Plus tôt ce mois-ci, François Legault a annoncé qu’il demanderait à Hydro-Québec d’étudier la possibilité de construire de nouveaux barrages hydroélectriques. Ces nouveaux projets auraient pour but de pallier un éventuel manque d’électricité dans la prochaine décennie et de faciliter la transition énergétique vers la carboneutralité. Une annonce que les candidat·es d’opposition des circonscriptions concernées ont accueillie avec une objection unanime.
D’ici 2050, date à laquelle le présent gouvernement voudrait atteindre la carboneutralité, Hydro-Québec estime que le Québec aura besoin de 100 TWh (térawattheures) d’électricité supplémentaire, c’est-à-dire, une demi-fois la production actuelle (200 TWh). Ce manque à gagner est dû non seulement à la croissance énergétique « naturelle » de la société québécoise, mais aussi à un parc automobile de plus en plus électrique et à des ambitions de produire de « l’hydrogène vert ». Tout cela augmente la dépendance de la société québécoise envers l’électricité produite dans le nord de notre province.
À noter qu’Hydro-Québec ne prévoyait pas la construction de barrages supplémentaires dans ses récentes planifications stratégiques, voulant plutôt miser sur l’efficacité énergétique et le développement de l’éolien. François Legault a d’ailleurs avoué qu’il n’avait pas consulté la société d’État avant d’annoncer qu’il souhaitait construire de nouveaux barrages.
Chose certaine, de nouveaux développements hydroélectriques dans le nord du Québec ne seraient pas sans conséquence sur les territoires et les personnes qui les habitent, notamment les Autochtones.
Pivot est allé à la rencontre des candidat·es de deux des circonscriptions les plus concernées, Ungava et Duplessis, pour leur demander ce qu’elles et ils pensent de l’idée de construire plus de barrages dans leur région.
Les candidat·es conservateur·trices des deux circonscriptions ainsi que les candidates solidaire et caquiste de Duplessis ont été contacté·es, mais n’ont pas répondu aux questions de Pivot.
Assurer la transition énergétique, mais comment?
Tou·tes les candidat·es sondé·es ont répondu à l’unisson quant à la nécessité de la transition énergétique. La CAQ, par contre, fait cavalier seul en ce qui concerne la nécessité de nouveaux développements hydroélectriques pour y arriver.
« Il n’en est pas question », répond Tunu Napartuk, ancien maire de Kuujjuaq et candidat libéral dans la circonscription d’Ungava. « Au Nunavik, nos leaders politiques n’en veulent pas et dans la région d’Eeyou-Istchee [territoire cri], c’est la même chose. »
« C’est franchement insultant pour les communautés autochtones », nous écrit Maité Labrecque-Saganash, candidate crie-eeyou de Québec solidaire, elle aussi dans Ungava.
« Nous vivons encore avec les conséquences de traumatismes liés à l’atteinte de nos territoires ancestraux et la CAQ décide d’annoncer en grande pompe et sans nous consulter qu’ils vont s’en prendre à nos rivières. »
Maité Labrecque-Saganash, candidate solidaire dans Ungava
« Sans nous demander ce qu’on en pense, sans se soucier des impacts environnementaux de ces constructions. C’est un grand manque de respect. »
Christine Moore, candidate péquiste dans Ungava, affirme de son côté que François Legault « saute une étape » en pensant déjà à la construction de barrages.
« Ce n’est pas sans impacts », nous dit Chamroeun Khuon, candidat libéral dans la circonscription de Duplessis sur la Côte-Nord, à propos des dangers pour la biodiversité que représentent les infrastructures hydroélectriques. « Si les experts disent que ce n’est pas un bon projet, ça va rester un mauvais projet même si on le peinture de toutes les couleurs pour le rendre acceptable », dit-il à propos des études défendues par son opposante caquiste, Kateri Champagne-Jourdain.
Questionnés par rapport à l’enthousiasme de leur parti pour l’hydrogène vert malgré la quantité d’électricité considérable que nécessite sa production, les deux candidats libéraux ont affirmé qu’il faudra penser hors du cadre de l’hydroélectricité pour son développement au Québec, mais sans trop élaborer.
Des alternatives aux barrages
Face à ces projets potentiellement longs et coûteux, certains experts se sont prononcés plutôt en faveur de l’éolien, mais surtout pour une plus grande efficacité énergétique. L’énergie éolienne est aussi mise de l’avant par la CAQ et le Parti libéral en remplacement de l’hydroélectricité pour combler les besoins du Québec.
Malgré l’ouverture de son parti au développement hydroélectrique, le candidat caquiste et député sortant d’Ungava, Denis Lamothe, fait aussi part de la volonté caquiste de suivre les objectifs d’économie d’énergie prévus par Hydro-Québec, qui représentent une diminution de 4 TWh avant 2025 et d’environ 8 TWh d’ici 2030.
« On devrait miser sur ça [l’efficacité énergétique] bien avant de penser aux barrages », nous dit M. Khuon, candidat libéral dans Duplessis. Il met aussi l’emphase sur la décentralisation énergétique en évoquant la possibilité d’équiper les toits du Québec de panneaux solaires, ou encore l’opportunité qu’offrirait une usine de biométhanisation pour sa circonscription.
Le rétablissement du crédit d’impôt RénoVert, abandonné par la CAQ en 2019, ainsi que la transition à des normes de la construction plus écoresponsables est également importante pour l’homme qui est dentiste à Lévis.
Christine Moore rappelle quant à elle la nécessité d’investir dans des infrastructures autres que celle des ressources naturelles pour les circonscriptions nordiques. « On n’est même pas capable de garder les dispensaires de santé ouverts. À Kuujjuarapik, c’est fermé parce qu’on n’est pas capable d’avoir le staff et on nous parle d’implanter un nouveau barrage. »
Un enjeu qui trouve également écho dans les promesses d’investissement de Québec solidaire annoncées par Mme Labrecque-Saganash le 12 septembre dernier.
Le droit au territoire
Avec le même vocabulaire « d’acceptabilité sociale » utilisé par François Legault à propos de bien des projets de développement promus par son gouvernement malgré l’opposition de communautés locales, les candidats caquistes des deux circonscriptions ont tenu à mentionner que l’élaboration des potentiels barrages se ferait « en étroite collaboration avec les nations autochtones et inuit », comme l’a mentionné M. Lamothe, un ancien policier.
Kateri Champagne-Jourdain, Innue de Uashat Mak Mani-utenam et candidate de la CAQ dans Duplessis, a quant à elle tenu à rappeler « qu’on est au stade d’évaluation et de réception de projets potentiels », en entrevue sur les ondes d’une radio de la Côte-Nord.
Certains représentants autochtones, comme Ghislain Picard de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), se disent pourtant inquiets. Les coûts environnementaux de la construction et de l’opération des infrastructures hydroélectriques ravivent plusieurs souvenirs douloureux des luttes pour la souveraineté de leurs territoires, de nombreux barrages ayant été imposés sans le consentement des nations autochtones par le passé.
« Si, un jour, il [François Legault] décide de rentrer ici et de commencer un projet de barrage, la réaction va être très forte dans toute la circonscription. Ça va être “non, on n’en veut pas”, ça, c’est clair. Et s’il continue, je vais être une des premières personnes à manifester. »
Tunu Napartuk, candidat libéral dans Ungava
« Le gouvernement ne nous connaît pas. […] Il n’y a presque pas eu de visites du député caquiste de la circonscription », déplore M. Napartuk. Il reproche au premier ministre et à son gouvernement de prendre « des décisions sans regarder pour voir comment on peut travailler ensemble », en citant en exemple la Loi 96 sur la langue française et la Loi 21 sur la laïcité.
Une candidate qui se démarque particulièrement sur l’enjeu des barrages hydroélectriques et de leurs dangers pour le territoire est Uapukun Mestokosho qui se présente dans Duplessis pour Québec Solidaire. Elle a milité pour l’obtention d’un statut juridique pour la rivière Magpie qu’on a déjà considéré d’exploiter pour son débit rapide et son potentiel hydroélectrique.
« Un de mes rêves, ce serait que tous les barrages qui ont été construits sur les rivières soient détruits pour laisser couler les rivières naturellement, comme il se doit », a-t-elle avoué à Radio-Canada.