Ce qui vit en nous

Alors que se clôt la Conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) de Montréal, je me pose la question : qu’y a-t-il de plus cynique entre ce qu’on tire finalement de cette conférence et le traitement qu’en font les journalistes des grands médias qui nous en parlent comme si ce genre d’exercice était sérieux?

Comme s’il fallait, par défaut ou plus précisément par dépit, légitimer les participant·es à ce rassemblement où, face à la menace existentielle que représente l’effondrement des espèces vivantes sur Terre, les dirigeant·es du monde « démocratique » se refusent toujours à mettre au pas les grands destructeurs de la nature, à commencer par ces bandits internationaux que sont les pétrolières.

Comment peuvent-ils, sans gêne, qualifier ce simulacre d’accord d’« historique », alors que les organisateurs de la conférence eux-mêmes parlent de « compromis » pour désigner le texte final?

Comment peut-on les prendre au sérieux quand, alors que s’est déjà enclenchée la sixième extinction de masse, la première à être provoquée par l’action humaine, leur plus grande préoccupation reste… le financement des actions à prendre pour au moins minimiser les dégâts à venir?

Quand les pays du Nord global se refusent à assumer les coûts des catastrophes qui déferleront sur les pays du Sud, alors qu’ils en sont entièrement responsables?

Dans cette grande illusion, les rabat-joie qui appellent à la lucidité deviennent des parias.

Vous remarquerez que tous ces accords sont toujours « historiques », de la même manière que nos fureteurs internet gardent en mémoire notre « historique » de navigation : une liste de références plus ou moins jetables selon la volonté de qui contrôle le logiciel.

Mais non – on continue à donner à Steven Guilbault toute la crédibilité voulue en persistant à l’appeler « monsieur le ministre de l’Environnement ».

Au nom de la neutralité du traitement de la nouvelle, on se refuse sur les grands plateaux et dans les pages éditoriales à s’engager dans une lutte vitale pour la survie même de l’Humanité. On ne qualifie pas le climatoscepticisme de crime intellectuel comme il se doit.

On ménage les susceptibilités conservatrices au nom de la diversité des opinions et, avouons-le, pour acheter la paix avec les « brûleurs de gaz » radicalisés par les radios des mille conneries.

Regarder la réalité en face, envers et contre tous

Je vous l’ai dit dans ma chronique du 3 novembre de l’an dernier à la suite de la COP26 sur le climat, je ne suis pas éco-anxieux.

Je suis éco-encrisse. Et je vous invite à faire de même.

Mais la COP15 n’est qu’un des nombreux symptômes de cette maladie sociale causée par notre refus collectif de voir le réel en face et le réflexe subséquent de nous vautrer dans des faux semblants de démocratie, de justice et de paix. On occulte les facettes les plus sombres de notre vie politique et de ceux et celles qui en dirigent les destinées en notre nom.

Au nom de la neutralité du traitement de la nouvelle, on se refuse dans les médias à s’engager dans une lutte vitale pour la survie même de l’Humanité.

Et dans cette grande illusion, les rabat-joie qui appellent à la lucidité deviennent des parias.

Julian Assange et Edward Snowden ont dévoilé la face ignoble de l’administration Obama et ce sont eux les vilains de l’histoire.

Des journalistes et des activistes soulignent l’occupation militaire occidentale du continent africain, qui permet le pillage de ses ressources, mais on les traite de menteurs et de complotistes tout en rappelant que ce sont des opérations de « stabilité ».

Aux heures de grande écoute, des politologues décortiquent froidement les évènements en évacuant l’aspect humain, se contentant de relever les « intérêts » des « acteurs en présence », tout en privilégiant, autant que possible, le point de vue de leurs bailleurs de fonds.

Tout ça dans une perspective extrême centriste et un fétichisme du consensus.

Briser le tabou de la radicalité

J’ai subtilisé sans trop de vergogne la formule du titre de cette chronique à l’essayiste Mathieu Bélisle qui a fait paraître en mai dernier un excellent essai chez Leméac, intitulé Ce qui meurt en nous. L’auteur y aborde le déni et le tabou de la mort.

« Que nous réserve l’avenir? Je l’ignore. Je sais seulement qu’il est urgent de reconnaître que nous n’avons pas le contrôle, ni de la vie ni de la mort, qu’à vrai dire nous ne l’avons jamais eu, que plus nous cherchons à exercer le contrôle, plus nous le perdons », écrit-il.

Il appelle ensuite à briser le cycle du déni de la mort et du mépris de la vie, rappelant que plus vite nous cesserons de chercher à contrôler l’incontrôlable, plus vite nous retrouverons collectivement notre humanité.

De la même manière, nous nous obstinons à refuser de contrôler ce qui est réellement en notre pouvoir – la technologie, l’économie, la vie politique et sociale. Nous ne contrôlons pas la nature, mais nous avons très certainement une emprise sur les actions qui l’affectent.

Nous déléguons plutôt la souveraineté de notre existence même à des beaux parleurs et à des sociopathes que nous portons au pouvoir.

Le consensus qui s’ensuit rend taboue une radicalité qui est pourtant désormais nécessaire.

Nous ne contrôlons pas la nature, mais nous avons très certainement une emprise sur les actions qui l’affectent.

Voilà ce que je nous souhaite en cette fin d’année : de la même manière que Bélisle appelle à briser le tabou de la mort, j’appelle à en finir avec celui de la radicalité, à faire appel à ce qui vit en nous, à savoir un vif désir de survie qui nous amènerait à transcender tout ce qui nous étouffe, nous divise et nous déshumanise.

D’ici là, prenons tou·tes soin de nous le temps de quelques jours de cette fête qui souligne la naissance du Christ, figure d’amour et d’un renouveau dont nous devrions nous inspirer davantage.