Nous les avons rencontré.es pour discuter de quartiers habitables, de services publics démocratiques… et de socialisme.
Pivot : Dans votre balado Vous critiquez l’image de la cellule familiale comme petite unité autosuffisante, qui serait capable de répondre elle-même à tous ses besoins. Quelle est cette image et quels sont les dangers qu’elle pose?
Hubert : On s’attaque à l’image du cocon fermé sur lui-même. C’est une image qui est très valorisée : la petite famille, qui fait ses petites affaires tranquille, puis tout est beau. On essaie de casser ce modèle-là, parce qu’il mène à un cul-de-sac : bientôt, il n’y aura plus de planète! Nos enfants vont nous dire qu’on l’a échappé, même si on fait nos petites affaires, notre petit compost, notre petit recyclage. On va l’échapper si on s’attarde juste à ça.
Faut faire attention! Ça nous arrive à nous aussi, c’est vrai que le quotidien familial te rattrape. Je comprends qu’il y ait des gens qui finissent par se refermer sur leur famille, même si ce n’était pas leur intention.
Laurence : Le modèle actuel nous coupe du reste du monde. Il faut se sortir de ça, se parler, être solidaires, sinon, comme familles, on s’en va droit dans le mur. On a tous et toutes les mêmes enjeux, ce n’est pas juste une question de « moi j’ai besoin de ci ou ça, je règle mes petites affaires ». Il faut penser collectivité.
Si tu regardes sur Instagram, c’est clair que la famille est refermée sur elle-même et que tout est super standardisé. Tout est axé sur la « happy family » qui dit « regardez comme on est bien ensemble! » Des fois, on voit un peu la famille élargie, les grands-parents. Mais il n’y a absolument rien dans ces images-là qui nous ouvre la porte vers quelque chose de plus collectif, ou qui montre ce qu’on pourrait faire comme citoyens pour l’avenir de nos enfants.
Il y a plusieurs décisions, notamment néolibérales, qui nous ont menés là où on est actuellement. On est en train de perdre notre filet social. Les liens entre les parents, la solidarité entre les communautés, c’est rendu difficile à créer dans l’espace public.
Hubert : Nous, on l’a vécu avec la pandémie : il n’y avait plus de cours prénataux. Il ne reste plus grand-chose dans les CLSC, mais en temps normal, il reste au moins les cours prénataux. C’est un service intéressant, parce que ça t’amène à rencontrer des gens qui habitent près de toi, mais que tu ne connais pas : des gens qui viennent de milieux socioéconomiques différents, qui ont des parcours différents. Ça t’amène à côtoyer d’autres réalités que la tienne et peut-être à créer des liens. Si tu perds ça, tu en perds un gros bout.
Laurence : Il faut recréer le filet social, et il y a une seule manière de faire ça : c’est en se mobilisant.
Pivot : Comment peut-on agir comme parents à l’échelle sociale?
Laurence : D’abord, on ne peut pas juger les familles qui ne s’engagent pas. Pour nous, c’est facile : on baigne dans un milieu politisé, notre travail, c’est de militer. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut faire ça non plus. Au-delà d’aller manifester où de signer des pétitions, il y a plein d’autres façons de s’engager. Il faut y aller en fonction des enjeux qui t’interpellent, c’est plus facile comme ça.
Hubert : Un bon exemple de ça, c’est la lutte dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, contre Ray-Mont Logisitiques. C’est vraiment une bataille de familles, ça. Ce sont des gens qui disent : « c’est pas vrai que j’ai envie qu’il y ait du transbordement avec des conteneurs empilés dans ma cour ». Les gens le font pour eux, mais ils le font beaucoup en se disant : « je ne veux pas que mes enfants grandissent avec ça ». On est allé.es à une manif, et c’était pratiquement juste des familles avec des poussettes, et puis des enfants qui se promenaient. Cet enjeu est venu interpeller les gens parce que c’est leur habitat qui va être saccagé.
Laurence : Si tu t’engages comme parent dans une cause locale et que tes enfants participent, tu leur montres un exemple d’engagement citoyen, pour quand ils vont être autonomes. C’est quelque chose que tu peux transmettre comme parent, dans l’éducation.
C’est important de dire à nos enfants qu’ils peuvent s’engager comme citoyens, et que s’engager, c’est plus que de juste aller voter aux quatre ans.
Ça doit faire partie des valeurs à transmettre au sein d’une famille, il me semble.
Pivot : Mais ce n’est pas seulement aux parents de s’engager pour défendre leurs enfants. Comment la collectivité peut-elle accorder de l’importance aux enfants et soutenir les parents?
Laurence : C’est important de prévenir, pas seulement de guérir. Avant, il y avait des programmes sociaux qui permettaient aux gens de s’impliquer : il faudrait les relancer. Je pense aux espaces démocratiques comme les CLSC et les CPE. En redonnant plus de place aux modèles de cette nature-là, ça permettrait de créer plus d’engagement.
Hubert : Quand on parle du filet social, tout ce qui ressemble à de la centralisation, ça va tuer les communautés qui se mettent en place, qui se développent. Si les services publics sont proches, même si toi tu n’en a pas besoin, ça change la donne. Peut-être que le CHSLD dans ton village, tu vas avoir envie de te mobiliser pour qu’il ait de l’allure, contrairement à quand c’est une immense structure qui est gérée à l’autre bout du monde.
On l’a vu, les gens se sont mobilisés pour leurs écoles, en 2015, avec le gros mouvement « Je protège mon école publique ». Nous, à l’époque, on n’avait pas d’enfant, mais on y allait pareil. Les gens sont prêts à se mobiliser quand ils sentent que ça compte, que c’est proche d’eux et qu’ils voient l’impact que ça a sur leur vie.
C’est ça, notre perspective : c’est de ramener les choses proches des communautés.
Laurence : C’est sûr que comme citoyen, si tu n’as pas d’enfants, c’est plus dur d’être interpellé par les enjeux qui touchent les familles. Mais plus tu vas créer des liens plus proches dans ta communauté, plus les enfants des uns vont être les enfants des autres, et plus tu vas te sentir préoccupé, même sans avoir d’enfants.
C’est pour ça que lutter pour la décentralisation, c’est super important.
Il faut rebâtir un filet social beaucoup plus démocratique, qui redonne de la place aux voix citoyennes. Ça va déjà nous aider à sortir de notre léthargie politique.
Pivot : À quoi ressembleraient des services publics démocratiques, pour les familles?
Hubert : Ça passe beaucoup par les CLSC, c’est sûr. L’idée des CLSC, ce n’était pas juste de donner des soins. C’était aussi d’avoir une rétroaction de la communauté, pour qu’elle puisse décider et dire par exemple : « chez nous, il faut qu’on porte une attention particulière aux soins pour les personnes toxicomanes, ou alors aux soins à domicile », s’il y a beaucoup de personnes âgées. Si tout ça disparaît parce que c’est géré loin, dans une grosse structure bureaucratique, alors oublie ça, les gens vont être désabusés.
Laurence : Tout ça, ça va avec le besoin des familles d’habiter dans des quartiers où il y a des services de proximité.
Avec les années, les quartiers se sont beaucoup développés, ce sont comme des petites communautés… mais c’est juste du commerce!
Pourquoi dans ces quartiers-là, il n’y aurait pas aussi des services publics organisés par et pour notre communauté? Pourquoi on n’imbriquerait pas notre tissu social dans nos quartiers?
Mais ce qu’on décrit là, ce sont des lieux de contre-pouvoir fertiles. C’est sûr que ça dérange les élus. C’est ce qui est arrivé avec les CLSC : ça dérangeait les élus, que les gens se parlent, parce que ça faisait de la pression.
Pivot : Pour nommer les solutions que vous identifiez, vous parlez de socialisme. Qu’est-ce que vous entendez par là? Qu’est-ce qu’une « famille socialiste »?
Hubert : Le socialisme peut avoir plusieurs définitions. On n’est pas en train de dire qu’on veut un retour de l’URSS, évidemment! On défend un socialisme démocratique, comme celui porté aux États-Unis par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez. Ça ressemble à notre avis à ce que fait Québec solidaire chez nous.
Le socialisme démocratique, c’est de donner plus de place aux travailleurs et aux travailleuses, et pas juste dans une élection aux quatre ans. C’est d’avoir plus de place au quotidien, dans l’économie, dans tout ce qui touche nos vies.
Au Québec, les programmes sociaux comme les CPE et les CLSC, ce sont ceux que les gens aiment le plus, et ils sont clairement d’inspiration socialiste.
Laurence : Et ces programmes-là, ceux dont les familles ont le plus besoin, ils sont menacés. En fin de compte, le socialisme, c’est probablement plus actuel qu’on le pense.
Quand on parle de « familles socialistes », on pense à des familles progressistes. On croit qu’il y a plusieurs familles qui peuvent être des familles socialistes, même si elles ne vont pas nécessairement le nommer comme ça. Mais les besoins qu’elles ont et leurs préoccupations vont rejoindre ce courant politique là.
Hubert : En donnant ce nom-là à notre podcast, on voulait aussi un peu « choquer », que les gens se disent « c’est quoi ça? » Viens l’écouter, et puis tu en jugeras, si c’est si choquant que ça!