Des participants écoutent un discours lors de la vigile commémorant la vie de Nicous d'Andre Spring. | Photo : Léa Beaulieu-Kratchanov
Nouvelle

Nicous Spring : les violations qui entourent sa mort ne sont pas rares en prison

Le décès de Nicous Spring en prison met en lumière une série de manquements, dont une incarcération illégale et le non-respect des procédures pour l’utilisation du poivre de Cayenne.

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Le 24 décembre dernier, Nicous d’Andre Spring perdait la vie à la prison de Bordeaux, où il était alors incarcéré illégalement. Lors de l’intervention qui a mené à sa mort, les agent·es correctionnel·les impliqué·es n’auraient pas respecté les procédures nécessaires lors de l’utilisation de la force. Ce genre de manquement serait fréquent dans le milieu opaque des prisons. 

Nicous d’Andre Spring était détenu illégalement à la prison de Bordeaux lors de son décès le 24 décembre dernier. Il aurait dû être libéré la veille, en même temps que deux autres détenus qui étaient toujours incarcérés la veille de Noël. 

Lors d’une intervention avec des agent·es correctionnel·les, le jeune homme de 21 ans aurait été forcé de porter un masque anti-crachat, puis poivré à plusieurs reprises. Ces deux outils, le masque et le poivre, ont pour effet de compliquer la respiration. 

Le gaz poivre requiert de plus une décontamination rapide de la personne et des lieux, ainsi qu’une surveillance médicale. Cependant, des témoignages internes sur l’intervention, parus dans les médias, montrent que Nicous Spring n’aurait pas eu accès à une décontamination adéquate et aurait été laissé sans surveillance dans une cellule. 

Après une période indéterminée, il aurait été retrouvé sans signe de vie et transporté à l’hôpital où son décès a été constaté. 

Si les différentes violations rapportées dans l’histoire de Nicous Spring ont eu des conséquences tragiques dans son cas, elles seraient courantes dans les prisons, selon des expert·es. 

Les risques des agents inflammatoires 

« On ne parle pas d’erreurs isolées », rappelle Lynda Khelil, porte-parole de la Ligue des droits et libertés, un des organismes qui réclament actuellement une enquête publique du coroner et une enquête du Protecteur du citoyen. 

Dans son plus récent rapport annuel, ce dernier note d’ailleurs que les étapes nécessaires à l’emploi sécuritaire d’agents inflammatoires ne sont pas respectées uniformément dans les prisons au Québec. On y découvre des manquements quant à la décontamination de la personne et des lieux, qui est censée être réalisée rapidement après l’utilisation de poivre de Cayenne. 

Le rapport fait état du cas d’un homme qui a tenté de se décontaminer seul dans sa cellule où il avait été aspergé à deux reprises. Des agent·es auraient plus tard remarqué qu’il était inconscient et l’auraient transféré à l’hôpital en ambulance. 

« C’est une problématique connue par le ministère [de la Sécurité publique] et manifestement il n’y a pas eu les actions requises pour y mettre fin et assurer la sécurité et la santé des personnes incarcérées », souligne Mme Khelil. 

Plus profondément, Lynda Khelil remet en question l’utilisation même du gaz poivre lors d’interventions où il ne serait pas nécessaire. 

« Quand il aborde le poivre de Cayenne dans ses rapports, le Protecteur du citoyen parle beaucoup de la décontamination, mais pas […] des motifs qui justifient l’usage de la force », critique-t-elle. « C’est comme s’il y avait une présupposition que cet usage de la force était fondé. » 

« C’est une problématique connue par le ministère [de la Sécurité publique] et manifestement il n’y a pas eu les actions requises pour y mettre fin et assurer la sécurité et la santé des personnes incarcérées »

Lynda Khelil

Par ailleurs, lorsqu’il est employé avec un masque anti-crachat – un dispositif en tissu qui recouvre la tête de la personne pour l’empêcher de cracher ou de mordre – les effets du gaz poivre sont décuplés. « C’est certain que ça crée des problèmes de respiration importants, l’un ne va pas avec l’autre », constate Alain Babineau de la Coalition rouge, un organisme qui défend la famille de Nicous Spring. 

L’utilisation du masque anti-crachat avec des agents inflammatoires avait été impliquée dans le décès de Soleiman Faqiri dans une prison en Ontario en 2016. 

L’usage simultané du masque et du gaz poivre est d’ailleurs proscrit par certains départements de police aux États-Unis, où il a été mis en cause dans plusieurs décès. En Australie, le masque anti-crachat est tout simplement interdit depuis 2018, après qu’il ait été en cause dans un autre décès là-bas. 

Un milieu opaque 

« Qui sait ce qui se passe vraiment dans les prisons? Qui a le droit d’y aller? », demande en entrevue à CKIA FM Jean-Claude Bernheim, criminologue et président de la Société John Howard du Québec, un organisme qui défend le traitement juste et humanitaire des individus incarcérés. 

« On peut constater, particulièrement au niveau du Québec, que les autorités politiques et correctionnelles mettent une chape de plomb sur tout ce qui s’y passe [en prison] et il faut des événements dramatiques comme ceux-ci, malheureusement, pour qu’on s’y intéresse minimalement », explique-t-il. 

La Coalition rouge souligne également que les comportements racistes sont fréquents en prison. L’organisation réclame entre autres qu’une enquête publique se penche sur le décès de Nicous Spring et sur le racisme systémique dans les prisons du Québec. 

Afin de faire la lumière sur le décès du jeune homme, l’organisation réclame également la publication de toute preuve vidéo de l’intervention qui a mené à sa mort.

« Les autorités politiques et correctionnelles mettent une chape de plomb sur tout ce qui s’y passe [en prison]et il faut des événements dramatiques comme ceux-ci, malheureusement, pour qu’on s’y intéresse minimalement. »

Jean-Claude Bernheim

Le ministère de la Sécurité publique n’a pas été en mesure de confirmer si de telles vidéos existent, bien qu’elles soient requises lors d’interventions impliquant la force, et notamment l’usage d’agents inflammatoires. 

Le rapport 2019-2020 du Protecteur du citoyen rapportait que les règlements qui requièrent l’enregistrement vidéo de ce type d’interventions ne sont pas toujours respectés. 

« La prison est un lieu de violation de droits systémique. Elle est fondée sur cette violation de droits », tranche Lynda Khelil. « Il y a une banalisation par les autorités carcérales [des violations] et une structure d’opacité. »

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