
Les grands chefs d’entreprise canadiens ont déjà fait votre salaire annuel
Malgré la pandémie, les dirigeants de grandes entreprises canadiennes continuent d’engranger des revenus records.
Dès mardi le 4 janvier, un peu avant midi, les chefs d’entreprise les mieux payés au Canada auront déjà empoché l’équivalent du salaire annuel moyen d’un·e travailleur·euse.
C’est le calcul qu’a effectué le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) en se basant sur les rémunérations versées en 2020 aux 100 directeurs généraux les mieux payés au pays.
Ils ont récolté en moyenne 10,9 millions $ chacun, ce qui équivaut à 191 fois le salaire annuel d’un·e travailleur·euse moyen·ne. La rémunération la plus élevée, à 45,3 millions $, a été obtenue par David Klein, directeur général de Canopy Growth, entreprise de production de cannabis médical. La rémunération minimale au sein de ce top 100 s’élevait tout de même à 6,1 millions $ : c’est le montant touché par Alain Bouchard, président exécutif de la chaîne de dépanneurs Couche-Tard.
À noter : l’extrême majorité des chefs d’entreprise les mieux payés sont des hommes (96, contre 4 femmes).
Malgré la pandémie, l’année 2020 a été la deuxième plus profitable de l’histoire pour ces dirigeants de grandes entreprises.
Le Canada a pourtant connu son « pire ralentissement économique depuis la Grande Dépression » des années 1930, rappelle le CCPA. « Ça montre que ces chefs d’entreprise sont à l’abri des chocs économiques qui affectent tout le reste de la société », souligne en entrevue David Macdonald, économiste au CCPA et auteur du rapport.
Des entreprises profitant de l’aide d’urgence
Plus du tiers (39) de ces dirigeants ayant touché des paies faramineuses en 2020 étaient à la tête d’entreprises qui bénéficiaient de la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUCS), destinée aux entreprises en difficulté à cause de la pandémie.
Et malgré son nom, « il n’y avait aucune garantie que cette subvention servait véritablement à payer les salaires des employés », souligne David Macdonald. « Les entreprises pouvaient s’en servir pour verser des bonus à leurs dirigeants ou encore pour payer les actionnaires, si elles le souhaitaient. C’est ce que plusieurs ont fait », indique-t-il.
Cela a été modifié en juin 2021 : désormais, les entreprises ne peuvent plus toucher la SSUCS si elles rémunèrent leurs dirigeants davantage qu’en 2019. Or, « ce n’est pas une bien grande restriction », puisque l’année 2019 a été la troisième plus profitable de l’histoire pour les chefs d’entreprise, déplore David Macdonald.
De généreux bonus, malgré tout
Par ailleurs, en 2020, plusieurs entreprises ont modifié les règles de calcul des bonus versés aux dirigeants. Ces primes supplémentaires sont en effet conditionnelles à l’atteinte de certains objectifs, mais ceux-ci ont pu être ajustés pour éviter que les bonus soient réduits à cause de l’impact de la pandémie sur la performance économique. C’est le cas de quatorze des 100 dirigeants les mieux payés.
Ces manipulations « montrent la fausseté de l’idée selon laquelle la rémunération des chefs d’entreprise est liée à leur mérite », affirme David Macdonald.
« C’est très clair que le système n’est pas basé sur le mérite. Il est basé sur le pouvoir. Les dirigeants se servent de leur pouvoir pour conserver leurs avantages. »
Ainsi, les bonus ont représenté 82 % de la rémunération totale des 100 dirigeants canadiens les mieux payés en 2020. L’essentiel de ces bonus a été versé sous forme d’actions.
En offrant des actions aux dirigeants et en soumettant leur rémunération au rendement à court terme des entreprises, « on s’assure qu’ils sont avant tout au service des actionnaires, et pas des consommateurs, des travailleurs ou de la communauté », explique David Macdonald.
Face à ces « rémunérations extraordinaires » qui creusent les inégalités, le CCPA propose notamment d’ajouter des paliers d’imposition pour les plus riches, ou encore d’imposer davantage les gains liés à la revente d’actions. Le CCPA suggère aussi d’instaurer un impôt sur la fortune, c’est-à-dire ne visant pas uniquement les salaires, mais toute la richesse détenue par une personne. « Ces dirigeants n’ont pas seulement d’importantes paies, ils sont aussi extrêmement fortunés », détenant des actifs financiers en tout genre, rappelle David Macdonald.
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En 2021, les quatorze milliardaires les plus fortunés du Canada se sont enrichis de 17 milliards $.
Selon l’économiste, de telles mesures décourageraient les entreprises de verser des paies excessives à leurs dirigeants, tout en permettant aux gouvernements de mieux financer les dépenses publiques nécessaires en temps de pandémie.