Cette semaine sur les écrans parisiens sera projeté le film À Contretemps dans lequel Pénélope Cruz incarne une mère de famille victime de la crise du logement en Espagne.
Ce film tombe plus qu’à propos. La crise du logement est un thème universel. Au Québec aussi la crise du logement sévit et il est important de se pencher sur les droits des locataires versus ceux des propriétaires.
Bien des choses ont été dites. Des choses qui laissent croire que les prix élevés des loyers sont un signe de richesse collective et non de déséquilibre du marché immobilier par le manque de loyer accessible, voire subventionné. Ce déséquilibre découle du néo-libéralisme favorisant l’oppression de certains aux profits d’une minorité. Dans ce contexte, la ministre Duranceau soulignait qu’elle était ouverte et qu’elle envisageait un arbitrage entre les droits des locateurs et des locataires, en laissant sous-entendre que les locateurs et les locataires ont des pouvoirs équivalents.
Dans le cadre de son arbitrage, la ministre ne devrait pas oublier que le droit au logement est visé par le Pacte des droits économiques et sociaux et par la Charte des droits de la personne du Québec : l’article 45 de cette Charte stipule que les Québecois.es ont droit à un niveau de vie décent. Ainsi, l’État a un rôle de premier plan à jouer dans le respect des droits de la personne, dont les droits économiques et sociaux.
En 1989, l’affaire Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général) portait sur l’interprétation de l’article 7 de la Charte des droits et libertés. Cette disposition prévoit que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. ». La Cour a considéré que cette disposition pouvait être interprétée comme incluant les « droits économiques, fondamentaux à la vie de la personne et à sa survie ».
C’est en ces termes que le juge en chef s’exprimait alors :
Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que la rubrique des « droits économiques » couvre un vaste éventail d’intérêts qui comprennent tant certains droits reconnus dans diverses conventions internationales – tels la sécurité sociale, l’égalité du salaire pour un travail égal, le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats – que les droits traditionnels relatifs aux biens et aux contrats. Ce serait agir avec précipitation, à notre avis, que d’exclure tous ces droits alors que nous en sommes au début de l’interprétation de la Charte.
Comme le disait la juge Arbour lors d’une allocution dans le cadre du Symposium LaFontaine-Baldwin 2005 : Libérer du besoin, de la charité à la justice : « Les droits de la personne reflètent un consensus international quant aux conditions essentielles à une vie vécue dans la dignité. Mais les droits de la personne ne sont pas un idéal utopique. (…) La raison pour laquelle les revendications basées sur les droits font l’objet d’une résistance de la part du pouvoir est justement parce qu’elles menacent – ou promettent – de corriger une distribution du pouvoir politique, économique et social qui est, selon les normes internationales déjà acceptées, injuste. »
Dans l’affaire Gosselin c. Québec (Procureur général), la Cour suprême était saisie d’une contestation du règlement sur l’aide sociale (Québec) qui réduisait les prestations pour les bénéficiaires de moins de 30 ans, contestation fondée sur les droits socioéconomiques. La majorité a rejeté l’argument voulant que l’État a une obligation de légiférer afin de remédier aux injustices économiques. Ce qui a pour conséquence que tous ne bénéficient pas des droits garantis par la Charte, particulièrement les membres des groupes historiquement discriminées. Il est quand même paradoxal que les personnes les plus démunies vivant des situations d’exclusions comme la pauvreté (souvent liée à plusieurs motifs de discrimination) ne bénéficient pas de la protection effective de la Charte.
Dans la dissidence de la juge Arbour, appuyée par la juge L’Heureux-Dubé, considérant l’argument de Mme Gosselin voulant que le Règlement violait l’article 7 de la Charte des droits et liberté, a souligné l’absence d’un niveau de vie garanti (prestations d’aide sociale adéquate) comportait des risques pour la santé physique et psychologique. La juge soulignait notamment l’incapacité de se vêtir adéquatement, de se nourrir et de se loger. Ce qui ouvre la porte à une spirale « d’isolement, de dépression, d’humiliation, de faible estime de soi, d’anxiété, de stress et de pharmacodépendance » bref un risque accru de suicide. »
À juste titre, le film À contretemps expose les drames inhumains, familles précipitées dans la précarité, désespoir et montée des taux de suicide. À la suite d’années de lutte par la société civile, les problèmes sociaux dévoilés dans le film ont fait l’objet d’interventions de l’État espagnol. En mai 2023, le gouvernement a adopté une loi comprenant l’encadrement des loyers dans les zones tendues et le gel des expulsions pour les locataires vulnérables.
Est-ce qu’il faudra une œuvre de « fiction » pour influencer les politiques publiques?