À Berlin, les citoyen.ne.s au front contre les géants de l’immobilier

Cet automne, plus d’un million de berlinois.es ont voté pour l’expropriation de grandes sociétés immobilières. Mais la partie n’est pas encore gagnée.

Tout comme à Montréal, les prix des logements grimpent à Berlin. Cet automne, plus d’un million de berlinois.es ont voté pour l’expropriation de grandes sociétés immobilières, lors d’un référendum symbolique contre la spéculation. Mais malgré la situation critique et le soutien massif de la population à l’initiative, le projet se heurte encore à des embûches. 

Le message est fort, le besoin urgent : les berlinois.e.s souhaitent un changement radical en matière de logement. Lors d’un référendum symbolique qui s’est tenu le 26 septembre dernier, 56% des berlinois.es ont voté oui à l’expropriation des plus grandes sociétés immobilières. La proposition : reprendre environ 240 000 logements des mains des  spéculateurs et en faire des biens communs gérés par une entité de droit public. 

« C’était une très grande joie, mais aussi une surprise. Nous pensions que nous allions perdre de justesse, mais nous avons gagné! », relate Ingrid Hoffman*, l’un.e des porte paroles de l’Initiative Deutsche Wohnen und co enteignen (DWE) – littéralement  « exproprier Deutsche Wohnen et compagnie » – à l’origine du référendum.  

Autrefois l’une des capitales les plus abordables d’Europe, Berlin est aujourd’hui victime d’une intense spéculation. Dans cette ville peuplée de locataires à environ 85%, le prix des nouveaux baux a doublé en dix ans. Le prix du mètre carré, lui, est passé de 6,6 à 10,5 euros entre 2012 et 2021, selon le site Statista.  

David contre Goliath 

En branle depuis 2018, l’initiative citoyenne s’en prend donc aux géants de l’immobilier, ceux qui possèdent 2000 logements et plus dans la capitale allemande et qui sont vus comme les principaux responsables de la spéculation. 

Deutsche Wohnen est l’un deux. La société détient environ 113 600 propriétés à Berlin. Parmi elles, l’appartement qu’Ingrid Hoffman occupe depuis 20 ans, à l’Est de la ville, tout près de la mythique Alexanderplatz, haut lieu de l’architecture communiste de l’Allemagne de l’Est. 

C’est en 2017, qu’Ingrid reçoit un avis d’augmentation de loyer qui lui laisse un goût amer. « 50 euros, lorsqu’il y a deux membres de la famille qui travaillent, c’est pas très grave, mais dans mon cas, ça m’a fait très peur », raconte l’interprète et traductrice à la retraite, qui a dû se trouver un nouveau petit boulot, sa pension de retraite étant devenue insuffisante. 

Grâce à une association de locataires berlinois.es, Ingrid fait baisser la hausse de moitié. Mais l’épisode la pousse à s’impliquer au sein de DWE. « Je devrais jouer avec mes six petits-enfants au lieu de faire de la politique et de continuer à bosser, mais bon… », lâche la retraitée, qui a choisi un nom d’emprunt pour pouvoir parler sans craintes. 

Le bénévole Chris Manz récolte des signatures pour Deutsche Wohnen Enteigen en avril 2020 | Emma Guerrero Dufour

Chemin de croix politique, bataille juridique 

Même si le référendum a été un succès, la partie est loin d’être gagnée. Car le sénat de la ville-état, dont le gouvernement de coalition n’est toujours pas finalisé, doit donner son aval. Or, il pourrait faire adopter une loi différente de la proposition du référendum, puisque celui-ci n’était pas contraignant légalement.

La mairesse désignée, Franziska Giffey, du parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), est d’ailleurs opposée à l’initiative d’expropriation. Ironie du sort : l’article 15 de la Loi fondamentale, qui permet la mise en commun des logements et sur lequel se base la revendication, avait été introduit par le SPD en 1949.  

« Ce qui est fort probable c’est qu’il y ait une proposition de la part du sénat de Berlin, mais que ça ne soit pas l’expropriation », estime Thomas Schnee, correspondant à Berlin pour Mediapart. N’empêche, l’enjeu du logement sera déterminant dans la formation du gouvernement de coalition, selon le journaliste. 

Et si le sénat adopte la loi proposée par DWE, il risque des contestations judiciaires. Notamment parce que la constitution de Berlin ne prévoit pas l’expropriation, contrairement à la loi fondamentale fédérale allemande. Un scénario qui s’est déjà produit l’année dernière, lorsqu’une loi de plafonnement des loyers initiée par le sénat avait été  invalidée en cour constitutionnelle. 

« Il s’agit des logements des berlinois.es, d’une situation sociale… La prochaine mairesse ne peut pas ne rien faire », croit néanmoins le journaliste posté à Berlin depuis 1993.  « Quand on se promène dans Mitte [autrefois dans Berlin-Est] […] la gentrification, c’est impressionnant», renchérit-il. 

Avenir incertain 

« On va continuer de faire pression et de nous mobiliser » assure Ingrid, qui n’écarte pas que DWE puisse mettre en branle un deuxième référendum, contraignant légalement cette fois. Avec le temps, l’initiative s’est entourée de juristes pour composer un projet de loi viable sur l’expropriation.  

Puis, viendrait la création de l’entité publique indépendante chargée d’administrer les logements mis en commun. « Il y a des entités de droit public à Berlin qui marchent assez bien comme l’hôpital universitaire, les transports en commun, le nettoyage de la ville, les télécommunications », cite la militante. 

Quel qu’en soit l’aboutissement, l’initiative DWE demeurera un symbole fort, qui influencera les politiques sur le long terme, croit Thomas Schnee. « C’est un signal envoyé à la politique allemande d’essayer de régler le problème du manque de logement et des loyers qui montent », conclut-il. 

* nom d’emprunt 

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