Affronter le boss : se syndiquer dans l’industrie des jeux vidéo

Entrevue avec Game Workers Unite Montréal, branche locale d’une organisation qui aide les travailleur·euses des jeux vidéo à s’unir en syndicats.

L’industrie des jeux vidéo est importante dans la métropole québécoise, mais les conditions de travail n’y sont pas toujours roses et la syndicalisation y est rare. Game Workers Unite Montréal (GWUM) vise à remédier à cette situation.

La revue À bâbord! s’est entretenue avec un·e représentant·e de l’organisation*.

À bâbord! : Quels sont les objectifs de votre mouvement?

GWUM : Notre groupe fait partie de Game Workers Unite, un mouvement composé de travailleur·euses de l’industrie du jeu vidéo apparu en 2018 et qui s’est rapidement répandu à l’international. Son objectif est la syndicalisation de l’industrie du jeu vidéo.

C’est une industrie importante qui existe maintenant depuis des décennies et dont les conditions de travail causent de nombreux problèmes.

Dans les dernières années, plusieurs aspects de la culture de l’industrie du jeu vidéo ont été remis en question. Par exemple la normalisation du « crunch », terme de l’industrie pour les longues périodes où les heures supplémentaires non payées sont attendues de la main-d’œuvre. Le crunch est illégal au Québec, mais est néanmoins une pratique courante dans l’industrie.

Les patrons répètent souvent que la « passion » pour le médium du jeu vidéo justifie les conditions de travail invivables ou encore que le studio représente une « famille » pour celleux qui y travaillent.

Ce sont les dirigeants et les propriétaires de l’industrie qui sont hostiles aux syndicats, comme dans toutes les industries à profit.

Ce discours est maintenant reçu de manière critique par les travailleur·euses de l’industrie. Malgré cette situation, et jusqu’à tout récemment, il n’y a pas eu de formation de syndicats dans l’industrie.

ÀB! : Comment fonctionne une organisation comme la vôtre?

Le mouvement mondial Game Workers Unite est formé d’un grand nombre d’organisations locales et de syndicats à travers le monde qui se sont formés dans le contexte du mouvement GWU. Ces organisations collaborent et communiquent les unes avec les autres, mais fonctionnent chacune de manière autonome.

Les membres de GWU Montréal sont employé·es dans différents lieux de travail. L’organisation vise à soutenir toute campagne de syndicalisation dans l’industrie locale, peu importe le lieu de travail ou la fédération syndicale existante avec laquelle les travailleur·euses concerné·es peuvent avoir décidé de collaborer. GWU Montréal répond au besoin d’avoir une organisation capable de soutenir les efforts de syndicalisation dans tous les lieux de travail de l’industrie, et ce, dès les premières étapes du processus jusqu’à la reconnaissance officielle.

ÀB! : Quels sont les premiers pas franchis par GWU depuis sa création?

GWUM : Aux États-Unis, depuis 2020, la fédération syndicale Communication Workers of America(CWA) offre un grand soutien aux campagnes de syndicalisation de l’industrie du jeu vidéo avec leur projet « CODE » (Campaign to Organize Digital Employees). La majorité des nouveaux syndicats dans l’industrie états-unienne ont rejoint cette fédération. En Ontario, GWU Toronto collabore étroitement avec la branche canadienne de CWA.

L’industrie du jeu vidéo présente des conditions de travail, comme le télétravail ou le travail à la pige, qui peuvent présenter un défi pour la syndicalisation.

Depuis 2018, plusieurs syndicats ont obtenu la reconnaissance officielle dans l’industrie canadienne du jeu vidéo. C’est le cas du syndicat KWS Edmonton United, qui a rejoint les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC). Les travailleur·euses du studio Anemone Hug ont rejoint l’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE). Les travailleur·euses du studio Vodeo Games, réparti·es entre le Canada et les États-Unis, se sont syndiqué·es en 2021. Leur syndicat, Vodeo Workers United, est le premier syndicat reconnu en jeu vidéo en Amérique du Nord et compte dans ses rangs plusieurs membres de GWU Montréal.

ÀB! : Et chez nous?

Par contraste, la syndicalisation de l’industrie québécoise n’est pas aussi avancée. À travers GWU Montréal, les membres de différentes campagnes syndicales dans l’industrie peuvent partager leur expérience et leurs apprentissages, se tenir au courant des nouveaux développements et s’entraider dans leurs efforts.

Nous organisons également des ateliers publics tels que notre atelier « Quels sont mes droits? » sur le droit du travail au Québec, des formations à l’organisation syndicale, et nous diffusons du matériel d’éducation sur ces sujets.

Nos membres s’impliquent aussi dans les luttes des industries sœurs de l’industrie du jeu vidéo, comme le cinéma d’animation et la tech, et participent aux manifestations en solidarité avec les communautés noires et autochtones de Montréal.

ÀB! : GWU est un mouvement parasyndical qui encourage et soutient les efforts de syndicalisation sans être lui-même un syndicat ou une fédération syndicale. Quels liens GWUM a-t-il avec les organisations syndicales ou militantes en place au Québec?

GWUM : Au Québec, GWU Montréal maintient le contact avec le plus d’organisations syndicales possible, incluant les centrales syndicales québécoises (FTQ, CSN, CSQ, etc.), les branches canadiennes de la CWA et de l’IATSE, et le Syndicat industriel des travailleurs et des travailleuses (IWW), avec qui nous avons collaboré sur plusieurs projets.

Comme il n’y a pas vraiment de précédent ou de mémoire institutionnelle pour la syndicalisation dans notre industrie, nous avons dû tout apprendre à partir de zéro. L’expérience et le soutien des organisations syndicales présentes dans d’autres industries ont été d’une aide immense et très appréciée.

C’est une opportunité d’adapter les stratégies syndicales classiques à de nouvelles réalités qui pourraient bientôt survenir dans un grand nombre d’autres industries.

Nous avons également grandement profité du support matériel d’organisations étudiantes comme le groupe de recherche d’intérêt public GRIP-Concordia et l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM.

ÀB! : Est-ce que l’industrie québécoise du jeu vidéo est hostile à la syndicalisation?

GWUM : Pour leur part, les travailleur·euses de l’industrie québécoise sont en grande majorité sympathiques à la syndicalisation! Un obstacle qui subsiste est le manque d’éducation au sujet des syndicats et de leur fonctionnement, surtout en ce qui concerne la création d’un syndicat.

Un autre obstacle est l’hésitation, la peur et l’insécurité par rapport aux risques de riposte patronale.

Ce sont les dirigeants et les propriétaires de l’industrie qui sont hostiles aux syndicats, comme dans toutes les industries à profit. Sans syndicats pour donner une voix aux travailleur·euses, les chefs d’entreprise ont l’habitude de parler seuls au nom de l’industrie.

ÀB! : Quelles sont les difficultés auxquelles font face les groupes souhaitant créer un syndicat?

GWUM : C’est l’opposition des chefs d’entreprise et le pouvoir unilatéral détenu par le patronat qui représentent les obstacles principaux. Par exemple, les studios de jeux américains Activision-Blizzard-King ont récemment fait les manchettes à cause des pratiques antisyndicales de leurs dirigeants, notamment le recours aux services d’une firme spécialisée en action antisyndicale. Cette même firme est aussi sous contrat avec plusieurs studios présents à Montréal, comme Ubisoft et Eidos.

Les patrons répètent que la « passion » pour le jeu vidéo justifie les conditions de travail invivables ou que le studio représente une « famille » pour celleux qui y travaillent.

La propagande antisyndicale et les tactiques visant à biser les mouvements de syndicalisation sont faciles à reconnaître, car elles sont les mêmes que dans toutes les autres industries. Elles peuvent freiner l’enthousiasme soutenant un effort de syndicalisation quand on n’est pas prêt à y faire face, mais elles ont peu d’effet ou même l’effet contraire si on les voit venir à l’avance!

Par ailleurs, on retrouve dans l’industrie du jeu vidéo une variété de conditions de travail, comme le télétravail ou les contrats de travail pigiste, qui peuvent présenter un défi pour les travailleur·euses voulant se syndiquer. Mais c’est également une opportunité d’adapter les stratégies syndicales classiques à de nouvelles réalités qui pourraient bientôt survenir dans un grand nombre d’autres industries.

Par exemple, le syndicat états-unien des travailleur·euses du studio Voltage a obtenu une augmentation de paie suite à une grève, et ce, malgré le statut de pigistes des travailleur·euses et l’absence de cadre juridique pour leur syndicalisation. Pour leur part, les travailleur·euses de Vodeo Workers United ont obtenu la reconnaissance officielle de leur syndicat, bien qu’iels soient réparti·es des deux côtés de la frontière canado-américaine, que le studio fonctionne exclusivement en télétravail, et que leur syndicat représente pigistes et employé·es dans la même unité de négociation!

Tout le mouvement syndical peut apprendre de cet exemple historique.

* La personne ayant répondu à nos questions au nom de Game Workers Unite Montréal a souhaité garder l’anonymat, afin d’éviter de possibles représailles de la part d’employeurs actuels ou futurs.

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