George Wapachee a travaillé durant 15 ans à rassembler les récits formant Going home. | Photo : Première Nation de Nemaska
Livre
Source : La Sentinelle

Comment les Cris de Nemaska ont dû s’exiler pour un barrage qui n’a jamais été bâti

Un nouveau livre raconte comment les Cris de Nemaska ont été chassés de chez eux dans les années 1970 par un projet hydroélectrique qui n’a finalement jamais vu le jour.

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En 1970, la Première Nation de Nemaska aurait été forcée à un exil de sept ans à cause d’un projet d’Hydro-Québec – qui nie la chose. George Wapachee et Susan Marshall racontent les péripéties de cet épisode traumatique et triste dans Going home : the untold story of the Nemaska Eenouch.

Le projet hydroélectrique Nottaway-Broadback-Rupert aurait obligé la population de Nemaska à quitter son site originel sur le bord du lac Nemaska, site qui devait être inondé, mais qui ne le sera finalement jamais, puisque le projet sera abandonné.

Voilà pour la version de la Première Nation de Nemaska.

Celle d’Hydro-Québec est très différente. « Les Cris ont décidé de quitter le site appelé Old Nemaska parce que le poste de la Baie d’Hudson a fermé et donc ils ne pouvaient plus s’approvisionner », affirme un porte-parole de la compagnie d’État.

« Le fil des évènements témoigne que la décision d’aller de l’avant avec le projet hydroélectrique de La Grande Rivière, et non le projet Nottaway-Broadback-Rupert, a été prise en 1972 par le gouvernement du Québec. […] Du côté d’Hydro-Québec, nous n’avons jamais obligé ou demandé aux Cris de Nemaska de déménager. Mais il se peut que la perception des évènements diffère selon les versions de l’histoire qui leur ont été rapportées et nous comprenons ce fait. »

Dispersés

À l’époque du départ, le coauteur du livre, George Wapachee, était dans le Sud, où il étudiait et travaillait l’été. « J’étais prêt à retourner à Nemaska », dit l’ancien chef. « Un jour, mon père m’a écrit une lettre : “Ne reviens pas à Nemaska, ce n’est plus là”. »

Ce qu’on appelle aujourd’hui le Vieux Nemaska, par rapport au site actuel de la communauté, était alors un endroit isolé, sans route.

« Quand Hydro-Québec est venu, on ne nous a pas avertis », avance George Wapachee. « On voyait des gens qui faisaient de la recherche, on ne savait pas ce qu’ils faisaient. Ils disaient : “Il y a une inondation qui s’en vient, vous êtes mieux de vous en aller.” »

« Il n’y avait de confrontation dans ce temps-là. On ne savait pas qu’on avait des droits. On ne savait pas vers qui se tourner, à qui demander de l’aide. On voulait rester là, mais ils avaient fermé le magasin […] alors on a dû partir. »

« Un jour, mon père m’a écrit une lettre : “Ne reviens pas à Nemaska, ce n’est plus là”. »

La population a quitté le Vieux Nemaska en avion, laissant la plupart de ses biens, dont ses bateaux, derrière elle.

« Nous étions 180 personnes », rappelle George Wapachee qui a occupé différents postes à Nemaska et dans Eeyou Istchee. « Ce sont 113 qui ont été à Waskaganish, 67 à Mistissini. Beaucoup de gens y avaient des parents. »

« Ils sont restés là durant sept ans, ils étaient comme des étrangers. Mais ils nous ont donné une place à rester, ils nous ont donné du bois pour construire notre camp. À Waskaganish, ils nous ont installés dans une fondrière de mousse. […] Il y a un temps où on n’était pas très bien traités. »

Photo : Première Nation de Nemaska (Facebook)

Prologue au retour

Le retour de la communauté de Nemaska sera plus tard abordé, en 1975, dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. L’entente prévoit que des terres de catégories I et II seront réservées dans le secteur de Nemiscau si au moins 90 membres de la bande s’engagent à y retourner. Ils doivent le faire dans un délai de cinq ans. Autrement, les terres seront réparties entre Waskaganish et Mistissini en fonction du nombre de membres de la Première Nation de Nemaska y vivant.

Le texte de la Convention – dont le père de George, Bertie Wapachee, était signataire – ne fait état d’aucun dédommagement pour l’exil forcé, d’aucun financement pour la relocalisation.

Le bord du lac Champion, à environ 60 kilomètres du Vieux Nemaska, fut sélectionné pour celle-ci. « Les ainés ont choisi cette place », explique M. Wapachee. « C’est un gros lac, c’est très similaire au Vieux Nemaska, il y a deux collines. »

Relocalisation ardue

Mais s’y installer fut complexe et fastidieux, notamment du côté du ministère des Affaires indiennes. Selon George Wapachee, qui était alors coordonnateur de la relocalisation, les exilés de Nemaska disaient qu’ils allaient redéménager s’il y avait une maison et les Affaires indiennes disaient qu’ils donneraient du financement quand les gens seraient déménagés.

« C’était tout un dilemme. […] C’était presque conçu pour être un échec », analyse rétrospectivement M. Wapachee.

Le texte de la Convention ne fait état d’aucun dédommagement pour l’exil forcé, d’aucun financement pour la relocalisation.

Les membres de la Première Nation ont dû apporter leur matériel et leurs biens par l’eau, parfois pendant l’hiver. Ensuite, ils ont dû s’accommoder de l’hiver, vivre un temps sans route, sans électricité et sans eau courante, avec des toilettes dehors.

Nemaska est aujourd’hui le siège social du Grand Conseil des Cris.

Un livre commencé en 2007

L’écriture de Going home a commencé il y a 15 ans, précise George Wapachee, qui a signé la préface, assumé la coordination du projet et recruté Susan Marshall pour l’écriture. « Je lui ai dit que je voulais faire une histoire sur Nemaska […] parce qu’on n’avait jamais vraiment raconté ce qui nous était arrivé. Il a fallu faire beaucoup de recherches. Il y a beaucoup d’entrevues avec des gens dans le livre. C’est un livre du peuple. »

L’ouvrage compte 300 photographies et pèse quatre livres et demi, révèle M. Wapachee avec humour.

Le livre est lancé – ce n’est pas un hasard – le 11 novembre, jour anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

« C’est un livre du peuple. »

Le gouvernement pourrait-il être poursuivi pour cet exode? « Pour l’instant, la nation crie veut se donner le temps, et donner le temps à ses membres de se raconter sa propre histoire, de pouvoir la lire et la vivre tous ensemble avant de décider quoi que ce soit », dit l’officière aux communications de la nation crie de Nemaska, Laurence Gagnon.  

Going home : the untold story of the Nemaska Eenouch
Susan Marshall avec George Wapachee, Première Nation de Nemaska, 2022, 600 pages

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