La Banque du Canada vient de hausser son taux directeur pour la dixième fois en 16 mois, dans le but de ramener l’inflation à 2 %. Pour y arriver, elle espère que ses hausses de taux viendront diminuer la capacité des travailleur·euses d’ajuster leur salaire, au moment même où de plus en plus de familles canadiennes peinent à vivre avec les hauts taux d’intérêt actuels.
La Banque du Canada vient de hausser son taux directeur à 5 %, une situation qui n’a pas été vue depuis 2001. Cette hausse ne sera pas sans conséquences pour de nombreuses familles qui peinent déjà à composer avec l’inflation et l’effet des hausses précédentes, prévient la chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Eve-Lyne Couturier.
Une dette de plus en plus difficile à porter
« Nous avons eu un accès facile au crédit durant longtemps et plusieurs personnes se sont beaucoup endettées. Puis maintenant que les taux d’intérêt montent, ce sont les moins riches qui vont avoir le plus de difficultés à absorber cette hausse », explique-t-elle.
« C’est inquiétant d’autant plus qu’il pourrait bien y avoir de nouvelles hausses dès l’automne », prévient l’économiste du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) David Macdonald.
La Banque note d’ailleurs qu’une proportion des ménages canadiens « subissent des tensions financières considérables » et dépendent de plus en plus de leurs cartes de crédit pour subvenir à leurs besoins essentiels. Un plus grand nombre de Canadien·nes accumulent aussi les retards de paiement, alors que la proportion des emprunteurs qui accumulent des retards de plus de 90 jours « est maintenant proche d’un sommet historique », selon le rapport sur la politique monétaire que la banque publie en parallèle de ses décisions sur le taux directeur.
Toutefois, les ménages canadiens consommeraient toujours trop de biens et services, selon le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, notamment parce qu’une partie d’entre eux bénéficient encore des économies faites durant la pandémie. « Nous savons que certaines personnes vivent une détresse bien réelle, mais le coût de ne rien faire serait trop élevé », a ajouté la première sous-gouverneure de la Banque, Carolyn Rogers, lorsqu’intérrogée sur le sujet en conférence de presse.
Un pouvoir de négociation compromis
La Banque reste préoccupée par la force du marché de l’emploi qui permet pour l’instant aux travailleur·euses d’avoir l’avantage dans les négociations salariales, explique David Macdonald. Ce qu’a confirmé Tiff Macklem en conférence de presse : « Le marché de l’emploi commence à s’équilibrer, mais ça se passe plus progressivement que nous le voudrions et pour l’instant, la croissance des salaires est encore trop importante ».
Pour Eve-Lyne Couturier, le discours de la Banque est d’autant plus choquant; les travailleur·euses peinent à équilibrer leur budget d’épicerie et même à se loger alors que les profits des entreprises et les dividendes versés aux actionnaires augmentent.
« On demande aux travailleur·euses de se serrer la ceinture et de ne surtout pas chercher à améliorer leur sort. Alors que c’est la première fois depuis longtemps que le rapport de force est en leur faveur, on leur dit que ce n’est pas le bon moment. Mais quand est-ce que le pouvoir de négociation des travailleur·euses est adéquat ? C’est quand, le bon moment ? », questionne la chercheuse.
Les taux d’intérêt contribuent à l’inflation
La hausse du taux directeur semble encore plus difficile à justifier dans le contexte où l’inflation des derniers mois est principalement constituée de la hausse du coût de la nourriture et du logement, observe David Macdonald. « Or, le coût des aliments n’a rien à voir avec les taux d’intérêt parce qu’on ne fait pas son épicerie avec des prêts, et le coût du logement est gonflé par les hausses de taux d’intérêt elles-mêmes », souligne-t-il.
Une situation qui s’explique en partie parce que les propriétaires passent à leurs locataires la hausse du coût de leur hypothèque, explique Eve-Lyne Couturier.
Interrogé à ce sujet, Tiff Macklem s’est défendu en argumentant que s’il est vrai que d’ignorer les hausses de coût entrainées par les actions de la Banque mènerait l’inflation à diminuer, ignorer la baisse du coût de l’essence la ferait monter radicalement. « On ne peut pas seulement prendre les éléments qui nous intéressent; il faut regarder l’ensemble », remarque-t-il.
Pour David Macdonald, cet argument est toutefois peu valide lorsqu’on considère que les actions de la Banque n’ont à peu près pas d’effets sur le cours de l’essence, influencé plutôt par des facteurs internationaux. « De plus, le prix de l’essence est la principale raison derrière la baisse de l’inflation dans la dernière année et non pas les hausses de taux d’intérêt », précise-t-il.
Il rappelle toutefois que les décisions de la Banque du Canada sur le taux directeur prennent du temps à se matérialiser dans l’économie et que les effets de la hausse annoncée cette semaine ne se feront sentir pleinement qu’en 2025. « La bonne nouvelle, c’est que le moment où on a encore un levier comme travailleur·euse pour améliorer nos conditions n’est pas encore terminé », conclut Eve-Lyne Couturier.