Le long des couloirs du World Press Photo, un monde en souffrance

Quand on contemple les lauréats du World Press Photo, persiste un sentiment de désarroi.

Même si aucun thème n’est imposé aux plus de 60 000 photos soumises au plus grand concours annuel de photojournalisme, une sorte de constante semble planer parmi celles sorties vainqueures : la contemplation d’un monde au bord du précipice. Guerre, crise climatique, injustices sont à l’ordre du jour.

L’exposition World Press Photo, qui est présentée annuellement dans 70 villes à travers le monde, se tient à Montréal, au marché Bonsecours, jusqu’au 15 octobre. Pour cette 16e édition, l’exposition nous amène aux quatre coins d’une planète en péril pour nous faire revivre les méandres de l’actualité de l’année 2022.

Sur les milliers de photographes participant·es au World Press Photo 2023, seulement 30 ont été retenu·es lauréat·es de ce concours qui, depuis 1955, se donne pour mission de « représenter les événements majeurs de l’actualité [et les] moments importants négligés par la presse ».

Les thématiques qu’on retient dans les photos récompensées sont loin d’être légères : le réchauffement climatique, la guerre, les injustices et la pauvreté sont à l’avant-plan.

On replonge ainsi de façon bouleversante en plein cœur de l’invasion de Marioupol, prise d’assaut par les forces russes en février 2022. On se remémore sous un angle inédit les manifestations massives d’Iran, après la mort de Masha « Jîna » Amini. On découvre l’état de la situation en Afghanistan, depuis que les forces américaines et alliées se sont retirées du territoire, laissant derrière elles un pays dépouillé, tombé aux mains des talibans.

Une Iranienne est assise sur une chaise face à une place animée de Téhéran, en Iran, défiant la loi sur le port obligatoire du hijab, le 27 décembre 2022. © Ahmad Halabisaz

Yann Fortier, directeur général de l’exposition, souligne la « complexité », en tant que producteur d’un tel événement, de trouver « l’équilibre » entre la nécessité d’exposer des réalités difficiles et le caractère parfois douloureux des images frontales qui les documentent.

Il nous rappelle ainsi que le but premier de l’événement est « d’ouvrir une fenêtre sur un certain monde ». Ayant conscience que les spectateur·trices ont « tendance à retenir les photos les plus choquantes », le défi pour les juré·es est de trouver les images témoignant de réalités difficiles sans tomber dans le sensationnalisme.

C’est d’ailleurs ce qui, à son sens, fait la particularité de l’exposition. « C’est à la fois une expo où une image vaut mille mots et, à l’inverse, des fois, c’est tout sauf ça, c’est-à-dire que des fois, on va être agréablement surpris ou choqué [de la différence] entre ce qu’on peut voir et le texte qui va expliquer ce qu’on voit. »

Un regard porté sur des événements invisibles

L’exposition lève également le voile sur des sujets profondément désemparants, n’ayant pas beaucoup fait la une des actualités.

Parmi ceux-ci, la série photo de Cristopher Rogel Blanquet, lauréat dans la catégorie Projet à long terme, documente l’histoire d’une famille de producteurs de fleurs au Mexique (voir la photo de couverture).

La série photo montre comment l’Union européenne, la Chine, les États-Unis et d’autres pays, qui ont rendu illégale l’utilisation de certains produits agrochimiques sur leur territoire en raison de risques sanitaires et environnementaux, continuent de vendre ces substances à des pays où la main-d’œuvre est moins chère. Une fois les produits cultivés à l’étranger, ceux-ci sont importés.

Les enjeux climatiques à « l’avant-scène »

On retiendra également la récurrence des enjeux climatiques qui se matérialisent partout dans le monde, mais de façons extrêmement disproportionnées d’un pays à l’autre. S’il n’y a rien de nouveau à souligner que les pays du Sud, pourtant moins pollueurs, sont les premiers à payer le prix du dérèglement climatique, les photos lauréates ont le mérite de restituer directement, brutalement même, les conséquences de cette injustice.

C’est ainsi que l’artiste arménienne Anush Babajanyan, elle aussi lauréate dans la catégorie Projet à long terme, nous amène dans quatre pays enclavés d’Asie centrale (le Tadjikistan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan) aux prises avec le dérèglement climatique et les intenses sécheresses qui impactent directement leur approvisionnement en eau et en énergie.

Des femmes s’arrêtent à une source chaude qui est sortie du lit asséché de la mer d’Aral, près du village d’Akespe, au Kazakhstan, le 27 août 2019. Autrefois quatrième plus grand lac du monde, la mer d’Aral a perdu 90 % de son volume depuis que l’eau des fleuves a été détournée. © Anush Babajanyan, VII Photo/National Geographic Society.

Selon Yann Fortier, qui préside l’exposition à Montréal depuis maintenant onze ans, il y a eu des évolutions dans les contenus exposés au fil des ans. « Tout ce qui concerne les enjeux climatiques est vraiment à l’avant-scène [de l’exposition cette année]. Il y a quinze ans, on ne parlait pas de crise climatique, mais de sujets environnementaux. ».

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