Élection de la CAQ : des jeunes peu surpris, mais inquiets pour l’avenir

Des jeunes électeur·trices racisé·es ne sont pas très optimistes pour les quatre prochaines années, se sentant mal représenté·es et craignant de nouvelles attaques contre les minorités.

Le 3 octobre dernier, la CAQ a remporté une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Qu’en pensent les plus jeunes électeur·trices, un des groupes qui votent le moins – près de la moitié des 18-34 ans n’avaient pas voté en 2018 – et dont plusieurs sont désillusionné·es par la politique? Nous avons discuté avec deux jeunes racisés pour savoir si le gouvernement actuel peut représenter leurs intérêts et leurs valeurs.

Selon un sondage Léger publié la veille de l’élection, les jeunes de 18-34 ans favorisaient de loin Québec solidaire (QS) qui obtenait 35 % des intentions de vote dans ce groupe d’âge. Par contraste, seul·es 25 % des jeunes appuyaient la CAQ.

Leur préférence pour le parti progressiste contraste avec celles des 35-55 ans et des 55 ans et plus, qui favorisaient d’abord la CAQ (avec 36 % et 48 % des intentions de vote, respectivement). À l’inverse, QS a le pourcentage d’appui le plus bas parmi les cinq partis principaux dans ces groupes d’âge (10 % et 7 % respectivement).

Ces chiffres démontrent un clivage d’idéologie politique assez important entre la jeunesse et les gens plus âgés dans la société. Ils laissent aussi penser que le nouveau gouvernement caquiste majoritaire ne représente pas les inclinaisons politiques des 18-34 ans.

Pour beaucoup d’entre eux, comme Jiawen Li, le pessimisme se fait de plus en plus fort. M. Li, un fonctionnaire fédéral dans la mi-vingtaine, souhaitait d’abord exercer son droit de vote même s’il est temporairement hors de la province. Il a donc effectué toutes les démarches nécessaires auprès d’Élections Québec.

Or, c’est finalement la campagne qui l’a découragé de voter. « Après avoir reçu mon bulletin de vote, j’ai finalement décidé de ne pas exercer mon droit de vote. Ça ne me tentait pas de voter dans cette élection parce qu’il n’y avait pas de candidat·es ou d’alternatives très attrayantes », affirme-t-il.

« Les jeunes sont encore minoritaires dans la sphère politique. »

Il n’est pas du tout surpris que les jeunes soient moins bien représenté·es à l’Assemblée nationale. « C’est normal que QS ait été populaire auprès des jeunes. Moi aussi, j’appuie certaines de leurs politiques. Gabriel Nadeau-Dubois est assez jeune lui-même. Leurs politiques sur l’égalité sociale sont très attrayantes pour les jeunes », explique-t-il.

« Le problème, c’est que ce parti est encore jeune et je vois difficilement comment il peut être l’opposition officielle. Même à l’avenir, je crois que c’est très improbable qu’il forme un gouvernement. Les jeunes sont encore minoritaires dans la sphère politique. »

« Je n’étais pas surprise » des résultats de l’élection, affirme Camille Esther Garon, présidente de l’organisme LGBT GRIS-Québec et ancienne candidate du NPD, qui a aussi donné du temps à la campagne de QS. « J’avais peut-être un peu d’espoir que QS allait gagner d’autres votes. Mais je n’étais pas surprise parce que je savais qu’on allait dans cette tendance-là. »

Un manque de représentation

Mme Garon tient toutefois à soulever la question de la réforme du mode de scrutin, surtout après que la CAQ ait refusé, moins de 24 heures après les élections, de réouvrir ce dossier. « Est-ce qu’on est vraiment représenté·es? » se questionne-t-elle.

QS, largement favorisé par les jeunes, a été désavantagé par le mode de scrutin. Alors que ce parti a reçu 15 % du vote populaire, il n’a obtenu que 11 des 125 sièges à l’Assemblée nationale. Cela contraste avec le Parti libéral du Québec (PLQ), qui a reçu 14 % du vote populaire, mais qui occupe 21 sièges, lui permettant de former l’opposition officielle.

Selon le sondage Léger du 2 octobre, le PLQ serait nettement moins populaire que QS chez les 15-34 ans (13 % des intentions de vote), mais sensiblement plus chez les 35-54 ans (17 %) et les 55 ans et plus (19 %).

Mme Garon, qui a elle-même 27 ans, déplore aussi qu’il n’y ait pas de député·es de 30 ans ou moins à l’Assemblée nationale. « On dit souvent que les jeunes ne votent pas. Mais on a vu des jeunes qui sont quand même allé·es voter et qui voient ces résultats. Donc c’est normal que ça puisse amener du cynisme », explique-t-elle, ajoutant qu’elle croit que le vote des jeunes est « extrêmement important ».

« On a vu des jeunes qui sont quand même allé·es voter et qui voient ces résultats. C’est normal que ça puisse amener du cynisme. »

Elle souhaite, dans les quatre prochaines années, pouvoir encourager les jeunes à la participation citoyenne à Québec, où elle habite. « La démocratie, ce n’est pas juste à l’Assemblée nationale », affirme-t-elle. « Les conseils de quartier, les consultations publiques sont des occasions où les gens peuvent venir s’exprimer et discuter des projets de société qu’on peut faire pour rendre la société plus inclusive. Ça aussi ça fait partie de la politique! Et ça serait important dans quatre ans de savoir, en tant que jeunes, comment utiliser notre voix. »

Tout n’est pas sombre pour autant. Mme Garon, une femme noire adoptée, est fière de voir Dominique Anglade, une femme noire comme elle, devenir cheffe de l’opposition officielle.

Mais elle tient à nuancer ce que cette représentation signifie pour elle. « Est-ce que Mme Anglade va pouvoir amener des dossiers qui représentent ma perspective? », se questionne-t-elle. « C’est aussi important de comprendre qu’une personne noire ne représente pas tou·tes les Noir·es. On a des désaccords entre nous. J’ai hâte de voir comment Mme Anglade va gérer ça. »

Les quatre prochaines années marquées par la division?

M. Li craint sérieusement ce qui va se passer durant les quatre prochaines années. Il redoute ce que la CAQ va pouvoir mettre de l’avant avec un gouvernement majoritaire. « Je crois que ce parti a des politiques très conservatrices qui visent à protéger le français et l’identité québécoise. Le danger, c’est que la CAQ ferme le Québec du reste du Canada et du monde », explique-t-il.

« Plus on insiste sur ces questions identitaires, plus les gens vont être réticents à venir au Québec. Ce n’est pas nécessairement bon pour l’économie, surtout dans une ambiance de récession. »

Il doute aussi que François Legault fasse preuve d’écoute envers les autres partis à l’Assemblée nationale, qualifiant même le premier ministre d’une personne « avec une tendance assez totalitaire ».

De son côté, Mme Garon craint pour les immigrant·es du Québec. Elle affirme que la CAQ utilise des propos sensationnalistes contre l’immigration comme stratégie politique pour se maintenir au pouvoir.

« Il sera important comme jeunes de se mobiliser et de se soutenir. »

Dans ce climat hostile, elle soutient l’importance dans les quatre prochaines années d’écouter les communautés qui ont été directement visées par ces propos et de recentrer l’humain dans les discussions sur l’immigration. Or, « maintenant, on a 90 sièges à l’Assemblée nationale qui doivent adhérer à des propos assez catastrophiques sur l’immigration, nier le racisme systémique, refuser le Principe de Joyce », affirme-t-elle. « Même si les 90 députés ne sont pas tous d’accord avec ça, ils doivent suivre leur ligne de parti. »

« Il sera important dans les quatre prochaines années comme jeunes de se mobiliser et de se soutenir pour assurer une société plus inclusive », conclut-elle.

Article réalisé dans le cadre de l’Initiative de journalisme local

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