Se loger autrement : des solutions durables à la crise du logement

Qui propose quoi pour mieux se loger? Et les solutions proposées sont-elles viables?

Alors que les loyers explosent et que les files d’attente pour un logement abordable s’allongent, la crise du logement continue de frapper de plein fouet des millions de Canadien·nes. Mais au-delà du constat alarmant, des solutions émergent – portées par des acteurs communautaires, des municipalités audacieuses et même certains paliers gouvernementaux. Pour ce dernier article de notre série, petit tour d’horizon des pistes concrètes qui pourraient contribuer à sortir de l’impasse.

L’idée revient de plus en plus souvent dans les débats : pour rééquilibrer le marché, il faut augmenter la proportion de logements hors du secteur privé spéculatif. Tous les expert·es à qui nous avons parlé ont nommé cette mesure à prendre comme étant importante pour faire face à la crise du logement.

« Il faut développer l’habitation hors marché privé, à but non lucratif. Ça veut dire les OBNL d’habitation, les coopératives et évidemment le logement social, qui est fondamental », affirme Julia Posca, économiste à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

« Tant qu’on reste dans la logique du marché privé, on est pris dans une logique spéculative, de hausse des profits, donc d’abordabilité du logement. »

« Il faut aussi une abordabilité qui est pérenne. Ce n’est pas tout de créer un logement abordable, encore faut-il qu’il le reste dans le temps. Et c’est ce que permet l’habitation à but non lucratif », précise Julia Posca.

D’après Jean-Yves Duclos, ancien ministre fédéral des Services publics et de l’Approvisionnement et lieutenant du Québec, les logements coopératifs et à but non lucratif ne représentent actuellement qu’environ 5 % du parc locatif au Canada.

Mais les expert·es s’accordent à dire qu’il faudrait au moins quadrupler ce chiffre pour stabiliser les prix à long terme.

Construire et racheter hors du marché privé

Transformer le marché locatif, donc, semble l’une des voix les plus prometteuses pour changer la donne.

Ce que plusieurs solutions ont en commun, c’est une vision à long terme. Le marché privé construit ce qui est rentable, tandis que les acteurs à mission construisent ce qui est nécessaire. Dans un contexte de crise, cette distinction devient cruciale.

C’est ce que tente de faire l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), une entreprise d’économie sociale dont la mission « vise à faire du logement un catalyseur de réussite pour la population étudiante. »

Pourquoi ne s’intéresser qu’à la population étudiante, quand plusieurs autres strates de la population souffrent aussi de la crise?

« La population étudiante ne bénéficie jamais du contrôle des loyers, parce qu’elle est constamment renouvelée. C’est toujours une nouvelle génération de jeunes qui débarquent et qui ont accès juste au logement au prix du marché actuel », explique Laurent Levesque, directeur général de l’UTILE.

« Ce qu’on constate, c’est que c’est une population particulièrement vulnérable à plusieurs niveaux : elle est très concentrée spatialement, elle déménage souvent, et elle connaît assez peu les droits des locataires. »

« On ne veut pas juste offrir un prix le plus abordable, mais aussi une bonne expérience résidentielle. »

Laurent Levesque, UTILE

La particularité de l’UTILE, c’est qu’elle agit à la fois comme développeur et comme propriétaire.

« En tant que propriétaire à but non lucratif, on ne veut pas juste offrir un prix le plus abordable possible en fonction des financements qu’on arrive à mettre en place, mais aussi une bonne expérience résidentielle : un logement bien entretenu, une vie communautaire, des activités dans les immeubles », explique Laurent Levesque.

« Ce qui est intéressant à plusieurs niveaux, c’est que le fait de construire un immeuble après l’autre, ça nous fait développer des actifs immobiliers, puis ça fait partie de notre modèle financier », confie aussi le directeur général. « Ces sommes peuvent donc être réinvesties dans nos projets suivants, créant ainsi une économie circulaire. ».

« Le financement reste un défi. Nos premiers projets ont été réalisés entièrement sans financement provincial. Nous avons maintenant des partenaires politiques à tous les niveaux, d’autres dans le privé. Il faut qu’on trouve le financement nécessaire pour nos projets de sources publiques ou privées selon les parties du montage financier. »

Une autre approche gagne en popularité : racheter des immeubles locatifs existants pour les convertir en logements communautaires.

Des programmes comme l’Initiative de préservation du logement abordable à Toronto ou les acquisitions menées par les membres de l’ACHAT (l’Alliance des corporations d’habitation abordable du territoire) au Québec visent précisément cela : stopper la spéculation en sortant des immeubles entiers du marché.

À Toronto, des fiducies foncières communautaires achètent bâtiments et maison pour préserver le logement abordable dans leurs quartiers. Bien que cette initiative ne crée pas de nouveaux logements, elle protège au moins les logements abordables existants.

L’ACHAT, quant à lui, est un regroupement d’entreprises collectives en immobilier (propriétaires, opérateurs et développeurs d’OBNL, coopératives et sociétés parapubliques). Il propose notamment, par une accélération importante, « de faire de l’atteinte d’une cible minimale de 20 % des parts du marché locatif à l’abri de la spéculation une priorité collective et d’y parvenir surtout en opérant une consolidation majeure du secteur de l’habitation à but non lucratif », peut-on lire sur le site Web de l’organisme.

Des modèles ailleurs

À Berlin, des citoyens ont voté, lors d’un référendum en 2021, pour l’expropriation de grandes sociétés immobilières. Comme d’autres grandes villes, Berlin connaît une forte spéculation immobilière, alors que près de 85 % des résident·es sont locataires.

L’initiative citoyenne Deutsche Wohnen & Co. Enteignen (en français : Exproprier Deutsche Wohnen et compagnie, en référence aux grandes entreprises immobilières du pays), continue aujourd’hui de se battre pour reprendre des milliers de logements du privé pour en faire des biens communs et publics.

Comme plusieurs autres expert·es, Julia Posca cite la ville de Vienne, en Autriche, à l’avant-garde du logement social. « Aujourd’hui, une bonne partie de la population vit dans ce type de logements, ce qui assure une stabilité des prix », explique-t-elle.

« Mais ça fait un siècle que l’État investit massivement dans un parc de logements publics et communautaires dans cette ville. […] Ce modèle est inspirant. Il montre qu’un engagement public fort peut garantir le droit au logement », croit-elle.

Construire à tout prix?

Une solution souvent avancée, notamment par les gouvernements, consiste à construire massivement des habitations en tous genres, souvent privées, pour que l’offre réponde à la demande.

La théorie du « filtrage » ou de l’« effet de cascade » suppose que lorsqu’on construit de nouveaux logements, même s’ils sont chers, les ménages qui les achètent ou les louent libèrent d’autres logements plus abordables, permettant ainsi à tout le monde de se loger. Cette théorie suppose aussi que ces habitations neuves perdraient en qualité et en valeur avec le temps, les rendant plus accessibles aux ménages dont les revenus sont moins élevés que ceux des occupants précédents.

« Ce n’est pas tout de créer un logement abordable, encore faut-il qu’il le reste dans le temps. »

Julia Posca, IRIS

Mais selon une récente étude de l’IRIS, cette approche soulève plusieurs enjeux, dont la création d’un important déséquilibre et des dynamiques de filtrage inversé (une appréciation des logements dans le temps).

Selon l’étude, en l’absence de mesures de contrôle des loyers, les changements de locataires s’accompagnent de hausses de loyer importantes limitant la possibilité qu’une partie du parc locatif reste accessible aux ménages à faible ou modeste revenu.

Aussi, l’attractivité de certains secteurs, comme à Montréal, fait que le coût des habitations a plutôt tendance à augmenter avec le non, parfois même sans que cela soit lié à des rénovations..

Autre fait intéressant : la dépréciation des logements locatifs n’est possible que lorsque le les locateurs laissent leur propriété se dégrader, constate l’étude. En contrepartie, les loyers bas entraînent un déficit d’entretien. Ainsi, les logements abordables sont souvent de qualité inadéquate à l’habitation.

Réglementer et planifier

« On a besoin de mesures plus musclées : encadrement des loyers, taxation des logements vacants, réforme du zonage pour favoriser la densification », plaide Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

L’organisme de défense du droit au logement a plusieurs revendications, à la fois auprès d’Ottawa et de Québec. Parmi elles, se doter d’un objectif chiffré de réalisation de 500 000 logements sociaux en dix ans et réaliser et financer au moins 10 000 nouveaux logements sociaux par année, sous forme d’OBNL, de coopératives d’habitation et de logements sociaux publics, autant en construction neuve, en recyclage de bâtiments et par l’acquisition et la socialisation de bâtiments résidentiels locatifs.

***

Les solutions à la crise du logement existent. Elles demandent de l’ambition, des investissements ciblés et, surtout, un changement de paradigme. Le Canada peut s’inspirer de modèles européens, renforcer son secteur non lucratif, protéger les locataires et construire intelligemment.

Mais cela ne se fera pas sans volonté politique. La balle est dans le camp des décideurs – et des citoyen·nes qui les élisent.

Les municipalités sont les plus déterminées à aider, mais leur pouvoir est considérablement limité. Le nouveau gouvernement fédéral semble promettre des solutions merveilleuses, mais la réalité pourrait le rattraper plus vite qu’il ne le pense. Les gouvernements provinciaux affirment vouloir agir, mais tiendront-ils leurs promesses?

 « Les promesses sont là, mais les locataires continuent de perdre leurs logements », déplore Véronique Laflamme.

En fin de compte, seul le temps nous le dira.

Cette enquête a été rendue possible grâce à une bourse d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).
 

L'information indépendante, ça se défend!

En cette fin d'année, aidez-nous à continuer à porter les voix représentées comme nous l'avons toujours fait: avec rigueur et sans compromis.

Votre contribution vous donne droit à un reçu d'impôts pour 2025!

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut