Le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) et les différents corps policiers du pays incitent des citoyen·nes vulnérables à commettre des crimes pour pouvoir ensuite les arrêter. Cette tactique, où des policiers sont eux-mêmes autorisés à commettre des actions illégales, est exposée dans le documentaire Produire la menace de la réalisatrice Amy Miller.
Le 1er juillet 2013, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le SCRS annoncent en grande pompe qu’ils ont arrêté deux terroristes qui tentaient de faire exploser un édifice gouvernemental de Victoria, en Colombie-Britannique.
Toutefois, comme le révèlera leur procès, John (Omar) Nuttall et Amanda (Ana) Korody, les deux « terroristes » en question, étaient loin d’être une menace à la sécurité publique du pays… avant que la police n’intervienne pour les radicaliser et les pousser à passer à l’acte.
« C’était un couple marginalisé, avec des problèmes de santé mentale qui vivait dans la pauvreté. C’était une cible facile », explique Amy Miller, qui a placé l’histoire du jeune couple au cœur de son documentaire, qui prend l’affiche ces jours-ci.
Des arrestations pour justifier les dépenses
Si les deux victimes de cette machination policière sont libérées trois ans plus tard après que la Cour suprême de Colombie-Britannique ait jugé que les actions des policiers dans cette affaire formaient une « offense au principe même de la justice », il ne faut pas croire que c’est un cas isolé, rappelle Amy Miller.
« Depuis le début de l’histoire de la GRC et du SCRS, ils ciblent des personnes de cette façon. Pourquoi le font-ils? Parce que la menace terroriste permet de justifier l’augmentation des budgets des agences de sécurité et de la police », explique-t-elle.
« Le monde a suffisamment de terroristes. Nous n’avons pas besoin que la police en crée. »
La juge Bruce, dans sa décision rendant la liberté à Nuttal et Korody
Une tendance à surveiller, selon la réalisatrice, alors que les nouvelles technologies donnent de plus en plus de moyens aux agences de sécurité, mais en faisant aussi gonfler exponentiellement leurs coûts de fonctionnement.
« C’est une industrie de plusieurs milliards de dollars qui connait une croissance exponentielle et qui s’appuie fortement sur les agents provocateurs pour se justifier », souligne-t-elle.
Une rare fenêtre dans un milieu opaque
Alexandre Popovic, spécialiste du sujet dont le livre a servi d’inspiration pour le documentaire, précise toutefois que lorsqu’il est question des services secrets, et non plus de la police ordinaire, il devient difficile de savoir à quel point sont utilisées des tactiques de provocation comme celles démontrées dans le documentaire.
« Quand c’est la police qui commet des actions criminelles dans le cadre d’infiltrations, on peut au moins savoir les grandes lignes de ce qui se passe. En ce qui concerne les activités illégales du SCRS, on est dans un flou total, le public n’a accès à rien du tout comme information », explique-t-il.
D’ailleurs, ce n’est que grâce aux avocats de Nuttall et Korody, qui auront su placer la conduite des policiers au centre d’un processus judiciaire, que l’information nécessaire pour réaliser le documentaire a pu être révélée, rappelle Amy Miller. « Ç’a été un travail ardu et on a reçu une foule de documents caviardés, mais en fin de compte, je suis très satisfaite de ce qu’on a réussi à rassembler », constate-t-elle.
« La menace terroriste permet de justifier l’augmentation des budgets des agences de sécurité et de la police »
Amy Miller, réalisatrice du film Produire la menace
La réalisatrice espère donc que son film contribuera à ce que les Canadien·nes comprennent mieux ce que les forces de police font en leur nom, surtout que les tactiques de provocation risquent d’être utilisées de plus en plus pour discréditer les environnementalistes et les peuples autochtones qui luttent contre l’inaction climatique.
Car en fin de compte, comme le disait la juge Bruce dans le jugement qui a libéré les deux protagonistes du documentaire : « Le monde a suffisamment de terroristes. Nous n’avons pas besoin que la police en crée en s’en prenant à des personnes marginalisées qui n’ont ni la capacité ni la motivation suffisante pour le devenir d’eux-mêmes ».
Le documentaire Produire la menace prend l’affiche au Québec le 25 août.