
Redonner aux personnes incarcérées le contrôle sur leur vie
Il faut offrir davantage de libre arbitre aux individus criminalisés, croit le criminologue Jean-Claude Bernheim.
Le décès de Nicous D’Andre Spring, survenu le 24 décembre dernier à la prison de Bordeaux, a soulevé de nombreux questionnements quant au traitement accordé aux détenu·es. L’utilisation démesurée de la force par des agents correctionnels serait en cause dans le décès du jeune homme, qui était détenu illégalement.
Pour plusieurs expert·es, cet événement met en évidence l’urgence de repenser le système carcéral, basé sur le contrôle des corps criminalisés. Pour faire contrepoids au contexte de répression et d’impunité des prisons actuelles, l’approche non contrôlante, envisagée par certains criminologues, serait une alternative à considérer.
« Les principes sur lesquels fonctionnent les prisons aujourd’hui sont les mêmes qui existaient au 18e siècle. Ce sont des principes voulant exclure les gens qui ont commis des infractions du reste de la société, dans un contexte de répression, d’impunité et de censure », explique le criminologue Jean-Claude Bernheim, en entrevue à CKIA FM.
Pour l’expert, la mort de Nicous Spring démontre bien les dérapages possibles de ce système, qui défie les principes démocratiques, en ce sens qu’il n’est jamais remis en question ni ne fait état de débat public, contrairement à l’éducation ou à la santé, par exemple. « Qui sait ce qui se passe vraiment dans les prisons? Qui a le droit d’y aller? » questionne le président de la Société John Howard, un organisme venant en aide aux individus incarcérés et à leurs proches.
« Ce genre de décès est dramatique pour tout le monde. La communauté qui entoure ce jeune homme ne croit plus au système. Ça altère la confiance. »
Collaboration Pivot x CKIA FM x RÉPAC
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Le double standard des comportements criminels
Il existerait un double standard dans le traitement des comportements criminels, selon Jean-Claude Bernheim. Pour illustrer cette idée, le criminologue prend l’exemple de l’article du Code criminel qui sanctionne le vol.
« Si vous allez dans un magasin et que vous faites un vol à l’étalage, vous allez être criminalisé en vertu du Code criminel. Mais un commerçant qui fait de la publicité trompeuse et qui vole un client sera poursuivi par la Loi sur les pratiques commerciales, qui n’a rien à voir avec le Code. Si le magasin est condamné, au pire ce sera une amende, mais personne n’ira en prison. »
Les mécanismes de contrôle des comportements seraient ainsi différents selon les individus et leur pouvoir dans la société. « Si on regarde qui est en prison, il y a peu d’avocats, peu de médecins. Les gens saisis par le système, c’est une catégorie de personnes : en général des gens qui n’ont pas beaucoup de pouvoir au sein de la société. »
La prison serait donc faite pour exclure de la société certains types d’individus marginalisés, tandis que de nombreux « bandits en cravate » peuvent circuler librement, croit le criminologue.
Une approche alternative à la répression
Jean-Claude Bernheim défend aussi l’idée que la répression entre les murs des prisons n’est pas la seule avenue possible.
Il prône une approche non contrôlante auprès des gens criminalisés. Cette approche envisage leur libre arbitre et l’importance de leur redonner le pouvoir sur leur vie. Or, c’est justement ce pouvoir que leur enlève le système carcéral par des mécanismes de contrôle.
« Ce qu’on constate, c’est que les gens contrôlés par le système de justice ne font pas confiance à ce système. » Compte tenu de ce qu’ils ont vécu en prison, beaucoup vont plutôt réagir en opposition au système, voire même vouloir s’en venger, explique le criminologue.
Réintégrer la société, une fois passé par la prison, peut s’avérer complexe, puisque tout est mis en place pour freiner les ex-détenu·es. « D’abord, si vous avez un casier judiciaire, vous êtes limité à un paquet d’emploi. C’est facile de retomber dans l’illicite », constate Jean-Claude Bernheim.
« Le but, c’est qu’ils reprennent leur vie en main, le contrôle, en fonction de leur capacité. »
Pour envisager leur reprise en main, l’approche non contrôlante vise à questionner les détenu·es sur leurs intérêts réels, et à les impliquer dans la préparation de leur avenir. Les criminologues qui optent pour cette pratique abordent donc les personnes incarcérées en leur demandant leurs intérêts, ce qu’elles aimeraient accomplir de réaliste dans leur contexte.
Les désirs peuvent être nombreux : avoir un permis de conduire, faire des études, obtenir une carte d’assurance maladie. Ce dernier élément peut sembler anodin, mais il est bien compliqué en prison : l’absence d’outils comme un ordinateur, ou encore la littératie insuffisante pour comprendre le jargon administratif représentent parfois des barrières significatives pour les personnes détenues.
L’approche non contrôlante cherche donc à agir comme aide afin d’accompagner les détenu·es dans ce qu’ils et elles souhaitent réaliser. « On ne le fait pas pour eux. On les aide à ce qu’ils le fassent. Le but, c’est qu’ils reprennent leur vie en main, le contrôle, en fonction de leur capacité », explique Jean-Claude Bernheim.
Bien qu’une enquête publique ait été demandée pour faire la lumière sur la mort de Nicous Spring, et que l’agent correctionnel en cause ait été relevé de ses fonctions, plusieurs s’entendent pour dire que des solutions plus larges, s’attaquant aux racines des problèmes, sont à envisager. Le double standard face aux comportements criminels, de même que le profilage racial au sein des institutions carcérales sont autant de pierres qui s’ajoutent à l’urgence de réformer un système jugé dépassé.