Les centres de crise du Québec manquent d’air

Alors que les besoins augmentent, les centres d’intervention de crise communautaires assistent à l’exode de leurs employé.es, faute de financement.

L’ambiance est calme et chaleureuse dans la maison ancestrale qui abrite la Bouffée d’Air du KRTB. Dans un petit salon aux lumières tamisées, une jeune femme et un homme font des mots croisés. Ce centre de crise accueille les gens en difficulté de Rivière-du-Loup et des environs depuis maintenant 30 ans. Ses portes sont ouvertes jour et nuit. Mais cet accès est aujourd’hui en péril, faute de moyens financiers. Au fil du temps, l’écart salarial avec le réseau de la santé accentue la difficulté à recruter et retenir le personnel. 

Cette année, il s’en est fallu de peu que la Bouffée d’Air soit obligée de fermer ses portes pour le temps des Fêtes. Sa situation est loin d’être unique. D’autres organismes similaires ont des problèmes et si rien n’est fait, des gens en grande difficulté pourraient se buter à des portes closes un peu partout dans la province.

« Au début de la pandémie, en plein mois de mars, une personne de 80 ans a été déposée devant la porte avec ses médicaments. C’est ça, un centre de crise », explique Hélène Chabot. La directrice de l’organisme, la Bouffée d’Air du KRTB (pour Kamouraska, Rimouski, Témiscouata, Les Basques) nous accueille dans une pièce lumineuse.

Il y a des plantes et un piano. Dans un coin, une guitare est adossée à un fauteuil. On est loin d’un décor d’hôpital.

« On fait des miracles depuis longtemps », explique Hélène Chabot. Le centre de crise situé à Rivière-du-Loup n’a aucune liste d’attente pour un appel téléphonique ou une rencontre en personne. Il dispose de neuf places d’hébergement, mais celles-ci sont réduites à sept en raison des règles sanitaires actuelles. L’équipe d’une dizaine d’intervenant.es accueille des hommes et des femmes aux prises avec des difficultés reliées à divers problèmes: itinérance, idées suicidaires, angoisse, difficultés relationnelles. « Notre spécificité, c’est la crise », nous dit la directrice.

La durée des séjours est variable. Une personne en crise peut y demeurer d’un à quatorze jours. Les gens sont libres, libres de se reposer et se rétablir. Les employé.es sur place de jour comme de nuit sont formés pour accueillir, évaluer les situations et apporter de l’aide. Ces intervenant.es sont des « des ressources spécialisées qui demandent une formation », dit Mme Chabot. La Bouffée d’Air engage principalement des personnes ayant des diplômes en travail social, en éducation spécialisée ou en psychoéducation.

Des besoins qui augmentent

La directrice du centre remarque une augmentation de la demande pour leurs services en ce moment. « C’est l’effet rebond de la pandémie », analyse-t-elle. « Au début, les gens étaient dans la survie », explique-t-elle, mais maintenant beaucoup de personnes se trouvent en difficulté. Il y a plus de gens qui vivent de l’anxiété, des symptômes de dépression, des difficultés relationnelles, dit-elle. Mais le financement, lui, n’a pas suivi l’augmentation de cette demande. 

« On a été créé pour désengorger les urgences, mais on a été complètement oublié », se désole Mme Chabot.

Le problème principal, selon la directrice, est le recrutement et la rétention du personnel. « J’ai deux postes d’affichés », nous dit-elle, « mais cela fait deux ou trois mois que je n’ai pas reçu de nouvelle candidature ». Les salaires dans les organismes communautaires sont beaucoup plus bas que ceux dans le réseau de la santé. En plus, les horaires de soir, de nuit et de fin de semaine sont difficiles à combler. « Je ne veux pas faire comme le réseau et imposer du temps supplémentaire obligatoire », dit-elle. Durant quelques mois, la situation était si précaire, que chaque personne acceptée pour un hébergement devait avoir un plan B en cas de fermeture. « Il y a deux semaines, on pensait fermer pour le temps des Fêtes », raconte la directrice, mais un nouvel employé a été trouvé in extremis et est présentement à l’essai.

Hélène Chabot, directrice de la Bouffée d’Air du KRTB | Sam Harper

La situation demeure très fragile. L’organisme a augmenté légèrement les salaires grâce à des subventions et des dons. Mais ces montants ne sont pas récurrents. D’ici trois ans, l’organisme se verra obligé de fermer durant l’été, faute de moyens.

Départ des intervenant.es pour le réseau de la santé

Il y a 21 centres de crises au Québec. Ce réseau d’organismes spécialisés à été mis sur pied par Mme Thérèse Lavoie-Roux, ministre de la Santé et des services sociaux, en 1987. Il s’agissait alors de désengorger les urgences et de créer une alternative à l’hospitalisation en psychiatrie. Les centres travaillent de près avec les équipes du réseau de la santé, qui leur réfèrent des personnes ayant besoin de leurs services. Ironiquement, les intervenant.es du communautaire quittent de plus en plus pour ce même réseau qui a besoin d’eux.

« On est une pépinière pour le réseau de la santé », explique Roxane Thibeault, présidente du Regroupement des services d’intervention de crise du Québec (RESICQ). « [Le réseau reconnaît] la formation et l’ancienneté de nos intervenants », ajoute-t-elle. La différence de salaire est d’au moins 30 %, en plus des avantages sociaux comme un fonds de retraite, entre le système de la santé et le communautaire. Pour Mme Thibeault, qui est également directrice d’un centre de crise en Montérégie, il est urgent de réduire cet écart.

Roxane Thibeault raconte que lors d’une rencontre de leurs membres au début du mois de novembre, ils ont constaté à quel point la situation était critique. « Partout au Québec, les centres de crises peinent à répondre aux besoins », ajoute-t-elle. Presque tous doivent réduire leurs activités et certains songent à fermer pour une courte période pour permettre à leurs employé.es de prendre des vacances. « On épuise nos intervenants parce qu’on n’arrive pas à les remplacer », regrette-t-elle.

Coin salon dans la maison du centre La Bouffée d’Air | Sam Harper

« On a toujours tenu à bout de bras nos services », dit Roxane Thibeault, « On réduit nos lits, on réduit le nombre de rencontres en face à face. […] Mais fermer complètement, ça fait peur. Ça veut dire que tous les cas de crises dans la communauté vont être dirigés vers l’urgence et ce n’est pas souhaitable. » Pour la présidente, c’est d’abord un problème pour l’urgence : proposer des services dans la communauté doit justement permettre de diminuer l’achalandage et la pression sur l’hôpital. Elle explique, en plus, qu’il n’est souvent pas nécessaire de « psychiatriser » un individu. Les ressources alternatives, comme les centres de crises, viennent répondre à ce besoin.

En novembre 2020, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé un investissement de 100 millions $ afin d’améliorer l’offre de soins en santé mentale au Québec. Sur ce montant, 10 millions $ étaient alloués aux organismes communautaires en santé mentale. Le réseau des centres de crises n’a pas reçu un sou.

« On s’est toujours fait un point d’honneur de ne pas toujours tout ramener à l’argent », nous dit la présidente du RESICQ. « On n’est pas en train de demander pour développer de nouveaux services. En ce moment, ce que l’on demande c’est de l’aide pour maintenir les services que l’on donne déjà. »

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