Depuis lundi, des étudiant·es occupent pacifiquement le pavillon des arts de l’Université McGill. Souhaitant donner l’exemple, elles et ils ont établi un campement pour revendiquer la fin des investissements de leur université dans l’industrie fossile. Les occupant·es dénoncent plus particulièrement les millions investis par l’université dans TC Energy, l’entreprise qui construit actuellement un gazoduc contesté sur le territoire de la nation autochtone Wet’suwet’en. La mobilisation vise aussi à obtenir une démocratisation des décisions universitaires et à relancer la vie politique sur le campus, après deux ans de pandémie.
Ces jours-ci, lorsqu’on franchit la porte principale du pavillon des arts de McGill, on découvre une douzaine de grandes tentes de camping. Quelques dizaines d’étudiant·es sont installé·es dans le hall et jusque dans les couloirs avoisinants. Lors de notre visite mardi, elles et ils étaient réuni·es en petits groupes de discussion, dans une ambiance calme, tandis que les cours se tenaient dans les salles de classe un peu plus loin.
Sur une table pliante, on trouve toute la vaisselle et la nourriture qu’il faut pour les repas. « Des gens nous apportent toutes sortes d’aliments, en solidarité », explique Rebecca, étudiante de premier cycle qui participe à l’occupation. Tout semble en place pour que l’occupation initiée par les étudiant·es lundi dernier se prolonge.
Les occupant·es ont en tout cas l’intention de demeurer sur place au moins pour la semaine, voire plus longtemps. « On pourrait rester indéfiniment! » lance Leroy, qui a contribué à l’organisation de l’occupation en collaboration avec le groupe étudiant Divest McGill (Désinvestissment McGill). « Nous sommes un bon nombre de personnes à passer la nuit, et il y a aussi pas mal de monde qui vont et qui viennent durant la journée », rapporte Rebecca.
Pour le moment, aucune réaction de l’université, qui s’est contentée d’envoyer un agent de sécurité pour la nuit, relate Leroy. L’occupation a tout de même pour but de forcer l’administration à écouter les revendications étudiantes concernant certains choix faits par le Fonds d’investissement de McGill.
Ces revendications ne sont pas tout à fait nouvelles : cela fait maintenant dix ans que Divest McGill milite pour que l’université mette fin à des investissements jugés néfastes, par exemple dans l’armement et l’industrie fossile.
Aujourd’hui, les occupant·es demandent que McGill mette fin à tous ses investissements dans les 200 grandes entreprises les plus fortement impliquées dans l’exploitation des énergies fossiles. Surtout, les étudiant·es exigent que McGill retire immédiatement les 3,5 millions $ qu’elle a investis dans TC Energy, l’entreprise gazière derrière le projet de gazoduc Coastal GasLink, sur le territoire de la nation autochtone Wet’suwet’en, qui s’oppose fermement au projet.
Sur la lutte des Wet’suwet’en contre le gazoduc Coastal GasLink :
« “Je serai toujours Wet’suwet’en” : les opposant·es au pipeline Coastal GasLink solidifient leur alliance », par Brandi Morin
« Les Wet’suwet’en bloquent à nouveau la construction d’un pipeline sur leur territoire », par Alexis Ross
« Nous affirmons que l’université doit désinvestir de l’industrie fossile et de TC Energy dès maintenant », pose Rebecca.
« Quelque chose doit être fait, parce que McGill ne peut pas prétendre contribuer à la décolonisation, comme elle le fait, tout en soutenant directement l’appropriation violente de territoires autochtones, par une industrie polluante en plus. »
À ses yeux, il est impensable de séparer la lutte écologique et la solidarité avec les peuples autochtones, directement touchés par l’exploitation des ressources naturelles mais aussi par les conséquences de la crise climatique. « Comment pourrait-on combattre les changements climatiques sans combattre le colonialisme qui vient avec? C’est profondément connecté », affirme-t-elle.
Pour Luna, étudiante en théâtre, l’occupation en cours montre qu’il est tout à fait possible de se mobiliser pour contrer les violences coloniales et écologiques.
« McGill parle beaucoup de réconciliation et tout, mais nous, nous croyons que c’est important d’agir véritablement, en solidarité avec les Wet’suwet’en. Cette occupation, c’est aussi une façon de montrer comment l’action directe permet de s’attaquer aux problèmes, de manière très concrète. »
Contactée par Pivot, McGill n’a pas voulu commenter l’occupation elle-même. En ce qui concerne les investissements faits par l’université, une déclaration transmise par le service des relations médiatiques insiste sur les « objectifs ambitieux de McGill en matière de décarbonisation de son portefeuille de dotation », tels qu’adoptés par le Conseil des Gouverneurs en avril 2020. L’institution dit notamment avoir « réduit de moitié ses placements dans les actions des 200 [plus grandes entreprises fossiles], passant d’environ 2 %, soit environ 32 millions de dollars[…], à moins de 1 %, soit environ 17 millions de dollars », dès juin 2020.
Démocratiser l’université
De toute évidence, pour une partie de la communauté étudiante, les gestes posés par l’administration sont insuffisants. Et si les étudiant·es en sont rendu·es à occuper le pavillon central du campus de McGill, c’est parce que toutes les autres voies ont échoué, explique Rebecca. « On a vraiment essayé toutes les avenues institutionnelles », mais en vain, déplore-t-elle. « L’administration a prouvé encore et encore qu’elle ne voulait pas nous écouter. »
« On a tenté de dialoguer dans le passé. Maintenant, on revendique », résume quant à elle Luna.
Divest McGill et de nombreux groupes de la communauté universitaire (associations étudiantes, syndicats, etc.) font pression depuis longtemps sur le Conseil des Gouverneurs de l’université en vue d’un désinvestissement de l’industrie fossile. Des demandes officielles, des rapports, des pétitions et des moyens de pression se sont succédés.
Pour les occupant·es, il y a un manque de démocratie à McGill. Des décisions cruciales sont entre les mains du Conseil des Gouverneurs, mais celui-ci ne comporte qu’une minorité de membres élu·es par la communauté universitaire. « Le Conseil des Gouverneurs réunit toutes sortes de dirigeants d’entreprises et de banques », critique Rebecca. « C’est sûr qu’ils ont des intérêts bien à eux. »
« Notre mobilisation fait aussi partie de la campagne Democratize McGill, lancée l’an dernier », explique-t-elle. « On s’organise ensemble pour changer le fonctionnement de l’université, plutôt que de se laisser gouverner par un petit conseil. »
L’occupation elle-même se veut un avant-goût de cette démocratie universitaire. Les décisions y sont prises collectivement et des assemblées sont tenues régulièrement. « On veut créer un espace respectueux, dans une institution qui est loin d’être construite autour du respect », dit Rebecca.
Lancer un mouvement
Tandis que nous discutons, les cours prennent fin et le pavillon des arts s’anime. Des étudiant·es entrent et sortent de l’édifice, traversant le hall occupé et s’arrêtant parfois pour observer, intrigué·es.
À l’entrée, une table est couverte de dépliants, de brochures et de livres : ceux-ci expliquent la lutte en cours, mais abordent aussi bien d’autres enjeux, allant du logement dans le secteur Milton-Parc à la brutalité policière, en passant par le féminisme, la décolonisation et l’écologie. Certain·es étudiant·es de passage prennent le temps de feuilleter les documents. D’autres engagent des conversations avec les occupant·es pour comprendre ce qui se passe.
« Ça rassemble toutes sortes de gens bien différents », se réjouit Rebecca. « Nous avons généralement le support de la communauté », constate Leroy. « Personne n’est hostile ou fâché. Le pire que j’aie vu, c’est un étudiant qui voulait absolument débattre avec moi », relate-t-il en riant.
La sensibilisation et la mobilisation de la communauté universitaire font justement partie des objectifs centraux de l’occupation, explique Leroy. C’est pourquoi de nombreuses activités de discussion et d’éducation sont prévues tous les jours : visionnement de documentaire, cercle de lecture, atelier sur la transition juste ou encore séances de planification sont à l’horaire de la semaine.
L’occupation s’inscrit dans une stratégie pour redynamiser la vie politique étudiante, malmenée par la pandémie, expose Leroy. « La COVID a détruit la mobilisation », regrette-t-il. Il a fallu des mois, depuis l’automne, pour faire revivre Divest McGill et préparer les événements de cette semaine, indique-t-il
Même si l’administration universitaire ne répondait pas aux demandes étudiantes, l’occupation pourra au moins servir à initier de nouvelles personnes au militantisme et à recruter des membres pour les campagnes de Divest McGill et Democratize McGill.
« C’est un premier pas. On espère que ça prenne de l’ampleur », affirme Leroy. « On pourrait bien aller jusqu’à la grève », affirme-t-il, non sans enthousiasme.
Un espoir partagé par Luna : « En imposant nos corps dans l’espace, ici, sur le campus, en se rendant visibles, on lance aussi un appel pour que plus de personnes rejoignent le combat », affirme-t-elle.