
« Les GAFAM se sont installés à demeure. On peut même parler d’une invasion »
Dans un ouvrage paru cette semaine, l’ancien journaliste Alain Saulnier s’attaque aux « barbares numériques. »
« Ils sont là pour rester. Nous n’avons pas le choix de faire avec », mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenter de les combattre, affirme le journaliste et professeur Alain Saulnier, en parlant des géants numériques, autrement appelés GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
C’est ce que propose l’ancien directeur de l’information de Radio-Canada, qui s’attaque à ces « barbares numériques », titre de son essai publié chez Écosociété sorti le 8 février partout en librairies.
« J’ai toujours été préoccupé par le sort de nos médias, de la culture et de la langue au Québec. Quand j’ai commencé à comprendre la façon dont les géants numériques s’imposent dans toutes les sphères de nos vies, à tous les égards (dont le vol de données et la destruction de notre économie), je me suis dit qu’il y avait quelque chose dans cette dynamique qui était en train de détruire une partie de ce que nous sommes en tant que société », commence d’emblée Alain Saulnier.
Interpellé sur le sujet des GAFAM par les policiticien.nes et différentes tribunes médiatiques depuis plusieurs années, celui qui retrouve aujourd’hui sa liberté de parole ne mâche pas ses mots, ni dans son livre, ni en entrevue, pour dépeindre la façon dont le Canada et le Québec gèrent les géants numériques.
« Nous avons complètement erré dans notre gestion des GAFAM. Le CRTC, en affirmant à l’aube des années 2000 qu’internet ne le concernait pas, leur a ainsi ouvert la porte tout grand. Les GAFAM se sont installés à demeure. On peut même parler d’une invasion », affirme l’essayiste.
Une menace à la culture
Pour l’ancien professeur de journalisme de l’Université de Montréal, les géants du web ne sont pas juste une menace économique et virtuelle. Ils sont aussi une entrave à notre culture. Pour l’auteur, si on aspire à la souveraineté culturelle, il faut combattre les Netflix et autres plateformes américaines de ce monde.
« Notre culture est extraordinaire. Elle n’a rien à envier à ce qui nous est proposé par les GAFAM. Mais nous ne sommes pas de taille et nous ne nous battons pas correctement. La vraie menace, ce sont ces géants qui nous imposent leur musique, leurs films, leurs téléséries, en plus d’un système économique comme celui d’Amazon, qui détruit les petits commerces. Il faut une vraie stratégie pour soutenir la culture d’ici, de sa production à sa diffusion, en passant par son rayonnement et sa distribution », affirme Alain Saulnier.
Inaction politique
Si quelques initiatives se trament lentement au niveau fédéral pour encadrer les GAFAM, comme le récent projet de loi C-11 proposé par le ministre du Patrimoine canadien Paolo Rodriguez visant à assujettir les géants du numérique aux règles canadiennes en matière de radiodiffusion, Alain Saulnier considère que les dirigeant.es ont trop tardé pour encadrer les géants du web.
« Nous sommes en retard sur la Loi des droits d’auteur, sur l’équité fiscale à l’égard des entreprises étrangères, qui font tellement d’argent ici qu’elles devraient au moins contribuer sur ce plan. Nos dirigeants ont été trop longtemps subjugués par les leaders des géants numériques » selon le journaliste.
« Pourquoi les partis politiques ne feraient-ils pas front commun par rapport aux géants du web? S’entendre sur la souveraineté culturelle et réfléchir à comment la faire? Comme ç’a été le cas sur d’autres dossiers comme l’aide médicale à mourir et plusieurs autres dossiers sur lesquels ils se sont entendus ? » questionne-t-il.
Même chose pour les médias. Des réseaux sociaux comme Facebook ont pratiquement droit de vie ou de mort pour les médias numériques. Si certains ont négocié des ententes avec l’empire de Mark Zuckerberg comme Le Devoir et les médias de la Coopérative d’information CN2i, Alain Saulnier croit qu’il en faut plus. « On ne peut pas s’en remettre à la bonne volonté et à l’ouverture des géants du web qui signent des ententes de gré à gré avec des médias qu’ils vont choisir. Je suis plutôt pour des règles universelles pour tout le monde. Il faut pouvoir faire rayonner tous les points de vue, pas seulement ceux que choisissent Facebook », croit-il.
Dans le même ordre d’idées, une partie du combat contre les GAFAM relève également du combat contre les fausses nouvelles, largement diffusées et non réglementées, ou si peu, par ces entreprises américaines les mieux cotées en bourse.
« Facebook devrait être considéré comme un média, avec les responsabilités qui lui incombent, notamment en matière de fausses nouvelles. »
Alain Saulnier
Alain Saulnier suggère même que le Conseil de presse ait son mot à dire sur les propos mensongers diffusés par les médias sociaux.
Un appel à l’action citoyenne et politique
« Ainsi, soyons plus que de simples consommateurs, soyons des citoyens qui avons à cœur la cohésion sociale, le vivre-ensemble, la démocratie, la beauté de notre langue et de nos cultures. Nous devons participer activement au combat extrême du XXIe siècle entre l’information et la désinformation dans l’espace numérique », peut-on lire dans la conclusion des Barbares numériques. Cet essai se veut un véritable appel à la mobilisation, citoyenne et politique.
« J’espère lancer des réflexions pour entamer les discussions. Je ne suis pas un homme politique, mais j’ose croire qu’il y a des gens que ça va faire réagir. J’ai écrit ce livre de façon vulgarisée, en mettant d’abord la table sur l’histoire, les profits, les revenus des GAFAM, et en m’adressant à des gens qui ne sont pas déjà au courant de ce dossier », explique l’auteur. Il veut, par son essai, tenter de favoriser une prise de conscience.
« Il faut vraiment travailler à encadrer les géants numériques, à faire en sorte de récupérer une partie des sommes qu’ils s’accaparent, que ces entreprises nous aident à faire face à la pandémie, aux fausses nouvelles, et ne se comportent plus comme des barbares, mais plutôt comme des bons citoyens corporatifs », conclut Alain Saulnier.
Les Barbares numériques, éditions Écosociété, février 2022.