
Des nationalistes chrétiens se mobilisent contre du matériel éducatif LGBTQ
Le groupe d’extrême droite Action4Canada (Agir pour le Canada) dit avoir pour mission de « rendre le Canada grand de nouveau », à l’image du fameux slogan trumpiste.
Une organisation nationaliste chrétienne de Colombie-Britannique tente de mobiliser autant les parents que les conseiller·ères scolaires de partout au Canada contre « SOGI 123 », un ensemble de ressources pédagogiques conçues pour sensibiliser les élèves des écoles publiques aux questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre.
SOGI 123 est un « ensemble d’outils et de matériel éducatif visant à rendre les écoles plus sécuritaires et inclusives pour les élèves de toutes orientations sexuelles et identités de genre », explique Reg Krake, directeur général de l’ARC Foundation, à PressProgress.
Les ressources SOGI sont le programme phare de l’ARC Foundation. L’élaboration du matériel et du programme a été menée en collaboration avec des parents, des enseignant·es et des élèves.
« Le programme propose des politiques et des procédures, aborde la question des environnements d’apprentissage inclusifs et comprend du matériel éducatif adapté à l’âge des élèves de la maternelle à la douzième année », ajoute Krake. « Le matériel s’arrime au curriculum de la Colombie-Britannique et vise à aider les enseignant·es à créer un environnement scolaire où les élèves se sentent accepté·es, respecté·es, accueilli·es et en sécurité. »
Krake dit constater avec inquiétude que l’opposition à ces nouvelles ressources pédagogiques « crée un climat insécurisant pour les élèves, qui se sentent rejeté·es et exclu·es ».
« On n’a pas le contrôle sur le langage blessant qu’emploient certaines personnes pour des raisons personnelles ou politiques, mais on peut poursuivre nos efforts pour qu’aucun·e enfant ne se sente seul·e. »
« Les élèves ont besoin de se voir appartenir au monde qui les entoure comme ils et elles sont vraiment. On doit faire en sorte que chaque élève soit libre d’être fidèle à lui ou à elle-même et de profiter de la vie. »
Une organisation fondamentaliste et conspirationniste
L’un des plus grands opposants au programme SOGI, Action4Canada, se décrit sur son site Web comme un « mouvement populaire » qui milite contre les « forces destructrices qui déchirent le tissu national ». Action4Canada dit aussi avoir pour mission de « refaire du Canada un grand pays » et de protéger les « principes bibliques judéo-chrétiens ».

Le groupe est une « organisation nationaliste chrétienne d’extrême droite qui organise des actions politiques comme des manifestations et qui entreprend des actions en justice partout au Canada », explique Peter Smith, chercheur pour le Réseau canadien anti-haine, dans un entretien à PressProgress. L’organisation est aussi « particulièrement douée en collecte de fonds » et « a des croyances et des objectifs profondément conspirationnistes », ajoute Smith.
« L’organisation semble avoir été créée en prenant pour modèle ACT! For Canada, une organisation similaire dont le directeur a aussi contribué à la création d’Action4Canada. Parmi les enjeux auxquels le groupe dit vouloir s’attaquer figurent l’avortement, la légalisation du cannabis, la technologie 5G, l’obligation vaccinale, la “propagande LGBTQ” et, bien entendu, “l’islamisme politique” ».
Smith remarque qu’Action4Canada, qui est actif depuis plusieurs années, reçoit un appui plus large depuis que l’organisation est devenue « une régulière des manifestations des dernières années dénonçant le complot de la COVID-19 ».
Action4Canada est l’un des nombreux groupes nationalistes chrétiens à avoir participé aux sièges des « convois de la liberté » qui ont eu lieu au début de l’année 2022.
« Ils disent avoir de nombreuses branches partout au pays », ajoute Smith. « Leur fondatrice, Tanya Gaw, a récemment déclaré que l’organisation sélectionnait des gens pour fonder de nouvelles branches, et que leur processus d’expansion était en cours. »

Attaques judiciaires
La branche britanno-colombienne d’Action4Canada a récemment tenu un webinaire où prenait la parole Barry Neufeld, membre controversé du conseil scolaire de Chilliwack qui s’oppose vivement aux ressources pédagogiques SOGI. Neufeld brigue un nouveau mandat, bien qu’il ait été censuré par le conseil scolaire de Chilliwack en 2020 et qu’il soit actuellement banni des écoles et des rencontres à huis clos en raison de violations éthiques.
En 2018, Neufeld poursuivait pour diffamation l’ancien président de la Fédération des enseignants de Colombie-Britannique (CBTF) Glen Hansman. Ce dernier avait déclaré que la position de Neufeld sur les ressources pédagogiques SOGI était « méprisante et étroite d’esprit ».
Hansman, qui plaide que sa critique des propos de Neufeld était juste, a présenté une demande de rejet de l’action en diffamation en vertu de la Loi sur la protection de la participation aux affaires publiques de Colombie-Britannique. Sa demande a été rejetée, mais a été portée en appel et sera entendue par la Cour suprême du Canada le 11 octobre prochain.
Action4Canada a utilisé le webinaire pour amasser des appuis pour Neufeld, qualifié de « héros national », en plus de vanter d’autres conseiller·ères scolaires anti-SOGI de la province.
« Une lutte spirituelle du bien contre le mal »
L’animatrice du webinaire, Tanya Gaw, a décrit l’affaire Neufeld comme l’une des « batailles juridiques actuelles les plus importantes du Canada en matière de liberté d’expression et de protection des enfants face à la menace de la mouvance tyrannique et radicale LGBTQ ».
Gaw et Neufeld ont laissé entendre que le programme SOGI et ses supporteur·euses constituaient un « réseau de prédation », une accusation souvent utilisée pour dénigrer les individus appartenant à la communauté 2SLGBTQ+ et leurs allié·es.
« Historiquement, les accusations de “prédation sexuelle d’enfants” sont employées pour exclure les membres des communautés 2SLGBTQ+ de professions comme l’enseignement », rappelle le Réseau canadien anti-haine. « Ces accusations n’ont toutefois jamais cessé d’être employées par l’extrême droite, pour qui c’est une vieille pratique de présenter ses ennemis idéologiques et politiques comme des pédophiles. »

Gaw et Neufeld ont employé des termes combatifs et militaristes pour décrire les défenseur·euses des droits 2SLGBTQ+ et ont montré des photos d’individus impliqués dans le développement et la promotion des ressources éducatives SOGI.
« Je crois que nous menons une lutte spirituelle du bien contre le mal », a dit Gaw. « Je crois que c’est de la dépravation, le mal a toujours tenté de s’immiscer partout dans la société. »
Gaw a aussi montré des images de la page Instagram d’un chirurgien qui pratique des mastectomies pour les personnes trans, le qualifiant de « pire que Dr Mengele, le médecin qui travaillait avec Hitler ».
« Nous espérons, nous prions, nous croyons que nous allons renverser cette tendance et réussir à faire retirer complètement le programme d’éducation sexuelle SOGI, les livres pornographiques et les drag queens du système d’éducation. Ces performeurs sexuels n’ont pas leur place près de nos enfants. »
Gaw a déclaré qu’Action4Canada prépare des campagnes à travers le Canada alors que SOGI est offert gratuitement au personnel enseignant de tout le pays et qu’il est utilisé dans certaines écoles albertaines. Gaw a félicité les efforts d’un autre groupe, ParentsVoiceBC, qui a contribué à la mobilisation de candidat·es à des conseils scolaires des quatre coins de la Colombie-Britannique.

« Nous allons continuer de nous intéresser au système d’éducation public, à l’endoctrinement de nos enfants par les visées politiques radicales LGBTQ, la théorie critique de la race et l’arnaque des changements climatiques, ainsi qu’à la façon dont ils utilisent nos enfants pour faire avancer leur programme politique diabolique », a ajouté Gaw.
Neufeld, qui prend souvent la parole dans des églises et lors de conférences chrétiennes, a aussi employé une rhétorique militariste pour critiquer les défenseur·euses des programmes scolaires promouvant la diversité, l’équité et l’inclusion.
« Ils sont une armée de révolutionnaires qui ont le pouvoir d’intégrer un marxisme culturel édulcoré et de complètement changer la société. Ils veulent se débarrasser de toutes les vieilles institutions, les tribunaux, la police, les églises, les écoles… tout va changer », a affirmé Neufeld.
« Diversité, inclusion, équité : mises ensemble, les lettres disent “DIE” (“mourir”). C’est exactement ce qui est en train de se produire. »
Cet article est d’abord paru en anglais sur PressProgress. Traduction par Miriam Hatabi.