Mercredi, l’Association des femmes autochtones du Canada a lancé un guide pour promouvoir l’enseignement du génocide contre les personnes autochtones dans les écoles secondaires. Il s’agirait d’un premier pas vers la réparation, mais beaucoup reste à faire pour renverser les dommages causés.
« Le Canada a mis en œuvre une politique continue visant à détruire les peuples autochtones physiquement, biologiquement et en tant qu’unité sociale. C’est une conclusion à laquelle on ne peut échapper. » C’est ce qu’indique le nouveau guide lancé mercredi par l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) visant à promouvoir l’enseignement du génocide autochtone dans les écoles secondaires.
On y énonce clairement les faits : le Canada a commis et perpétue actuellement un génocide contre les personnes autochtones à travers diverses formes de violences et d’abus, comme la stérilisation forcée ou les vols d’enfants envoyé·es dans des pensionnats.
Le bref document de dix pages a pour mission de servir de point de départ pour la mise sur pied d’un nouveau curriculum dédié à l’enseignement du génocide dans les écoles secondaires, partout au pays. Une telle mesure concorderait avec la recommandation 11.1 du rapport final de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Depuis son dépôt en 2019, seulement deux de ses 231 appels à la justice ont été mis en œuvre.
Briser les tabous
C’était aussi dans ce rapport que le terme « génocide » avait été employé pour la première fois par une instance officielle afin de définir la violence exercée par le Canada envers les peuples autochtones, ce qui avait suscité une vague négationniste au pays.
« Ceux qui ne craignent pas constamment pour la sécurité de leurs mères, de leurs filles ou de leurs sœurs ne peuvent tout simplement pas comprendre comment l’enquête a abouti à ses conclusions, et ils ont du mal à reconnaître le génocide ou même à prononcer le mot », a déclaré Lynne Groulx, PDG de l’AFAC, en conférence de presse.
Les générations de demain ne peuvent pas demeurer dans l’ignorance de la violence faite aux personnes autochtones au Canada, a-t-elle souligné.
Contacté par Pivot, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’a pour le moment pas réagi à l’initiative. La CAQ avait choisi de ne pas répondre à de nombreuses demandes de groupes autochtones visant à faire reconnaître l’existence du racisme systémique.
« Le guide est un très bon point de départ pour les élèves du secondaire, pour qu’ils commencent à poser des questions et aller plus loin dans leur réflexion », pense Kwetiio, membre des Mères mohawks, le groupe qui s’est battu bec et ongles pour porter à la Cour supérieure du Québec qu’on entame des fouilles archéologiques près de l’ancien hôpital Royal Victoria, qui a été un théâtre du génocide.
C’est là, selon elles, que se trouveraient les dépouilles d’enfants de la communauté, dont certain·es auraient subi des mutilations dans le cadre d’expériences financées par la CIA au cours des années 1960.
« Ça m’inquiète que nos jeunes puissent penser que le génocide est leur histoire. C’est une partie de notre histoire, mais ça ne fait pas de nous qui nous sommes. »
Kwetiio
« C’est important d’enseigner ce qui s’est passé, dans les termes simples pour que tous puissent comprendre », dit Kwetiio lorsqu’on lui demande comment cet épisode devrait être raconté en salle de classe.
Si elle accueille favorablement le guide, elle s’inquiète aussi de voir l’histoire des peuples autochtones réduite uniquement à cette portion coloniale et funèbre. « Ça m’inquiète que nos jeunes puissent penser que le génocide est leur histoire. »
« C’est une partie de notre histoire », souligne-t-elle. « Mais ça ne fait pas de nous qui nous sommes. »
Réparations et réconciliation
La reconnaissance du génocide « est un pas nécessaire vers la réparation des préjudices subis par les survivants » encore aujourd’hui, indique le guide de l’AFAC. C’est un point de départ, pense Kwetiio, mais le travail est encore plus ardu.
« Parfois, je me rends compte à quel point on a encore beaucoup de travail à faire », lance Kwetiio.
Ce qu’il faut d’abord comprendre pour renverser la vapeur, selon elle, ce sont les intentions qui ont animé la violence génocidaire des autorités étatiques et religieuses et qui visait à « sortir l’Indien de l’enfant ».
« Maintenant, il faut remettre l’Indien dans l’enfant », résume-t-elle. Mais la tâche n’est pas mince.
« C’est très complexe et ça a pris plusieurs années pour qu’on en arrive là. Ça va prendre beaucoup de temps à défaire. »
Kwetiio
Elle s’inquiète du futur du Kanien’kéha, la langue mohawk, dans sa communauté à Kahnawà:ke, qui est menacée en raison d’un faible nombre de personnes qui la parlent. Ici aussi, la colonisation et les politiques génocidaires d’assimilation du gouvernement canadien sont en cause.
Si le Kanien’kéha est enseigné à l’école secondaire, selon elle, la qualité de son enseignement varie grandement en fonction du niveau des professeur·es, qui ont parfois appris la langue plus tardivement, parfois à l’extérieur de la communauté.
« Les nouvelles générations qui apprennent la langue vont procéder avec une langue qui n’est pas authentique, qui n’est pas celle de leurs grands-parents », explique-t-elle. « C’est un cycle qui continue, le génocide est toujours en cours. »
« C’est très complexe et ça a pris plusieurs années pour qu’on en arrive là. Ça va prendre beaucoup de temps à défaire. »