Pour la plupart des Québécois·es, l’accès au système électoral est un droit tenu pour acquis. Mais pour les électeurs inuit et des Premières Nations dans la circonscription d’Ungava, participer pleinement à la démocratie est plus compliqué. Quelles sont les barrières qui empêchent cet engagement et pourquoi sont-elles présentes?
« Les enjeux du Nord et les enjeux autochtones sont ignorés par le gouvernement actuel. Comment voulez-vous que les communautés s’intéressent à la politique provinciale si on ne s’intéresse pas à elles? » affirme Maïtée Labrecque-Saganash, candidate de Québec solidaire (QS) dans Ungava et Eeyou (Crie) de Waswanipi.
Plus tôt cette semaine, la candidate dénonçait sur les réseaux sociaux les obstacles institutionnels qui « garde[nt] les Inuit en marge de la démocratie » dans la circonscription qu’elle brigue, et ce, dans l’indifférence générale.
« Ils ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale puisqu’il n’y a pas d’Autochtone élu, donc ils ne se sentent pas concernés. Ils ne se voient pas dans les visages de l’Assemblée nationale. »
En effet, les Autochtones se sont historiquement faits rares dans le gouvernement québécois. En 1924, le député conservateur wendat (huron) Sarenhes (aussi nommé Ludger Bastien) est le premier Autochtone élu à l’Assemblée nationale de l’histoire. Il a fallu attendre 2007 pour qu’Alexis Wawanoloath, un député abénakis du Parti québécois (PQ), répète l’exploit.
L’élection de cette année compte un nombre inédit de neuf candidat·es autochtones. Mais aucun·e député·e autochtone ne siégeait au gouvernement à sa dissolution, malgré les efforts des candidates inuites Mona Belleau du Nouveau Parti démocratique du Québec (NDPQ) et Alisha Tukkiapik de QS en 2018.
Pas facile de faire campagne dans Ungava
Selon Mme Labrecque-Saganash, la loi électorale du Québec ne tient pas compte des réalités de sa circonscription, qui comprend les régions du Nunavik et ceux du gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James. Plusieurs parties de ces régions n’ont pas de routes praticables et ne sont joignables que par avion, ce qui rend les déplacements plus difficiles.
« Les candidats et candidates d’Ungava ont un énorme territoire à parcourir et ils ont le même budget que toutes les autres circonscriptions du Québec », affirme-t-elle. « C’est nettement insuffisant pour faire le tour de toutes les communautés, car le transport par avion coûte cher, ou même pour acheminer de l’information de base avec des pancartes ou des dépliants. »
Rendre la politique accessible aux électeur·trices autochtones
La candidate de QS critique aussi les barrières linguistiques qui entravent la pleine participation des Autochtones au processus électoral. « Le matériel politique provincial n’est pas traduit en langues autochtones. Il faut traduire la littérature politique », affirme-t-elle.
« Pour ma campagne dans Ungava, Québec solidaire a assumé les frais de traduction pour nos dépliants de campagne et la promotion de notre plateforme en cri et en inuktitut. » QS est en effet le seul des cinq partis principaux qui a traduit sa plateforme électorale en sept langues autochtones.
Pour sa part, Élections Québec a traduit plusieurs de ses documents explicatifs en inuktitut et en cri.
Mme Labrecque-Saganash croit qu’il y a aussi un manque d’informations précises sur le processus électoral. « Dans les derniers jours, on apprenait qu’il y a eu des retards dans l’envoi des cartes d’électeurs », révèle-t-elle. À moins d’une semaine des élections et en pleine période de vote par anticipation, des centaines de résident·es de Kuujjuaq n’ont toujours pas reçu leur carte d’électeur·trice – qui contient des informations pertinentes sur les modalités du vote – en raison d’informations postales manquantes. Les employé·es du bureau de poste local, qui ne sont que deux, ont dû faire des recherches pour déposer chaque carte dans la bonne case postale.
Pour ajouter aux problèmes, le bureau du scrutin de Kuujjuaq a dû être déplacé sans préavis. « Il y a eu de la confusion quant à l’endroit exact des bureaux de vote », affirme la candidate. Au lieu des bureaux municipaux, les équipes d’Élections Québec ont déplacé le lieu de vote dans un centre sportif. Seule une petite affiche sur la porte indique le nouvel endroit du scrutin. Une fois à l’intérieur du centre, les électeur·trices doivent monter au deuxième étage et traverser deux corridors avant de trouver le bureau de vote.
Élections Québec a affirmé à Radio-Canada que tous ces problèmes sont « en dehors de [sa] volonté ».
Mais Mme Labrecque-Saganash est ferme. « Tout ce qui rend le vote plus compliqué pour les communautés du Nord contribue à les placer et à les laisser en marge des débats de société et de la démocratie. Dans une société qui se veut démocratique, c’est complètement inacceptable », conclut-elle.