En réponse à la nouvelle loi fédérale sur les nouvelles en ligne, Meta a annoncé mardi que ses plateformes, dont Facebook et Instagram, bloqueront dorénavant tout contenu journalistique canadien pour tou·tes les utilisateur·trices. Cette censure aura des impacts graves pour les internautes, notamment les jeunes, qui ont l’habitude de s’informer sur les réseaux sociaux.
En juillet dernier, le parlement canadien a adopté la loi C-18 sur les nouvelles en ligne, qui vise à forcer les géants du Web à payer les médias canadiens pour l’utilisation de leur contenu d’actualité.
Meta a entrepris mardi de bloquer complètement le contenu de médias canadiens sur ses plateformes, notamment sur Facebook et Instagram, afin de se « conformer » à la loi canadienne. Rappelons que C-18 doit entrer en vigueur en décembre prochain.
Selon des informations obtenues par Pivot auprès de Meta, le géant du Web testait en juillet divers moyens de restreindre l’accès du public aux comptes de certains médias ainsi qu’à leur contenu, y compris lorsqu’il est partagé par d’autres utilisateur·trices.
« Meta a fait le choix de n’être qu’une plateforme de divertissement insignifiant… et de désinformation », résume Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.
« L’information, ça enrichit l’expérience qu’on peut avoir sur Facebook et Instagram », déplore-t-il. « Ça fait partie des raisons pour lesquelles on y retourne. »
Selon lui, les grands perdants de cette censure sont les citoyen·nes, particulièrement les jeunes, qui tendent à s’informer surtout sur les réseaux sociaux.
Le plus récent Digital News Report révélait que 39 % des jeunes âgé·es entre 18 à 24 ans utilisent les médias sociaux comme principale source d’information. Au Québec, une autre enquête de l’Université Laval a démontré que ce taux atteignait 69 % pour la même tranche d’âge en 2021.
Risque de désinformation
Si le contenu journalistique n’y est plus affiché, que verront les jeunes lorsqu’ils et elles accéderont à Facebook ou Instagram?
En 2021, Jean-Hugues Roy avait tenté de répondre à la question dans une recherche intitulée Chatons et Jésus : que resterait-il sur un Facebook sans nouvelles? Cela n’augurait rien de bon.
Ce qu’il reste de Facebook, après sa cure journalistique, ce sont essentiellement des pages de fans dédiées à des influenceur·euses ou des célébrités, des pièges à clics ou encore des pages de mèmes légers. Ce qui ressort du lot, selon le chercheur, ce sont les contenus religieux, surtout évangéliques, les recettes, les souhaits de bonne journée et les animaux mignons.
« Meta a fait le choix de n’être qu’une plateforme de divertissement insignifiant… et de désinformation. »
Jean-Hugues Roy
Autre fait saillant : l’expérience avait démontré généralement peu de contenu de désinformation, relativement à celui qu’on peut retrouver chez nos voisins du Sud. « Aux États-Unis, la désinformation pogne, parce qu’il y a des élus qui donnent du crédit à ces thèses complètement farfelues », explique-t-il. « Au Canada on était protégé de ça, parce qu’il n’y avait pas de politiciens qui faisaient la même chose – jusqu’à ce que Pierre Poilievre apparaisse. »
M. Roy rappelle que le chef du Parti conservateur a dans le passé partagé du contenu conspirationniste sur ses réseaux sociaux. Il craint que d’autres élu·es soient tenté·es de lui emboîter le pas. « J’ai peur que la désinformation sur [les plateformes de] Meta prenne plus de place et que ça ait un impact sur le discours politique au Canada – et pas pour le mieux. »
Littératie numérique
Si la désinformation progresse plus rapidement en ligne, ce sont les jeunes qui pourraient être plus affecté·es. L’étude de l’Université Laval citée plus tôt estime que ce sont les jeunes Québécois·es âgé·es de 18 et 34 ans qui étaient les plus susceptibles d’adhérer à des croyances complotistes pendant la pandémie.
Suite à son annonce mardi, Meta a partagé un guide pratique pour ses utilisateur·trices afin de les aider à mieux identifier du contenu médiatique fiable en ligne, notamment en consultant les sites Web des médias d’information, en téléchargeant des applications mobiles et en s’abonnant aux infolettres.
« J’ai peur que la désinformation sur [les plateformes de] Meta prenne plus de place et que ça ait un impact sur le discours politique au Canada – et pas pour le mieux. »
Jean-Hugues Roy
Mais ce n’est en aucun cas suffisant pour assurer un changement d’habitudes déjà bien implantées auprès des jeunes, pense Jean-Hugues Roy. « Ce que ça dit, c’est ce que les médias disent déjà », sans grand effet.
« Il va falloir changer notre façon de consulter les médias », pense la chercheuse et doctorante en communication à l’UQAM Laurence Grondin-Robillard. « Il va falloir habituer les plus jeunes, et nous-mêmes, à aller consulter les sites des médias qu’on veut consommer. »
Réplique nécessaire
Parallèlement, Jean-Hugues Roy pense que le gouvernement canadien devrait en faire davantage afin de s’assurer que les géants de la technologie rendent des comptes.
Censure ou non, l’enjeu principal, ce sont les algorithmes qui demeurent la propriété privée des compagnies et de facto, des boîtes noires dont le public ne connaît pas le fonctionnement.
Aux yeux du chercheur, il est grand temps que Meta et les autres plateformes permettent à des chercheur·euses d’accéder à leurs infrastructures. « Ça fait des années que je demande ça, que des chercheurs partout dans le monde demandent ça », souligne-t-il. « Les gouvernements restent sourds. Il me semble que le Canada pourrait devenir un pionnier en l’obligeant. »