
La ségrégation, une réalité grandissante dans les écoles québécoises
Les élèves du secondaire sont de plus en plus regroupé·es selon leur performance scolaire et leur appartenance socioéconomique, ce qui nuit à l’apprentissage des élèves vulnérables.
En multipliant leur offre de programmes particuliers pour concurrencer l’école privée, les écoles publiques ont réduit la mixité au sein de leurs classes ordinaires. Une stratégie qui nuit aux élèves les plus vulnérables et contribue à perpétuer les inégalités dans la province.
La popularité grandissante des programmes particuliers (par exemple « internationaux » ou de sports-études) dans les écoles publiques québécoises nuit à l’égalité des chances des élèves de la province, prévient une nouvelle analyse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques du Québec (IRIS).
Selon les calculs de l’IRIS, 19 % des élèves du secondaire fréquentent maintenant ces programmes dont la popularité n’a cessé de croître au cours des 20 dernières années. Si l’on additionne le 21 % des élèves fréquentant les écoles privées à ceux des programmes particuliers, ce serait 40 % des jeunes qui seraient ainsi retiré·es des classes ordinaires du réseau public.
Une augmentation substantielle, sachant que le cumul des élèves fréquentant des programmes particuliers ou l’école privée s’élevait à 16 % en 2001-2002 et à 20 % en 2013-2014, selon une étude antérieure de l’IRIS.
Or, la perte de mixité, ou « écrémage », des classes ordinaires impacte les résultats des élèves qui y demeurent et n’améliore que très peu la performance des élèves qui quittent, explique la politologue et auteure de l’étude Anne Plourde.
Un constat partagé par le Conseil supérieur de l’éducation : « Dans un groupe mixte équilibré, les élèves performants maintiennent leurs bons résultats, et ceux qui éprouvent des difficultés obtiennent de meilleurs résultats au contact d’élèves qui apprennent facilement », concluait le conseil après avoir revu la littérature scientifique sur le sujet.
La logique du marché à l’école
Si au début du siècle la ségrégation scolaire s’accentuait principalement en raison de l’attrait de l’école privée, aujourd’hui ce sont plutôt les programmes particuliers qui y contribuent.
Ces programmes, qui comprennent entre autres les programmes d’études internationales, de sport-études et d’art-études, ont été déployés par les écoles publiques justement pour tenter de freiner l’exode des élèves vers les écoles privées, explique Anne Plourde.
Cette stratégie aurait fonctionné, selon les données de l’IRIS, puisque la fréquentation des écoles privées, qui était en augmentation constante depuis les années 2000, s’est stabilisée dans les dernières années. « Mais pour y arriver, nous avons reproduit le modèle de l’école privée à l’intérieur de l’école publique », remarque la chercheuse. Si bien que les écoles publiques compétitionnent aujourd’hui non seulement avec les écoles privées, mais aussi les unes avec les autres pour avoir le plus d’élèves et les subventions qui leur sont associées.
Et cela continue d’exacerber le problème de « l’écrémage » des classes ordinaires, puisque les programmes particuliers, tout comme les écoles privées, courtisent d’abord les élèves les plus performant·es.
« On se retrouve vraiment avec une école à trois vitesses et avec des inégalités importantes entre les écoles privées et publiques et au sein même des écoles publiques », illustre Anne Plourde.
En plus d’exiger un seuil de performance scolaire, qui empêche les élèves avec des difficultés d’apprentissage d’y accéder, les programmes particuliers imposent aux parents des frais importants. Cela crée une importante barrière à l’entrée pour les personnes appartenant à un groupe socioéconomique moins favorisé, remarque Anne Plourde. « Ces frais sont en moyenne de 1200 $ par année et peuvent atteindre jusqu’à 14 000 $ dans certains programmes », précise-t-elle.
Après avoir étudié les systèmes scolaires ailleurs dans le monde où se côtoient des réseaux publics et privés, le Conseil supérieur de l’éducation concluait que la logique de marché est un grand vecteur d’inégalité lorsqu’elle est appliquée au domaine de l’éducation. « Plus la concurrence entre les écoles est forte, plus les performances scolaires des élèves sont liées à leur origine sociale », remarquait le conseil.
Renverser le modèle
Les programmes particuliers offrent tout de même des possibilités pédagogiques intéressantes et contribuent à motiver les élèves et les professeur·es, remarque la chercheuse. Le problème, c’est que les élèves qui en bénéficieraient le plus n’y ont pas accès, dénonce-t-elle. « Le problème ne vient pas nécessairement des programmes particuliers en tant que tels, mais de leur caractère élitiste », résume Anne Plourde.
Ainsi, elle suggère de rendre les programmes spéciaux accessibles gratuitement à l’ensemble des jeunes, sans non plus les discriminer selon leurs résultats scolaires : cela aiderait à rétablir l’équité des chances au sein de l’école publique, juge-t-elle.
Toutefois, pour la dynamique marchande qui est au cœur du problème, le gouvernement devra, d’après elle, revoir la place occupée dans son réseau par les écoles privées, dont il assure d’ailleurs 60 % du financement, conclut-elle.