limite de deux élèves par classe pour contrer la pénurie d’enseignant·es.
Cette proposition a été immédiatement décriée par les syndicats d’enseignant·es.
« Quand on a autant d’étudiants, il n’y en a aucun qui sont au même niveau », explique M. St-Pierre. Il n’a donc pas le loisir d’adapter son enseignement aux besoins particuliers de chacun.
« Tu ne pousses pas les plus forts à se dépasser et tu n’aides pas non plus les plus faibles à sortir de leurs difficultés. T’as l’impression de travailler dans le beurre. »
C’est un problème que partage Ismaël Seck, enseignant en adaptation scolaire à l’école secondaire Lucien-Pagé. Dans ses classes, on compte entre 15 et 17 étudiant·es qui ont redoublé leur première ou deuxième année du secondaire.
« Les services publics ont été sous pression pendant très longtemps, entre autres en raison de gouvernements qui ont beaucoup coupé dans les services », explique celui qui a été candidat pour Québec solidaire. « Notre travail s’est complexifié. Au quotidien, on est plus seulement des profs, on est aussi des éducateurs spécialisés, des psys, des travailleurs sociaux à nos heures. »
« Tu ne pousses pas les plus forts à se dépasser et tu n’aides pas non plus les plus faibles à sortir de leurs difficultés. T’as l’impression de travailler dans le beurre. »
Jonathan St-Pierre
Le manque de ressources professionnelles contraint les enseignant·es à porter plusieurs chapeaux, quitte à empiéter sur leurs tâches pédagogiques. « Ça a un réel impact direct sur l’apprentissage des élèves. »
Dans ce contexte, selon lui, l’idée avancée par le gouvernement, de mettre sur pied des projets particuliers est louable, mais irréaliste. « Il faut des enseignants pour faire vivre ces programmes-là », pose-t-il. « J’ai hâte de voir, en contexte de pénurie, comment on ferait pour généraliser partout sur le territoire des programmes particuliers. »
L’aide à la classe
Ce serait pour pallier la surcharge des enseignant·es que le ministre Drainville promet une aide de classe, un autre adulte qui assisterait aux cours et appuierait l’enseignant·e dans ses tâches.
Cela pourrait représenter l’occasion d’enfin mobiliser le personnel de soutien, que l’on peine justement à retenir à cause d’un manque d’heures de travail et d’horaires brisés.
« Le gouvernement aurait tout avantage à fidéliser son personnel en donnant des conditions de travail intéressantes. »
Audrey Larouche
À l’heure actuelle, ce personnel de soutien « est trop souvent oublié », a rappelé dans un communiqué Audrey Larouche, vice-présidente du secteur scolaire de la Fédération des employées et employés des services publics. Avec peu d’heures de travail rémunérées, plusieurs se trouvent en situation de précarité financière.
« Une grande partie de ces travailleuses et travailleurs ne gagne pas 26 000 $ par année », a-t-elle indiqué. Et ce, en dépit d’une lourde charge de travail au quotidien.
« Le gouvernement aurait tout avantage à fidéliser son personnel en donnant des conditions de travail intéressantes », a-t-elle précisé en entrevue. Créer des postes d’aide à la classe représenterait une piste de solution à l’attraction et la rétention du personnel selon elle.
Mobiliser ce personnel pourrait donc faire d’une pierre deux coups, selon M. St-Pierre : offrir une aide nécessaire aux élèves, et des heures de travail à des employé·es qui en manquent. « C’est quelque chose de concret, c’est quelque chose qui est proposé depuis longtemps », rappelle-t-il.
Au-delà de la classe
Pour vraiment favoriser la réussite scolaire, croit Ismaël Seck, il faut plus que des mesures ciblées sur les écoles : il faudrait plus généralement s’attaquer aux grandes inégalités sociales.
« Beaucoup de nos élèves en difficulté sont en difficulté parce que leurs parents sont dans un état de précarité qui est majeur. »
Ismaël Seck
« On sait depuis longtemps que le niveau de réussite et le taux de décrochage, il y a une grande corrélation entre ces variables-là et le niveau socio-économique des quartiers, des familles. »
« J’ai des élèves qui ne mangent pas », lâche M. Seck. « Beaucoup de nos élèves en difficulté sont en difficulté parce que leurs parents sont dans un état de précarité qui est majeur. »
Pour l’enseignant, la réussite scolaire des jeunes dépasse donc de loin l’éducation.
« Oui, on peut réfléchir à comment on enseigne mieux le français, puis comment on peut réduire le nombre d’élèves par classe, mais si on ne regarde pas en même temps les déterminants sociaux, on va rater la cible. »