La fonderie Horne et le désenchantement du monde

Il ne suffit pas de fermer la fonderie pour régler magiquement les problèmes qu’elle révèle.

J’ai voulu mieux comprendre la science derrière la fonderie Horne. Cette dernière et la multinationale Glencore qui la détient font l’objet de toutes les attentions depuis que la population québécoise a récemment (re)découvert la pollution chimique qu’elle engendre depuis des décennies, au détriment de la population et des écosystèmes de Rouyn-Noranda.

Des tonnes de questions m’assaillaient : la fonderie ne peut-elle pas faire mieux que rejeter 15 nanogrammes d’arsenic dans un mètre cube d’air (15 ng/m3) sur le territoire de Rouyn-Noranda, soit cinq fois plus que la norme provinciale actuelle?

Est-ce le gouvernement qui manque de poigne, ou alors la multinationale qui en a de trop?

J’ai donc discuté avec des expert·es pour trouver des explications basées sur la science et des solutions constructives à ce sujet qui enflamme le Québec.

Je n’aime pas les mots que je vais écrire et, pourtant, ce sont ceux qui résument le mieux ma recherche : la fonderie Horne n’est qu’un exemple du (nécessaire?) désenchantement du monde. Dit autrement, notre monde moderne, avec tout ce qu’on exige de lui, est polluant et pollué.

Heureusement, j’ai tout de même pu identifier des avenues de solutions, qu’il serait grand temps d’adopter pour le bien des personnes de Rouyn-Noranda et pour le reste de la planète.

Les fausses solutions faciles

Une grosse part de la job de la fonderie Horne est de glaner du cuivre dans des roches importées d’autres pays, m’ont expliqué des ingénieurs. Épuisement des ressources oblige, ces roches sont de plus en plus « sales », chargées en arsenic. Hé oui, les précédentes générations ont eu la bonne idée d’utiliser les roches de bonne qualité et de nous laisser les autres.

Cesser d’extraire du cuivre relève de la pensée magique, tant ce composant est nécessaire, à tout le moins dans notre quotidien moderne : on le retrouve de la tuyauterie des maisons aux composants électroniques.

Faudrait-il le remplacer par « autre chose »? Le cuivre a la qualité de se recycler à l’infini, comme l’aluminium. Remplacer des tuyaux de cuivre par du plastique, par exemple, créerait un autre type de pollution : on croule déjà sous les plastiques et ceux-ci soulèvent aussi des inquiétudes sanitaires, notamment pour les enfants. Et que dire du plomb?

La fonderie Horne permet aussi de recycler des produits électroniques. C’est le côté sombre, mais nécessaire, de l’économie circulaire. Parce que oui, il faut bien recycler tous nos cellulaires, ordinateurs et autres composants de voitures pour récupérer les métaux de plus en plus rares et précieux… et éviter une désastreuse pollution non contrôlée! Si les déchets électroniques étaient laissés à eux-mêmes dans la nature ou les dépotoirs, ils contamineraient les sols, les nappes phréatiques et la biodiversité (et donc, là aussi, les êtres humains).

La population et les écosystèmes de Rouyn-Noranda paient de leur santé pour qu’on bénéficie de cuivre, d’ordinateurs dernier cri, de 5G et de voitures autonomes.

Un réflexe humain pourrait être de fermer la fonderie pour cesser cette pollution locale. Cette fausse solution porte d’horribles noms : la délocalisation de la pollution ou le fameux phénomène NIMBY (« not in my backyard », soit « pas dans ma cour »).C’est une technique qui est trop utilisée par nos pays riches, par exemple avec l’exportation illégale de déchets électroniques en Afrique et de plastiques sales en Chine et ailleurs dans le monde.

Environnementalement (et, j’ose espérer, éthiquement), on comprend que ce n’est pas une solution. Au moins, le Québec a le pouvoir politique et économique pour créer des normes de plus en plus strictes alignées sur le développement des nouvelles technologies, en plus d’avoir une énergie souvent plus propre qu’ailleurs.

Par exemple, les ingénieur·es ont réussi à baisser significativement les rejets d’arsenic dans l’air de Rouyn-Noranda ces dernières décennies. On revient de loin : d’une moyenne annuelle de 1000 ng/m3 d’air au tournant des années 2000, jusqu’à l’objectif de 15 ng/m3 d’ici cinq ans. Fait notable, la norme québécoise de rejet d’arsenic est de 3 ng/m3 tandis que la norme européenne est de 6 ng/m3, on ne peut donc pas accuser le Québec d’être dans la queue du peloton (sur ce point-là).

L’importante solution urgente

S’il y a bien un mot qui était sur toutes les lèvres, c’est bien celui-ci : la transparence, la transparence et la transparence (comme Beetlejuice, j’espère que cela suffira à la faire apparaître). Les manœuvres de la fonderie Horne pour empêcher l’accès à l’information sont déplorables et contre-productives.

D’ailleurs, de nombreuses informations, comme les « autorisations d’assainissement » qui permettent de polluer plus que les normes, devraient être publiques depuis cinq ans… si seulement le gouvernement mettait en œuvre le registre prévu par la loi sur la qualité de l’environnement, m’a appris un avocat.

De même, la confusion du ministre de l’Environnement  concernant les entreprises qui disposent de ce droit de polluer au-dessus des normes démontre le chaos ambiant lorsqu’il s’agit d’obtenir des informations, même pour les journalistes.

Les 89 entreprises qui figurent sur cette liste auraient tout intérêt à jouer la carte de la transparence : publiez donc vos autorisations d’assainissements! Divulguez les zones à risques et les polluants que vous rejetez!

Permettez à la population, aux responsables politiques et aux scientifiques de trouver des solutions!

Par exemple, empêcher le gibier d’accéder à certains secteurs grâce à des barrières? Laisser les zones contaminées en friche? Taxer les profits des entreprises pour décontaminer? Ou déplacer des maisons… et des écoles?

Les solutions draconiennes et nécessaires

Développer l’économie circulaire permettrait notamment d’utiliser moins de matériaux et de la réutiliser aussi longtemps que possible, tout en soutenant l’économie locale. Et avant même de parler du recyclage, il faut parler de la réduction et de la réutilisation (la fameuse règle des R).

L’« écoconception » est une manière de concevoir les objets qui facilite leur réparation et la récupération de matières premières lors du recyclage, ce qui limite l’utilisation de produits chimiques, par exemple. Une avancée comme l’élargissement de la consigne (qu’il serait temps de concrétiser!) ou la déconstruction des bâtiments (plutôt que leur démolition pure et simple) s’inscrivent en ce sens.

Une autre solution rapide, efficace et urgente, consiste à remettre en cause notre (sur)production et (sur)consommation. Le 28 juillet, cette année, l’humanité avait déjà consommé l’ensemble des ressources que la planète peut régénérer un an. Et nous avons franchi dernièrement la cinquième limite planétaire, celle de la pollution chimique.

Nous sommes entourés de polluants, des rejets de pots d’échappement aux pesticides agricoles.

Cette pollution ne vient pas de nulle part : comme les Rouynorandien·nes, nous payons cher les impératifs d’une croissance économique sans égard aux limites planétaires.