Dans son nouveau livre, Spin Doctors, Nora Loreto retrace la première année de la pandémie au Canada en mettant l’accent sur la couverture médiatique. La journaliste indépendante conclut que les grands médias n’ont pas suffisamment remis en question les stratégies des gouvernements provinciaux et fédéral, contribuant aux échecs sanitaires.
« Trop de journalistes ont pensé que leur rôle était d’être du bord du gouvernement pour combattre la COVID », raconte en entrevue Nora Loreto. « Je comprends ça, mais ça affecte le travail » journalistique, qui doit être critique et toujours aller au-delà des informations mises de l’avant par les dirigeants, juge-t-elle.
Souvent, les journalistes qui critiquaient les actions de l’État étaient vus comme des ennemis qui nuisaient à la lutte contre le virus, regrette l’auteure.
« Si tu étais critique, tu étais contre la santé publique! »
Elle rappelle l’histoire d’Aaron Derfel, ce journaliste du Montreal Gazette qui avait été attaqué à plusieurs reprises par François Legault à l’été 2020, parce qu’il posait des questions difficiles et révélait les failles de la gestion du premier ministre.
La trop grande complaisance des médias envers les politiciens a permis à ces derniers d’imposer des mesures sanitaires inefficaces tout en préservant le statu quo et les intérêts des élites, insiste Nora Loreto, qui est aussi éditrice pour l’Association canadienne des médias du travail. Par exemple, illustre l’auteure, les gouvernements ont beaucoup insisté sur les comportements individuels pour prévenir la propagation du virus, mais ils ont tenu à garder l’économie ouverte.
Après avoir analysé la couverture médiatique au pays, Nora Loreto juge que celle-ci s’est conformée au discours gouvernemental : elle proposait trop peu de nouvelles, d’enquêtes et d’analyses sur la manière dont la gestion des milieux de travail favorisait la propagation de la COVID-19. Au Québec, ces milieux ont pourtant représenté plus de la moitié des éclosions.
Pour Nora Loreto, c’est exactement ce genre de failles qui nourrit la crise de confiance envers les médias, et même le conspirationnisme.
« La différence entre la réalité de monsieur et madame Tout-le-monde et ce qu’on voyait dans les journaux était énorme. »
Quand les citoyens et les citoyennes ne se reconnaissent pas dans les nouvelles, ils et elles peuvent facilement croire qu’on leur cache des choses, même quand il n’y a aucun complot, estime Nora Loreto. « Je vois exactement pourquoi les gens pensent comme ça. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les journalistes ne voient pas leur responsabilité » dans cette méfiance.
Les faiblesses de la couverture médiatique ne sont pas dues à une conspiration, mais pas non plus uniquement aux torts individuels des journalistes, prévient l’auteure. Elle juge que ce sont les patrons de presse qui ont la plus grande part de responsabilité. D’abord, ils n’ont « pas laissé assez de place aux voix critiques » dans leurs médias, estime-t-elle. Ensuite, en 2020-2021, ils ont coupé des milliers d’emplois pour protéger leurs profits, a calculé l’auteure : cela a mis une pression énorme sur les journalistes restants pour couvrir la crise.
« Tant qu’on aura un milieu médiatique contrôlé par quelques riches familles de droite, ça va continuer comme ça. »
La journaliste plaide pour un financement des médias qui serait public tout en demeurant autonome à l’égard des pouvoirs. Elle croit aussi que les médias indépendants devraient être mieux soutenus : à ses yeux, ils ont fait un travail honorable depuis un an et demi, malgré leurs maigres moyens.
Spin Doctors : How Media and Politicians Misdiagnosed the COVID-19 Pandemic
Nora Loreto, Black Point / Winnipeg, Fernwood, 2021, 368 p.
Disponible dès le 24 novembre.