
En 43 minutes, les grands PDG canadiens ont fait votre salaire annuel
Grâce à l’inflation, les 100 chefs d’entreprises les mieux payés touchent des sommes records.
Le 3 janvier, à 9 h 43, soit moins d’une heure après le début du premier jour ouvrable de l’année, les dirigeants les mieux payés au pays ont déjà encaissé 58 800 $, l’équivalent du salaire qu’un·e travailleur·euse moyen·ne mettra toute une année à récolter.
Ce sont les chiffres que révèle le rapport publié aujourd’hui par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Analysant le salaire des 100 dirigeants les mieux payés au pays en 2021, le rapport démontre que l’inflation a profité aux plus fortunés l’année dernière.
Alors que la plus haute rémunération avait précédemment été atteinte en 2018, s’élevant à 11,8 millions $, elle bondit cette année à 14,3 millions $, un record sans précédent. C’est une augmentation de plus de 30 % par rapport à 2020 (10,9 millions $). Le plus petit salaire offert à ces dirigeants bat lui aussi un record : 6,7 millions de $.
Les dirigeants les plus fortunés au pays font donc 243 fois plus que les travailleur·ses moyen·nes au Canada. Le salaire du Canadien·ne moyen·ne a toutefois lui aussi fluctué : alors qu’il était estimé à 57 000 $ en 2020, il a légèrement augmenté à 58 800 $ pour l’année 2021, soit de 3 %.
Mais l’écart de richesse continue de se creuser : en l’espace d’un quart de siècle, les plus grands dirigeants d’entreprises sont passés d’environ 100 fois le salaire moyen des travailleur·ses à près de 250 fois.
Les grands gagnants de l’inflation
« L’inflation nuit aux travailleurs, mais elle est excellente pour les bénéfices des entreprises qui ont atteint des sommets historiques. Lorsque les bénéfices augmentent, les primes des dirigeants augmentent », explique David MacDonald, économiste et auteur du rapport.
Les dirigeants les plus fortunés au pays font 243 fois plus que les travailleur·ses moyen·nes.
Alors qu’en 2008, le salaire des 100 dirigeants les mieux rémunérés représentait 14 % de leur revenu, ce taux est descendu à 8 % l’an dernier. Ces PDG tirent donc principalement leur revenu des profits et des bonus qui leur sont attribués, souvent sous forme d’actions à la bourse. Ces bonus sont liés directement aux profits de l’entreprise, qui ont pour la plupart augmenté en flèche grâce à l’inflation.
L’an dernier, la pandémie de coronavirus avait affecté à la baisse le revenu de nombreuses entreprises. Pour cette raison, 49 des 100 dirigeants les mieux payés avaient changé le fonctionnement de la compensation par bonus, afin d’assurer que ceux-ci ne soient pas négativement affectés par la pandémie « dont ils n’étaient pas responsables ».
Cette année, c’est l’inflation qui profite, et les bonus sont au rendez-vous. « Les grands gagnants, quand le ou la Canadien·ne moyen·ne va mal, quand il se serre la ceinture dû à la pandémie, ou quand il peine à acheter son épicerie dû à l’inflation, ça demeure encore et toujours les plus riches, les chefs d’entreprises », commente David Macdonald.
Un plafond de verre tenace
Parmi les 100 PDG les mieux payés, seulement trois sont des femmes. Il y a donc plus de dirigeants prénommés « Mark » (le rapport en compte quatre) que de cheffes.
« L’équité entre les sexes dans les hautes sphères de pouvoir a toujours été atrocement absente au Canada », commente David Macdonald. « Le fait que 97 % des PDG les plus riches au Canada soient des hommes n’est pas nouveau, et rien ne prouve que c’est en train de changer. »
Pour l’économiste, cette réalité illustre bien une problématique plus vaste : la discrimination dans la sphère du travail, dans l’accès et dans la représentation.
« L’équité entre les sexes dans les hautes sphères de pouvoir a toujours été atrocement absente. »
David Macdonald, CCPA
Une étude menée par l’Université de l’Utah, s’intéressant à la perception publique de la place des femmes dans les positions de leader, révèle que parmi les étudiant·es au MBA interrogé·es, la majorité considère qu’à compétence égale, les femmes PDG sont moins capables de leadership, de résoudre les problèmes de l’entreprise et de la représenter auprès du public.
Selon les derniers chiffres recensés par Statistique Canada (2019), 30,7 % des chef·fes d’entreprises sont des femmes, tandis qu’elles ne représentent que 19,2 % des sièges occupés dans les conseils d’administration.
Des alternatives politiques
Le rapport du CCPA propose des recommandations politiques au gouvernement afin de lutter contre ces écarts de revenu persistants entre les plus riches et les citoyen·nes moyen·nes.
Parmi les mesures fiscales envisagées, le CCPA propose de limiter à 1 million $ la « déductibilité corporative » – soit la déduction de taxes que peut demander une entreprise pour les rémunérations qu’elle verse à ses employé·es.
Le CCPA propose également d’instaurer un impôt sur la fortune et de mettre en œuvre des tranches d’imposition plus élevées pour les ultra-riches.
« Historiquement, les taux d’imposition des plus riches du Canada étaient beaucoup plus élevés. Pas du tout par hasard, la rémunération des PDG était beaucoup plus faible lorsque les impôts étaient beaucoup plus élevés pour les plus riches », explique David Macdonald.
L’économiste estime que ces mesures permettraient à la fois de mieux redistribuer la richesse et de limiter les bonus énormes qu’empochent actuellement ces dirigeants. « Il ne sert à rien de payer des sommes exorbitantes aux PDG s’ils doivent simplement tout rembourser au gouvernement en impôts. »