Emprise des intérêts privés sur la vie publique, populisme de droite, menace écologique, peur du changement social : dans l’histoire étrange du troisième lien, Simon-Pierre Beaudet voit un condensé de tous les malheurs qui frappent notre société. C’est ce qu’il raconte dans son nouveau livre, Ils mangent dans leurs chars : chroniques du troisième lien et de la fin du monde.
« Il faut repartir du début », pose Simon-Pierre Beaudet quand on l’interroge sur ce que représente le troisième lien. « La raison pour laquelle cette idée-là a pris autant d’importance, c’est parce que les radios privées s’en sont servies pour faire une grosse campagne d’autopromotion. »
« Ceux qui poussent le troisième lien, en fait, ils s’en câlissent », lance l’essayiste. « Ce sont des hypocrites. »
En 2016, CHOI Radio X avait moussé l’idée en distribuant des milliers d’autocollants en faveur du projet jusque-là méconnu, se souvient l’enseignant de littérature au cégep Limoilou. La station avait alors consacré une bonne partie de sa programmation à parler du troisième lien comme si elle défendait une demande populaire. Le FM93 et d’autres médias lui avaient ensuite emboîté le pas. « À partir de ce moment-là, ça a fait partie du débat public. »
« Après ça, des politiciens ont trouvé payant de se coller sur cet agenda-là », raconte encore Simon-Pierre Beaudet. Il évoque la création du parti municipal Québec 21 par un chroniqueur de Radio X, Frédérick Têtu, et un ancien député de l’ADQ, Jean-François Gosselin. Mais il identifie aussi François Legault parmi les « populistes de droite » qui auraient cherché à tirer profit de l’engouement « artificiel » pour le troisième lien. « Le gouvernement a rapidement mis des millions dans un bureau de projet, même s’il savait très bien que ça ne se ferait jamais. »
En effet, pour Simon-Pierre Beaudet, le troisième lien n’a jamais été un véritable projet.
« Ce n’est pas fait pour être construit, c’est fait pour nous faire parler. »
Du début à la fin, croit l’auteur, la campagne autour du troisième lien n’a été qu’une affaire de « marketing » qui a permis de « faire élire des politiciens de droite ». Et « pendant qu’on s’occupe de ça, on ne s’occupe pas d’autre chose, on perd notre temps et notre salive », soupire-t-il.
Mais « si ça a pogné, c’est parce que ça touchait à quelque chose », croit tout de même Simon-Pierre Beaudet. « Les gens se font chier au travail et dans le trafic » et les défenseurs du troisième lien ont réussi à leur faire croire que pour régler leur misère, « ça prendrait plus de la même affaire, plus de voitures et plus d’asphalte ». C’est pourtant exactement ce qui menace la vie sur terre, remarque l’auteur.
En réponse à cela, « on doit retrouver le sens d’une politique transformatrice », avance-t-il. « Pour que le monde perdure, on sait très bien qu’il faut tout changer en profondeur, mais on a peur de le faire. » Aux yeux de Simon-Pierre Beaudet, ce qui définit le mieux la gauche, c’est plus que la défense du transport en commun, de l’environnement ou des services publics : c’est l’idée bien simple « qu’il est possible de transformer nos villes, nos sociétés » pour que la vie y soit meilleure.
« Il y a deux types de politique : celle qui veut gérer l’ordre établi et celle qui sait qu’on peut le transformer. »
Avec le débat du troisième lien, « on se fait imposer un agenda politique par la droite », mais « on peut sauter sur l’occasion pour défendre une autre vision du monde » : c’est le pari qu’a tenté de relever Simon-Pierre Beaudet avec les écrits rassemblés dans son dernier livre.
Ils mangent dans leurs chars : chroniques du troisième lien et de la fin du monde
Simon-Pierre Beaudet, Montréal, Moult Éditions, 2021, 248 pages
L’ouvrage réunit une série de courts textes, pour la plupart polémiques, publiés entre 2017 et 2021 sur diverses plateformes. Plusieurs d’entre eux s’attaquent au troisième lien, mais l’auteur s’en prend aussi au Costco, à Netflix, aux chroniqueurs de droite, à la Meute, ou encore à la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault – bref, à tout ce qui peuple notre univers « turbo-capitaliste ».