Militant, le journalisme environnemental?

Un débat captivant sur les frontières entre journalisme et militantisme agite les médias depuis quelque temps.

Très vite, l’environnement est arrivé sur la table : rien d’étonnant, il suffit de googler « journalisme environnemental et militant » pour réaliser toute l’encre qui coule sur cette question. Il faut dire que le journalisme environnemental a tendance à déranger le statu quo qui favorise actuellement beaucoup d’intérêts économiques et politiques.

En discutant avec des collègues qui couvrent l’environnement pour d’autres médias, j’ai réalisé à quel point les journalistes environnementaux·ales reçoivent souvent une étiquette de « militant·es » de la part de lecteur·trices, mais aussi de collègues. Même les journalistes français·es n’y échappent pas (comme le rapporte cette capsule éclairante sur le journalisme environnemental).

On s’entend que le terme militant n’est pas une insulte. L’ennui, c’est que qualifier un·e journaliste environnemental·e de militant·e, c’est surtout ouvrir une porte pour discréditer son travail en lui reprochant une soi-disant violation des règles de neutralité, d’objectivité ou d’impartialité journalistiques.

Quand différents journalistes environnementaux·ales, travaillant dans différents médias et exerçant dans différents pays se font systématiquement pousser dans une case de « militant·es » qui est décrédibilisante, cela ne revient-il pas à tirer sur le messager? Il me semble que la question mérite d’être posée à l’heure de la transition écologique.

Les journalistes anti-GES et pro-nature

Ainsi, par exemple, les journalistes des médias traditionnels, comme La Presse, n’ont pas le droit de participer à titre personnel à une marche pour le climat et la biodiversité. Le simple fait de participer de manière non partisane à un événement du genre équivaudrait à divulguer publiquement une « opinion ». Or, c’est une ligne que les journalistes ne peuvent franchir (contrairement aux chroniqueur·euses).

Mais insister publiquement sur l’urgence des changements systémiques pour une réduction massive et rapide des GES, ce n’est pas une question d’opinion, ce n’est pas une « cause » : c’est un devoir citoyen!

Pour l’espèce humaine, il n’y a pas de « pour ou contre » la réduction massive et rapide des émissions de GES causant le dérèglement climatique. Il n’y a pas de « pour ou contre » la nature qui nous permet de (sur)vivre. Ce n’est ni de gauche ni de droite, car cela concerne, littéralement, tout le monde.

Systématiquement étiqueter comme « militants » les journalistes environnementaux, cela ne revient-il pas à tirer sur le messager?

En revanche, les solutions proposées pour y faire face sont effectivement politiques et économiques. Le rôle des journalistes est alors de révéler celles qui, selon la science, ne permettent pas de réduire les GES et la destruction des milieux naturels.

Tout cela étant dit, j’aurais autant confiance en la qualité du travail d’un·e journaliste en environnement que je croise à une marche pour le climat et la biodiversité, qu’en celle d’un journaliste en santé qui porte un masque lors d’une pandémie : elles et ils connaissent les enjeux.

Que vous soyez journaliste ou non, vu la gravité et le danger de la crise écologique, il est temps de vous poser des questions si vous n’êtes pas encore un·e « militant·e » anti-GES et pro-nature.

Un journalisme qui doit déranger

Quel que soit le sujet, les journalistes devraient désormais toujours avoir un regard sur l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité, sans craindre d’être étiqueté·es comme « militant·es anticapitalistes », « de gauche », « pro-décroissance » et j’en passe.

Ce n’est pas du militantisme de systématiquement se questionner sur les motifs et la pertinence de certains projets au regard de l’urgence environnementale. Ni de s’assurer que ces projets ne reposent pas de manière disproportionnée sur des motifs économiques ou politiques, au détriment de l’environnement.

Ce n’est pas du militantisme de vérifier qu’il n’y a aucune alternative à des projets émetteurs de GES ou destructeurs de milieux naturels, alors qu’on est déjà sur « l’autoroute vers l’enfer climatique », selon les mots du chef de l’ONU, António Guterres, lors de la COP27.

Ce n’est pas du militantisme d’enquêter sur l’écoblanchiment et les fausses solutions environnementales, chères, inutiles et surtout dangereuses pour la population. Quand bien même ces illusions seraient excellentes pour l’économie.

Il est temps de vous poser des questions si vous n’êtes pas encore un·e « militant·e » anti-GES et pro-nature.

C’est ça l’urgence écologique pour les médias : reconnaître que c’est dangereux pour la population de continuer à détruire le vivant et d’émettre de polluants gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Et donc que nous devons surveiller ces actions au nom de l’intérêt public.

Citons l’exemple inspirant du média britannique The Guardian, qui a mis l’urgence écologique au cœur de sa mission d’information depuis 2019. Ou encore la nouvelle Charte pour un journalisme à hauteur de l’urgence écologique en France, déjà signée par plus de 150 rédactions et 1 500 journalistes.

Le 15 novembre dernier, plus de trente médias de vingt pays différents, dont Libération et Mediapart en France, ont adressé « une sommation » aux gouvernants du monde où « ils énumèrent “ce qui doit être fait” immédiatement pour conjurer “le risque existentiel pour l’humanité” que représente le changement climatique ».

Est-ce que tous ces médias et ces journalistes sont en fait des militants? Je pense plutôt qu’ils assument leur rôle de chien de garde de la démocratie, mais aussi du climat et de la biodiversité. Et de toute manière, peut-il y avoir une démocratie sur une planète ravagée par les crises environnementales?