Vivre les côtés sombres de l’adoption internationale

Deux personnes issues de l’adoption internationale nous confient leur parcours.

Novembre est le mois des personnes adoptées. Les personnes issues de l’adoption internationale constituent une part importante de la société québécoise, pourtant leurs réalités et leurs enjeux sont toujours mal connus. Comment se sent-on quand on est racisé·e et qu’on grandit avec des parents blancs? Comment faire la paix avec une histoire personnelle marquée par les violences de l’histoire internationale?

Personne ne pouvait cacher à Ignacio Alvarado qu’il était un enfant adopté du Guatemala, car il était la seule personne racisée de son village en Gaspésie. Durant sa jeunesse dans les années 1990 et 2000, entourée de personnes blanches, M. Alvarado n’était pas outillé pour comprendre la discrimination qu’il vivait. « Mes parents ne comprenaient pas non plus. Personne ne savait ce que c’était le racisme. Je pense que le fait que j’étais différent de tout le monde était banalisé et normalisé », se remémore-t-il, aujourd’hui début trentaine.

Tout ce que M. Alvarado savait de ses origines, c’est qu’il avait été retrouvé abandonné dans une ferme et qu’il avait vécu à l’orphelinat jusqu’à ce que ses parents l’aient « sauvé » pour l’amener au Québec à l’âge de deux ans et demi.

Même son de cloche du côté d’An Laurence*, une adoptée chinoise de Québec de 28 ans. Ses parents lui ont dit qu’elle avait été adoptée parce que les parents chinois préféraient les garçons. Elle raconte posséder très peu de documentation sur son adoption.

« On n’apprend pas qu’on a une réalité différente, donc on vit une réalité différente sans le savoir », explique-t-elle. « On a toute la construction d’une personne blanche. C’est comme ça qu’on se voit. » La jeune femme a donc vécu un grand décalage entre sa perception d’elle-même et celle que son entourage avait d’elle.

« Nos parents ne se rendent pas compte non plus [du racisme] qu’on vit, parce qu’eux, ils ne l’ont jamais vécu », dit-elle, affirmant que ses parents lui ont même dit des choses à connotations racistes, car ils ne la concevaient pas comme Asiatique. « Ils veulent tellement que tu sois comme eux qu’ils ne voient plus la différence. Mais ça ne veut pas dire que la différence n’est pas là. » An Laurence trouve qu’il est difficile d’aborder l’enjeu du racisme avec ses parents, car ceux-ci réagissent de manière défensive. Elle aurait aimé qu’ils soient plus ouverts à ce sujet.

« On n’apprend pas qu’on a une réalité différente, donc on vit une réalité différente sans le savoir. »

An Laurence

Les violences de l’adoption internationale

M. Alvarado a commencé à remettre en question son histoire d’adoption lorsque, jeune adulte, il a rencontré un autre adopté du Guatemala qui venait du même orphelinat que lui. Ce nouvel ami lui a envoyé un article sur le réseau de trafic d’enfants qui existait auparavant entre ce pays et l’Occident.

Le Guatemala a vécu des décennies de conflits armés internes entre l’État et les groupes de guérillas, jusqu’en 1996. Durant cette période, l’État a commis un génocide contre les Autochtones pour voler leurs terres.

Les enfants autochtones ont été épargnés lorsque le gouvernement s’est aperçu qu’il pouvait en tirer un commerce lucratif en les vendant aux pays occidentaux. « Les enfants ont été traités comme des butins de guerre. Le commerce est devenu prospère et l’offre ne suffisait plus à la demande », explique M. Alvarado. « C’est là qu’on a commencé à recruter de jeunes femmes enceintes. On a profité de la vulnérabilité de femmes en situation d’extrême pauvreté en leur offrant de l’argent si elles donnaient leur enfant. »

Ces découvertes ont fait sombrer M. Alvarado dans la dépression pendant un an. « C’était une bombe qui m’a explosé en plein visage », affirme-t-il. « J’avais l’impression d’être sale. Il y a des gens qui m’ont touché avec le sang de mon peuple, qui m’ont vendu au Canada. »

« Ça me rendait malheureuse, mais j’avais besoin de savoir. »

An Laurence

De son côté, An Laurence a commencé à se conscientiser lorsqu’elle a déménagé à Montréal pour ses études supérieures et amélioré son anglais. Elle a commencé à faire des recherches sur l’adoption en Chine. Ce qu’elle a trouvé concernant la politique chinoise de planification des naissances l’a dépassée.

De 1979 à 2015, la Chine avait une politique d’enfant unique qui pénalisait les familles qui avaient plus d’un enfant. Durant les années 1990, quand An Laurence est née, les conséquences d’une grossesse illégale allaient d’amendes sévères jusqu’à la séparation forcée de l’enfant de sa famille de naissance.

C’est dans ce contexte que des milliers de filles chinoises se sont fait adopter à l’international. À l’époque, plusieurs parents adoptants préféraient adopter en Chine, car c’était moins dispendieux et plus rapide que dans d’autres pays.

Ces nouvelles informations ont été très difficiles à digérer pour la jeune femme. « La réalité a donné une dimension émotionnelle et humaine [à mon histoire d’adoption] », affirme-t-elle. An Laurence se souvient avoir passé plusieurs journées à regarder dans le vide en pleurant pendant des heures.

Mais à travers la douleur, elle a trouvé ce processus d’apprentissage cathartique. « Ça me rendait malheureuse, mais j’avais besoin de savoir », affirme-t-elle.

Se réconcilier avec son parcours

Lors d’une visite au Guatemala, Ignacio Alvarado a décidé de changer les choses. Voyant la quantité de personnes qui recherchent encore leurs proches disparus durant les conflits, il s’est autoaffiché comme personne disparue.

Avec l’appui d’un organisme local, son histoire a été médiatisée et il a été contacté par plusieurs personnes adoptées guatémaltèques. Ces messages l’ont inspiré à fonder son organisme pour adopté·es guatémaltèques, Estamos Aquí (Nous sommes ici), en réponse au collectif guatémaltèque Donde estan los niños y las niñas ? (Où sont les enfants?).

« Notre mission est d’accompagner les jeunes dans leurs recherches [de famille biologique], de renouer avec nos racines et de redonner la voix aux personnes adoptées », dit M. Alvarado, qui a lui-même retrouvé ses parents de naissance il y a trois mois lors d’une rencontre émotive.

De son côté, An Laurence espère que les personnes adoptées savent qu’elles ne sont pas seules. « Il y a une communauté de personnes adoptées au Québec qui est assez forte. Et il y a des sous-communautés qui représentent différentes origines », explique-t-elle. « Moi [plus jeune], j’aurais aimé rencontrer d’autres personnes. Ça fait du bien de se retrouver, car on ne se sent pas toujours légitime de rencontrer d’autres personnes [adoptées] ou d’aller dans nos communautés d’origine. »

* An Laurence souhaite être identifiée seulement par son prénom.

Article réalisé dans le cadre de l’Initiative de journalisme local

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