L’élection générale au Québec a été marquée par une grande distorsion entre le nombre de votes récolté par chaque parti et le nombre de sièges qu’ils ont obtenus. L’écart serait toutefois beaucoup moins élevé si le scrutin s’était tenu selon les règles prévues par la réforme électorale abandonnée par François Legault, malgré son engagement à instaurer un mode de scrutin plus proportionnel.
La CAQ forme un gouvernement fortement majoritaire avec uniquement 41 % des votes exprimés. Plus encore, comme seulement les deux tiers des personnes inscrites sont allés voter, à peine 27 % des électeur·trices ont opté pour la CAQ. Pourtant, la récolte de 90 député·es du parti de François Legault lui confère 72 % des sièges à l’Assemblée nationale.
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En contrepartie, trois des quatre partis d’opposition ont reçu moins de sièges que ce à quoi ils auraient pu s’attendre avec la proportion du vote qu’ils ont reçue.
Une situation rendue possible par le mode de scrutin uninominal à un tour que le chef caquiste avait pourtant promis de remplacer par un mode de scrutin mixte, avant de changer d’idée à la dernière minute.
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Pivot a calculé ce qu’auraient pu être les résultats de l’élection de lundi si les mêmes votes avaient été comptabilisés avec un nouveau mode de scrutin, plus proportionnel, plutôt qu’avec le mode actuel.
Selon notre simulation, la CAQ n’aurait réussi à élire que 74 député·es si l’élection s’était tenue selon les règles prévues au projet de réforme qu’elle a abandonnée. Cette récolte, représentant une baisse de 16 député·es par rapport aux résultats actuels, équivaudrait à celle qui a porté la CAQ au pouvoir en 2018.
La réforme abandonnée aurait attribué deux votes à chaque électeur·trices : un premier pour élire un·e candidat·e à l’un des 80 sièges de circonscription, comme dans la formule actuelle, et un second pour choisir les partis qui se sépareraient 45 sièges régionaux, en proportion directe avec les votes exprimés dans chaque grande région. Pour les fins de cette simulation, nous avons considéré que chaque personne aurait exercé son deuxième vote pour le parti du candidat de circonscription qu’elle a choisie [voir méthodologie].
De grands effets sur l’opposition
Ce sont surtout les partis d’opposition qui ont vu leur représentation affectée par les effets du scrutin uninominal à un tour.
Le Parti québécois a fait élire trois députés et le Parti conservateur, aucun. Or, ils auraient tous deux pu espérer huit député·es de plus avec un mode mixte. Le 13 % des électeur·trices québécois·es qui ont donné leurs voix au parti d’Éric Duhaime auraient donc pu avoir huit représentant·es à l’Assemblée nationale et le Parti québécois, avec 15 % des votes, aurait conservé onze sièges, une représentation similaire à celle obtenue lors de la dernière élection.
L’effet est beaucoup moins marqué sur les libéraux et les solidaires. Puisque leur vote est principalement concentré dans des circonscriptions clés en zone urbaine, ces partis ont été moins désavantagés par le scrutin uninominal que les deux autres partis d’opposition. Ayant récolté 14 % des voix, le PLQ aurait eu deux sièges de moins avec le scrutin mixte, passant de 21 à 19 député·es, tandis que QS serait passé de 11 à 13 élu·es, avec 15 % des votes.
Un mode de scrutin mixte aurait toutefois régionalisé la représentation de Québec solidaire. Le parti aurait perdu des député·es à Montréal (passant de 8 à 6) et à Québec (passant de 2 à 1), mais gagné des sièges en région (Laurentides, Lanaudière, Estrie).
Un écart plus prononcé dans les régions plus peuplées
La CAQ ayant remporté plusieurs de ses sièges par des marges de plusieurs milliers de votes, le système de compensation proportionnel n’aurait pas permis de redistribuer les sièges dans plusieurs régions.
Dans les zones les plus peuplées comme Montréal et la Montérégie, la différence entre les deux modes de scrutin est toutefois très marquée. À noter que dans le cas de Montréal, la CAQ se serait vue avantagée par le nouveau mode de scrutin parce qu’elle n’y détient que deux sièges malgré qu’elle y ait récolté plusieurs centaines de milliers de votes.
MÉTHODOLOGIE
Pour la simulation du système mixte avec compensation régionale, certaines circonscriptions ont été fusionnées pour correspondre le plus possible au découpage électoral fédéral et passer de 125 à 80 circonscriptions. Les quelques circonscriptions chevauchant plus d’une région administrative ont été attribuées à la région où se situe la majorité de leur territoire. La Loi établissant un nouveau mode de scrutin prévoyant un redécoupage électoral, les circonscriptions ainsi créées ne correspondent pas nécessairement à celles qui auraient été mises en place par le nouveau système, ce qui peut affecter légèrement le résultat. Les sièges régionaux ont été attribués en suivant la formule prévue dans la loi.
Un changement de mode de scrutin entrainant nécessairement un changement de comportement des électeur·trices, les résultats de la simulation doivent être interprétés avec prudence.