Cinquante ans de hip-hop, la poésie urbaine de la justice

CHRONIQUE | Le hip-hop nous enseigne l’importance de la communauté et de la solidarité dans cette lutte pour la justice sociale.

En 2009, alors que j’étais à Harlem, je suis entrée dans un café librairie pour y bouquiner. Un livre a attiré mon attention : Let’s Get Free: A Hip-HopTheory of Justice, de Paul Butler, professeur de droit à l’Université George Washington.

Alors qu’il était procureur, Butler s’était fixé comme noble objectif de changer le système de l’intérieur. Au lieu de cela, il s’est retrouvé absorbé par la culture organisationnelle : pour faire ses preuves, il est devenu un procureur pur et dur, aveugle aux conséquences du racisme, malgré les répercussions dramatiques sur la vie des Noir·es.

Après avoir œuvré dix ans comme procureur issu de la diversité (Paul Butler est Noir), il a été faussement accusé de voie de fait par un voisin à la suite d’une dispute au sujet d’une place de stationnement.

C’est ainsi qu’il est passé de l’autre côté du miroir. Dès sa comparution, il a constaté qu’il était un Noir comme les autres. Il a été invisibilisé et a perdu toute individualité. Il n’était plus un procureur, plus un homme, mais un homme noir : un citoyen de seconde zone, avec tout ce que cela implique.

Le hip-hop « fait des reportages sur le terrain sur le fonctionnement réel du système de justice pénale, et il est créé par les personnes qui connaissent le mieux le système ».

Paul Butler

Lors de son procès, les représentant·es de l’ordre ont menti, les témoins qui savaient ce qui s’était réellement passé se sont tus, le laissant se débattre devant la Cour.

Il a vécu l’expérience des hommes noirs qu’il avait l’habitude de poursuivre. Il a observé et vécu les nombreuses iniquités, dont la sur-surveillance ainsi que le contrôle excessif, auxquelles sont soumis·es les Noir·es. Ces constats l’ont amené à conclure que le système de justice est conçu pour contrôler les Noir·es.

Au final, sa voix a été entendue, il a été acquitté grâce à ses compétences juridiques et aux services d’un ténor du barreau.

À la suite de cette expérience cathartique, il a démissionné de son poste comme procureur. C’est cet épisode de sa vie qui lui a inspiré son livre sur le hip-hop.

Témoigner

Il considère que le système de justice se fonde sur deux prémisses, soit la construction juridique des personnes noires comme suspectes ou comme des criminelles potentielles, ainsi que la capacité de ce système de se déployer pour sanctionner, voire incarcérer ces mêmes personnes. C’est aussi ce que dénonçait, chez nous, dès 1995, le Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario à l’égard du traitement des personnes racisées.

Et le hip-hop aurait beaucoup à nous enseigner à ce sujet. Pour le professeur Butler, le hip-hop « fait des reportages sur le terrain sur le fonctionnement réel du système de justice pénale, et il est créé par les personnes qui connaissent le mieux le système ». Le hip-hop met en lumière les comportements des policier·ères, des procureur·es et des avocat·es de la défense, ainsi que ceux des juges, tout cela par l’entremise de morceaux de musique sur lesquels on peut danser.

Le hip-hop nous enseigne l’importance de la communauté et de la solidarité dans cette lutte pour la justice sociale.

Les artistes du hip-hop proviennent de communautés visées de façon disproportionnée par des accusations d’actes criminels. Ces communautés sont aussi susceptibles d’être victimes de la criminalité. Certains membres de ces communautés vivent dans la peur. Cette peur, le hip-hop nous en parle. Il nous informe aussi sur les moyens à prendre afin d’être en sécurité et, conséquemment, plus libres.

Dès 1994, la théoricienne du hip-hop Tricia Rose, dans son livre Black Noise, analyse les paroles, la musique, la culture, les thèmes explorés par ce genre musical. Elle met en exergue la politique raciale de cette musique : ses critiques acerbes de la police et du gouvernement, ainsi que les réponses de ces institutions aux injustices raciales. Elle n’oublie pas la politique sexuelle complexe de ce courant musical, notamment la misogynie.

Transformer

Les récits du hip-hop parlent de la pauvreté. Ces artistes ont utilisé leur art afin de jeter la lumière sur les problèmes sociaux auxquels étaient confrontés les Noir·es et les personnes latinas, et pour inspirer la jeunesse afin qu’elle puisse faire valoir ses droits. Le pouvoir du récit qu’est le hip-hop rend leur humanité à des populations ostracisées en exposant les luttes nécessaires pour faire des avancées vers l’égalité réelle et vivre dans la dignité.

Pour les criminologues Howard Henderson et Kevin Steinmetz, le hip-hop est porteur de messages lyriques forts qui peuvent aider, tant les forces de l’ordre que les gouvernements, à comprendre le contexte social. Pour ces chercheurs, ces récits sont « une façon de comprendre comment développer des programmes de prévention. Si nous élaborons des politiques et que nous ne connaissons pas le point de vue des personnes qui en bénéficieront, nous ne pouvons pas garantir qu’ils y adhéreront […] C’est ainsi que nous résolvons les problèmes de société. »

Le hip-hop rend leur humanité à des populations ostracisées en exposant les luttes nécessaires pour faire des avancées vers l’égalité réelle et vivre dans la dignité.

Le hip-hop nous enseigne l’importance de la communauté et de la solidarité dans cette lutte pour la justice sociale.

De nombreux hymnes du hip-hopfont l’éloge de la protestation et de la résistance afin d’atteindre la justice sociale. En ce dixième anniversaire de Black Lives Matter, il faut se souvenir que Fight the Power, du groupe Public Enemy, grâce à son message de résistance et d’empowerment auprès des Noir·es du monde entier, est devenu l’hymne du mouvement.

Et en ce cinquantième anniversaire du hip-hop, il nous faut saisir toute sa portée émancipatrice.

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