À l’occasion de la Journée internationale de la santé menstruelle, nous revenons sur les multiples facettes – sanitaires, économiques, culturelles – de la précarité menstruelle. Des annonces récentes vont dans le bon sens pour combattre ce problème, mais beaucoup reste à faire.
À partir du 15 décembre prochain, les employeurs canadiens sous réglementation fédérale devront fournir gratuitement des produits menstruels à leur personnel sur le lieu de travail.
« Une grande avancée », selon Élise Brunot, chargée de projet pour le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF), qui lutte depuis des années pour un meilleur accès et la fin du tabou qui entoure encore aujourd’hui les menstruations.
« La précarité menstruelle est plus large qu’on le pense. Ce n’est pas seulement le fait de ne pas pouvoir se payer des produits menstruels comme des tampons, des serviettes hygiéniques. C’est aussi d’occasionnellement ne pas pouvoir [en trouver] et le stress que ça peut procurer. C’est aussi le fait de ne pas avoir accès à un endroit sécuritaire pour se changer, ou à des informations sur le cycle menstruel », développe Élise Brunot.
L’achat de produits menstruels reviendrait au total à 6000 $ dans la vie d’une femme. « Ce n’est pas une somme négligeable et encore, elle n’inclut pas les culottes à acheter, les visites chez le gynéco, les draps à changer. »
« Puis il [ce calcul] se base sur des produits très bon marché », ajoute Mme Brunot. En effet, selon elle, cette somme pourrait être beaucoup plus importante si elle était calculée avec des produits de qualité.
Malheureusement, lorsqu’on parle de précarité menstruelle, il est certain que l’économie passe avant tout. Or, « les muqueuses vaginales absorbent dix fois plus que les autres, alors tout ce qu’on met en contact, c’est important. On sait que certains tampons ou serviettes contiennent du plastique notamment. […] Il y a un enjeu de santé globale derrière ça », ajoute-t-elle.
Elle déplore aussi qu’encore aujourd’hui, certaines femmes doivent choisir entre se nourrir et acheter des produits menstruels. « Ce sont tout autant des produits de première nécessité! », insiste-t-elle.
« Ça devrait être valorisé »
« Les menstruations sont le cinquième signe vital : ça veut dire que notre corps fonctionne bien, que nos hormones font la job. Ça devrait être valorisé alors que non, c’est encore une honte, on le cache », décrit Élise Brunot.
Selon la chargée de projet du RQASF, les menstruations restent encore aujourd’hui un tabou, et ce dès le plus jeune âge.
L’âge de ménarche (des premières règles) survient d’ailleurs de plus en plus tôt. « Ce n’est pas rare que les jeunes filles les aient à neuf ou dix ans, maintenant. Si elles ont de la chance d’avoir des parents à l’aise, tant mieux, mais si ce n’est pas le cas, il faudrait qu’elles aient accès à toutes les informations », poursuit-elle.
C’est notamment pour cette raison que le RQASF avait lancé en 2019 la Campagne rouge. « On voulait diffuser de l’information, introduire le sujet, parler de la médicalisation des menstruations et aussi des stéréotypes sexuels et sexistes qui entourent les règles », explique Mme Brunot.
En quelques mois, la collecte de dons organisée dans le cadre de cette campagne a récolté 11 000 $ qui ont servi à acheter des produits menstruels et les distribuer dans des organismes du Québec.
« La précarité menstruelle est plus large qu’on le pense. C’est aussi le fait de ne pas avoir accès à un endroit sécuritaire pour se changer, ou à des informations sur le cycle menstruel. »
Élise Brunot, RQASF
Depuis 2021, avec le Fil rouge, nouvelle campagne consacrée cette fois à l’équité menstruelle, le RQASF veut aller plus loin. « L’éducation à la santé menstruelle et la mise à disposition de produits menstruels dans les écoles seraient une première étape. Fini les filles qui loupent l’école parce qu’elles ont honte ou qu’elles n’ont pas accès à ce qu’il faut! Il faut distribuer et éduquer, les deux vont ensemble », déclare-t-elle.
Le RQASF a proposé des recommandations au gouvernement fédéral, qui a débloqué l’an dernier 25 millions $ pour mettre en place un projet pilote et offrir des produits menstruels aux personnes qui ont du mal à les payer.
Place au durable
M. Brunot aime aussi à rappeler que peu d’études ont été faites sur les produits menstruels traditionnels comme les tampons et les serviettes jetables. « On compte environ 25 études, et seulement 3 sur des humains… alors que les menstruations concernent la moitié de la population… », déplore-t-elle.
De plus, l’industrie des produits menstruels, qui pèse plusieurs milliards $, a « favorisé la honte » selon la chargée de projet. « On a tout fait pour évacuer le sang, qu’il n’y ait pas de traces, pas de bruits, on met du parfum… », raconte-t-elle.
« C’est encore une honte, on le cache. »
Élise Brunot
Cette année, le RQASF a décidé de s’associer à une entreprise québécoise, Öko Creations, qui commercialise des serviettes et culottes menstruelles lavables. Une alternative organique qui doit être encouragée, selon Mme Brunot. « Tout est fait ici, ce sont des matières superbes, de bons produits et c’est fabuleux pour combattre la précarité menstruelle : une culotte peut durer jusqu’à cinq ans! », se réjouit-elle.
Elle a cependant conscience que ce genre de produits n’est pas encore accessible à toutes, à cause du coût, mais pas seulement. « Il faut avoir accès à un point d’eau potable pour les laver, à un endroit où les sécher. Ça peut exclure certaines personnes. »
« Il y a aussi un besoin d’éducation, car on ne nous a pas appris à être en contact avec notre sang, à le laver, etc. Il faut déconstruire que le sang est sale et pue, c’est un pas à franchir. »
Correction : Une précédente version de cet article mentionnait que l’obligation de fournir des produits menstruels s’appliquerait à tous les employeurs canadiens. Plutôt, elle visera uniquement les entreprises sous réglementation fédérale. (31-05-2023)