Les résultats de la prochaine élection pourraient être les plus tordus de l’histoire

L’abandon de la réforme du mode de scrutin par François Legault donne un avantage disproportionné à la CAQ.

Le système de vote majoritaire uninominal à un tour actuellement utilisé au Québec permet de gagner une majorité de sièges à l’Assemblée nationale en obtenant une minorité des voix. Cette situation pourrait grandement avantager la CAQ aux prochaines élections, mais elle risque aussi de cultiver le cynisme de la population et son désengagement envers les institutions démocratiques, selon le Mouvement démocratie nouvelle (MDN).

Des membres de MDN se sont rassemblé·es jeudi devant les bureaux montréalais de Radio-Canada avant le débat des chefs pour réclamer un mode de scrutin plus proportionnel et plus représentatif des volontés de la population. Ils souhaitaient montrer que contrairement à ce que laisse entendre François Legault, la réforme du mode de scrutin est une priorité pour les Québécois·es.

Un système mésadapté à la réalité d’aujourd’hui

Le système de représentation actuel serait d’ailleurs contesté au Québec, au Canada et dans les autres provinces depuis le début du 20e siècle, selon le coordonnateur de MDN Raphaël Canet.

« Le mode de scrutin est demeuré inchangé depuis 1791. C’est un système qui est pensé pour deux partis et une réalité sociale qui était bien différente de celle d’aujourd’hui », remarque-t-il.

Pout Raphaël Canet, le principal problème du système actuel c’est qu’il ne tient finalement pas compte du vote de la majorité des électeur·trices. « Si tu vas voter et que ton député perd son élection, la voix que tu as exprimée est essentiellement jetée, et ce, même s’il a perdu par seulement une voix », remarque-t-il.

Vous appréciez nos articles et nos analyses qui braquent les projecteurs sur les enjeux de l’heure, sans complaisance à l’égard de nos dirigeants? Aidez-nous à poursuivre notre mission en vous abonnant ou en faisant un don!

Quand on tient compte en plus des faibles taux de participation, cela entraine une situation où l’Assemblée représente très mal les désirs de la population, explique Raphaël Canet.

Ainsi, aux dernières élections, la CAQ a pu obtenir 59 % des sièges grâce à seulement 37 % des voix exprimées. Mais comme seulement 66 % des gens ont tenu à aller voter, ce ne sont au fond que 25 % des électeur·trices inscrit·es qui ont confié la majorité parlementaire à l’équipe de François Legault.

Cette distorsion pourrait encore s’amplifier à la prochaine élection, selon Raphaël Canet.

« La distorsion cette fois-ci va être majeure. Avec le morcellement des oppositions, le nombre de sièges que la CAQ devrait avoir pour son nombre de votes risque d’être absurde. Surtout qu’on s’attend à un faible taux de participation, la CAQ pourrait être majoritaire même si juste 15 % des électeurs inscrits votent pour elle », prévient Raphaël Canet.

Une solution abandonnée malgré le consensus

Pourtant, en 2018, François Legault avait signé une entente transpartisane où il s’était engagé à réformer le mode de scrutin s’il était élu, rappelle Raphaël Canet. Cette promesse avait mené à l’élaboration du projet de loi 39 qui s’est rendu loin en chambre avant que le leader parlementaire caquiste, Simon Jolin-Barette, ne le fasse mourir au feuilleton. « Leur seule option pour bloquer le projet de loi était de le faire disparaitre entre deux sessions parlementaires, ce qu’ils ont fait », déplore le coordonnateur de MDN.

Le projet semblait pourtant faire l’objet d’un large consensus durant l’hiver 2020, alors que des représentant·es de la société civile et de chacun des partis s’étaient entendu·es sur la forme que prendrait le nouveau mode de scrutin, rappelle Raphaël Canet. La formule retenue était un mode de scrutin mixte avec compensation régionale, fortement inspiré des systèmes adoptés en Écosse et en Nouvelle-Zélande, rappelle-t-il.

Le nouveau mode de scrutin aurait permis aux électeur·trices de s’exprimer deux fois à chaque élection. Un premier vote aurait servi à élire 80 député·es de circonscriptions de la même façon qu’avec la formule actuelle. Puis le deuxième vote aurait permis d’attribuer aux différents partis chacun des 45 sièges restants, en proportion directe avec les votes exprimés dans chaque région. Ces député·es « proportionnel·les » auraient donc représenté l’ensemble de leur région, leur nombre dans chaque région variant selon le poids démographique de celle-ci.

De plus, avec un scrutin mixte, les électeur·trices pourraient voter de façon stratégique dans leur circonscription et selon leurs convictions avec le vote régional, ce qui donne une meilleure représentation des idées de la population, explique Raphaël Canet.

Par ailleurs, contrairement à une représentation proportionnelle pure, ce système empêche la multiplication des petits partis, ce qui peut déstabiliser les gouvernements en donnant un poids politique démesuré à ceux qui ont la balance du pouvoir, remarque-t-il.

Dans les pays où il a été adopté, ce système a aussi amené un changement de culture parlementaire, remarque Raphaël Canet. Il encourage les gouvernements à penser leurs politiques sur le long terme, ce qui devient essentiel à l’ère des changements climatiques, remarque-t-il. En effet, puisqu’il est très difficile de former des majorités avec ce mode de scrutin, les partis doivent collaborer pour avancer leurs projets, explique le coordonnateur. Ainsi, quand un parti d’opposition prend le pouvoir, il aurait moins tendance à défaire ce que son prédécesseur a accompli, puisqu’il avait contribué à la conception, illustre-t-il.

Un cynisme grandissant

Pour Raphaël Canet, l’ultime avantage d’un changement de mode de scrutin serait toutefois de combattre le cynisme grandissant de la population par rapport à notre système démocratique. Il donne l’exemple du Parti conservateur du Québec, qui pourrait se retrouver avec aucun député même s’il obtient 15 % du vote.

« Nous pouvons questionner leurs idées politiques, mais ils ont réussi à assembler beaucoup de gens qui souvent n’allaient même pas voter. S’ils se retrouvent avec aucun député, que vont-ils dire? Ça va alimenter leur rancœur et faire grandir leur cynisme et au final, c’est ce qui est le plus dangereux avec le système actuel », s’inquiète-t-il.

Changer le mode de scrutin pour combattre le cynisme de la population était d’ailleurs un des arguments de François Legault lorsqu’il était dans l’opposition, rappelle le coordonnateur de MDN. « Parce que c’est vraiment ça le problème. Les politiciens sont d’accord quand ils sont dans l’opposition, puis une fois qu’ils réussissent à prendre le pouvoir grâce aux règles, ils ne veulent plus les changer », conclut-il.

MÉTHODOLOGIE

Pour la simulation du système mixte avec compensation régionale, certaines circonscriptions ont été fusionnées pour correspondre le plus possible au découpage électoral fédéral et passer de 125 à 80 circonscriptions. Les quelques circonscriptions chevauchant plus d’une région administrative ont été attribuées à la région où se situe la majorité de leur territoire. La Loi établissant un nouveau mode de scrutin prévoyant un redécoupage électoral, les circonscriptions ainsi créées ne correspondent pas nécessairement à celles qui auraient été mises en place par le nouveau système, ce qui peut affecter légèrement le résultat. Les sièges de régions ont été attribués en suivant la formule prévue dans la loi.

Puisque les électeur·trices n’ont fourni qu’un seul vote, la simulation présume que chacun·e d’eux a voté au niveau régional pour le même parti que celui de son vote de circonscription. Un changement de mode de scrutin entrainant nécessairement un changement de comportement des électeur·trices, les résultats de la simulation doivent être interprétés avec prudence.

Auteur·e

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut