Photo : Kevin Jaako (CC BY 2.0)
Nouvelle

Même vivre avec le strict minimum n’est pas soutenable écologiquement au Québec

Une nouvelle étude démontre que couvrir les besoins de base des Québécois·es nécessite deux fois plus de ressources que ce que la planète peut soutenir.

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Même en se contentant du minimum nécessaire pour survivre, les Québécois·es ne pourraient pas limiter leur impact écologique suffisamment pour qu’il soit soutenable, rapporte une analyse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). La transition écologique devra donc passer par des changements en profondeur, selon les experts.

Dans l’état actuel des choses au Québec, il n’est tout simplement pas possible de miser sur des gestes individuels pour limiter assez son impact écologique de manière à assurer le maintien des écosystèmes, selon l’étude de l’IRIS.

Ainsi, même une personne qui limiterait sa consommation à l’équivalent de la mesure du panier de consommation (MPC), soit uniquement les besoins de base, utiliserait au moins deux fois plus de ressources que ce que la planète peut supporter.

« En plus, la MPC, ce n’est pas suffisant pour sortir de la pauvreté, ça permet à peine de survivre », prévient Colin Pratte, chercheur à l’IRIS et coauteur de l’étude. Puisque l’impact environnemental croît avec le niveau de revenu, la majorité d’entre nous avons un impact beaucoup plus grand que ce qui est exposé dans cette étude, ajoute le chercheur.

Si même les plus pauvres ont un impact écologique trop important, c’est parce que les infrastructures, systèmes et technologies sur lesquels repose notre mode de vie sont des gouffres immenses de ressources, explique Yves-Marie Abraham du groupe de recherche sur la décroissance Polémos, qui n’a pas participé à l’étude.

« Dès qu’on commence à regarder l’ensemble [des coûts], on peut voir l’inefficacité extraordinaire du système [capitaliste]. »

Yves-Marie Abraham, Polémos

Le poids de la consommation au Québec

Les chercheurs ont calculé la « matière par unité de services » (MIPS) associée au panier de consommation de base. La MIPS permet de calculer l’ensemble des matériaux et ressources nécessaires durant l’ensemble du cycle de vie d’un produit ou d’un service, ce qui permet de savoir l’impact global d’un objet.

Cette mesure développée en Europe n’avait jamais encore été utilisée en Amérique du Nord, explique Colin Pratte.

Ainsi, au Québec, la MIPS nécessaire pour subvenir aux besoins minimaux d’une personne est entre 16,5 et 19,5 tonnes métriques. Les expert·es suggèrent que la planète ne peut fournir en moyenne que 8 tonnes de matière par habitant·e à l’échelle globale.

Les types de dépense des ménages ayant le plus d’impact sont l’alimentation (4,4 tonnes par personne), le transport (entre 4,6 et 7,6 tonnes, selon la possibilité d’utiliser du transport en commun de qualité) et la consommation courante, soit les articles ménagers, l’habillement et le divertissement (4,7 tonnes).

Le logement (1,8 tonne) et les déchets reliés aux emballages (0,9 tonne) ont également un impact considérable, lorsqu’évalués à travers la lunette de la MIPS.

Réfléchir au-delà de la crise climatique

L’approche de l’IRIS est intéressante parce qu’elle permet d’étendre l’analyse au-delà de la seule crise climatique, comme on le fait normalement en calculant les gaz à effet de serre (GES), souligne Yves-Marie Abraham.

« Ce que j’aime beaucoup avec cette étude, c’est qu’on y compte tous les coûts associés à notre mode de vie. Car tant qu’on ignore certains coûts, le capitalisme nous apparait comme le système le plus efficace qui soit. Mais dès qu’on commence à regarder l’ensemble, on peut voir l’inefficacité extraordinaire de ce système », remarque-t-il.

Si même les plus pauvres ont un impact écologique trop important, c’est parce que nos infrastructures, systèmes et technologies sont des gouffres immenses de ressources.

De plus, adopter ce genre de point de vue global est essentiel pour éviter que les solutions déployées face aux crises climatiques ne fassent que déplacer les problèmes d’un système écologique à un autre, selon Yves-Marie Abraham.

Par exemple, l’électrification des transports est tout à fait logique du point de vue des GES, mais pas si on considère qu’il faut trois fois plus de ressources pour produire une voiture électrique qu’une voiture à essence, illustre Colin Pratte.

De petits changements en attendant les grands

Colin Pratte admet que plusieurs personnes seront possiblement découragées de voir que leurs gestes individuels ne peuvent tout simplement pas suffire pour protéger les écosystèmes. Mais le chercheur souligne que les conclusions de son étude peuvent aussi être libératrices pour d’autres : « ça enlève une part de responsabilité sur les individus pour la placer sur les instances décisionnelles, tant au privé qu’au public », remarque-t-il.

Pour Colin Pratte, les gouvernements devront donc impérativement jouer un rôle central dans la transformation de nos modes de production de biens et services. « Les solutions en matière de surproduction, d’emballage, d’habillement non viable, de conception écologique des produits sont connues des instances publiques, mais ignorées par les gouvernements qui se succèdent depuis des décennies », rappelle-t-il.

La solution passe notamment par une régulation plus importante des industries, croit-il. Par exemple, les compagnies pourraient être contraintes d’offrir des produits plus faciles à réparer ou de produire des voitures plus petites. L’emballage pourrait être encadré plus sévèrement, remarque le chercheur.

« Ça enlève une part de responsabilité sur les individus pour la placer sur les instances décisionnelles, tant au privé qu’au public. »

Colin Pratte, IRIS

S’il considère que ce genre d’effort peut être un pas dans la bonne direction, Yves-Marie Abraham explique que le défi sera plutôt de changer l’ensemble des systèmes dont on dépend aujourd’hui pour vivre.

Selon lui, il faudra instaurer une forme de décroissance économique qui impliquera de réorganiser nos vies sur une base beaucoup plus locale, avec des technologies moins destructrices, mais qui nécessiteront plus de travail de notre part, car elles seront moins efficaces.

Il faudrait aussi un beaucoup plus grand partage, autant à l’intérieur des communautés qu’entre elles, pour limiter notre consommation collective et aussi pour éviter que certains consomment des ressources à l’excès pendant que d’autres se serrent la ceinture.

« C’est extrêmement ambitieux et optimiste pour le temps dont on dispose, mais c’est ce qu’il faut faire pour être à la hauteur du problème auquel on fait face, » conclut-il.

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