Ça y est. La valse-hésitation est terminée, les gants sont tombés : la droite mainstream s’est rangée dans le camp des ennemi·es. Laissez tomber la guerre culturelle : la lutte a quitté le discours, on se bat maintenant contre des personnes en chair et en os.
Pour ceuzes qui ne l’ont pas vu passer, le congrès du Parti conservateur du Canada a entériné deux résolutions anti-trans. D’abord, limiter l’accès aux soins pour les mineur·es, puis confiner le plus possible les femmes trans aux espaces masculins.
Si la première semble assez facile à mettre en place par une criminalisation des actes médicaux, la seconde n’est à peu près pas applicable, sauf peut-être dans les pénitenciers fédéraux.
Doit-on craindre que ces menaces se concrétisent à court ou moyen terme? Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, avait déjà signalé que toutes les résolutions ne se retrouveraient pas nécessairement dans la prochaine plateforme électorale du parti, en nous rappelant que c’était sa prérogative de trancher. Il ne semble pas pressé de le faire, puisque depuis la fin du congrès, il se fait plutôt avare de commentaires.
On s’entend qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ce coup-là, on le voit venir depuis quelques années et les élections se rapprochent de plus en plus.
Le parti veut faire des gains dans la couronne de Toronto et peut-être au Québec : les thèmes du gros bon sens et de la résistance anti-woke sont particulièrement séduisants pour les élécteurices convoité·es, au moins dans la Belle Province, où les faiseurs d’opinion en font leur chou gras depuis 2020. Le fruit est mûr au Québec pour récolter le fonds conservateur de la majorité francophone, en particulier à la lumière du résultat écrasant de la CAQ aux dernières élections provinciales.
Le fruit est mûr au Québec pour récolter le fonds conservateur de la majorité francophone.
Mais les réacs ne manquent pas dans notre « pas-un-pays » et le Bloc offre aussi une option tout à fait viable dans ce registre, alors ce n’est pas donné d’avance, même avec un bel épouvantail bleu, blanc, rose.
En fin de compte, on sait bien que Poilievre n’a pas vraiment besoin du Québec pour prendre le contrôle de la plus grande compagnie pétrolière au monde, mais ce serait un petit plus pour son gouvernement. Surtout s’il pouvait s’épargner des ministres comme Maxime Bernier du temps de Harper en ayant un peu plus de choix dans le caucus.
Il n’y a pas de hasard en politique
Toute la semaine, on a vu les médias de masse mousser l’avance des conservateurs dans les sondages avec un rare enthousiasme. Coup sur coup, les commentateurices de la politique-spectacle se faisaient le relai des lignes de communication du parti, en rappelant que le gouvernement Trudeau était usé et que les Canadien·nes voulaient du changement.
Un congrès en or pour le chef, qui gardait supposément le cap sur l’économie et évitait les sujets polarisants, nous rassurait-on. Une analyse hallucinante quand on sait que les intervenant·es invité·es à Québec en fin de semaine étaient connu·es pour leurs prises de position « anti-woke ». En toute honnêteté, quelques spin doctors ont mentionné au passage « les transgenres » comme accroc mineur à cette orientation générale rassembleuse au PCC.
Cet aveuglement volontaire de nos analystes pourrait sembler de bonne foi, si on n’avait pas déjà remarqué les attaques successives contre la communauté trans et LGBQ+ par les gouvernements provinciaux dans les dernières années. Il y a évidemment eu le projet de loi 2 au Québec, où on a évité la catastrophe par une action politique concertée et efficace.
Mais la précarisation des conditions de genre s’accélère par l’action décisive des gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et, depuis peu, de la Saskatchewan, qui empêchent littéralement les écoles et toustes ceuzes qui y travaillent d’utiliser le nom choisi par les élèves. À moins d’avoir rempli les obligations bureaucratiques préalables : l’autorisation parentale.
Et les intérêts de l’enfant?
Le ministre de l’Éducation de la Saskatchewan, Dustin Duncan, est passé à la radio de CBC il y a trois semaines et a rendu les choses très claires, tant par ses silences que par ses mots. Quand on lui demande « comment cela rendra-t-il les enfants trans plus en sécurité? », il répond essentiellement que ce n’est pas une considération importante devant le « droit des parents » à déterminer l’identité sociale de leur enfant.
Le droit des parents est d’ailleurs une de ces nouveautés que les conservateurs inventent de toutes pièces pour pousser leur agenda. L’autorité parentale existe certes, mais les droits, ce sont les enfants qui les ont. Où sont passés la convention des Nations-Unies pour les droits de l’enfant et le rapport Laurent soudainement?
Excuser une infraction évidente de l’État aux droits des enfants à l’égalité et à la sécurité en invoquant l’autorité parentale : on ne fait pas plus littéralement patriarcal.
Le « droit des parents » est une de ces nouveautés que les conservateurs inventent de toutes pièces pour pousser leur agenda.
Dans son entrevue à CBC, le ministre Duncan avance que la situation actuelle n’est pas davantage sécuritaire et que si les jeunes trans ont des raisons légitimes de craindre pour leur sécurité, illes devraient être protégé·es plutôt que de cacher l’information à leurs parents.
Et honnêtement, sur le fond, je suis assez d’accord.
Comme communauté, nous avons besoin de faire plus pour accueillir et à soutenir toutes les personnes qui perdent le soutien et vivent de la violence de leurs proches. Et ça inclut les mineur·es. Nous avons très peu de ressources dédiées en logement, par exemple, alors qu’on sait que 30 % des jeunes en situation d’itinérance font partie de la communauté 2SLGBTQIA+.
Mais ce n’est pas de ça dont parle le ministre Duncan.
En fait, il veut plutôt dire que si les enfants vivent de la violence physique à la maison, les services sociaux et la police devraient s’en mêler pour criminaliser à qui de droit. Donc si tu ne peux pas être out à la maison, tu ne peux pas être out à l’école, à moins que tes parents posent une menace immédiate pour ta sécurité, auquel cas tu devras les dénoncer aux autorités pour utiliser ton nom à l’école.
Le système fonctionne.
Les femmes sont aussi en danger
Le sujet des mineur·es fait couler beaucoup d’encre, mais je me dois quand même d’attirer l’attention sur cette deuxième résolution qui vise à interdire l’accès aux espaces féminins – toilettes, vestiaires, prisons et sports – aux femmes trans.
Les femmes cis qui pensent sincèrement qu’elles seront plus en sécurité sous un tel régime oublient quelque chose : c’est qu’il ne suffit pas d’adopter des règles, encore faut-il les appliquer. Et ça risque d’être assez terrifiant d’aller aux toilettes à l’aéroport quand les contrôleur·euses de l’Agence des services frontaliers vont faire leur inspection au milieu d’un numéro deux.
Et c’était le congrès du gros bon sens, nous dit-on.
Pas de panique, on serre les rangs
Le PCC a toutes les chances de remporter les prochaines élections et, selon moi, leur avance actuelle dans les sondages et moins pertinente dans l’analyse que le bon vieux principe canadien de l’alternance du pouvoir. L’heure est venue. Et rappelons-nous qu’illes ont terminé en première position du vote populaire aux dernières fédérales.
Pourtant, comme c’est notre autonomie corporelle et notre sécurité qui sont en jeu, nous ne pouvons pas nous permettre un échec, peu importe le parti au pouvoir. Ça va nous prendre une stratégie d’un océan aux autres.
Quel hasard, quand même, que le plus grand rassemblement d’organismes 2SLGBTQIA+ au pays se tienne à Ottawa la fin de semaine suivant le congrès conservateur. Un acte de la providence sans doute… ou bien il y a des gens au Réseau Enchanté qui lisent les nouvelles, qui sait?
Que vous adhériez ou non à la stratégie qui sera déployée dans les prochains mois, je vous invite tout de même à rester à l’affût pour orienter vos propres initiatives. Nous aurons besoin d’une diversité de tactiques et nous ne pouvons pas nous permettre de nous nuire mutuellement ou de dédoubler les efforts, étant donné nos ressources limitées.
Ça va nous prendre une stratégie d’un océan aux autres.
Ne cédons pas à la panique. Tout ça n’est qu’un moment de plus dans la guerre que la droite mène déjà contre nous. En réalité, une déclaration aussi publique ne fait que renforcer notre propre position puisque nous ne nous battons plus contre des moulins : nos ennemi·es agissent à visage découvert, illes ont des noms et des adresses.
Et aux soi-disant allié·es : s’il vous plaît, arrêtez vos analyses à deux balles à propos de l’exceptionnalisme québécois ou canadien et prenez-nous au sérieux. Faites pression sur vos élu·es, vos patrons, vos conseils d’administration, vos associations, vos facultés, vos syndicats, vos partis, etc.
Il est encore temps d’endiguer cette vague de haine.